Par une décision du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les modalités de contrôle des clauses de change dans les contrats de prêt conclus avec des consommateurs. En l’espèce, un particulier avait souscrit un emprunt libellé en devise étrangère auprès d’un établissement de crédit. Le contrat prévoyait que le remboursement devait s’effectuer dans cette même devise. Suite à une forte dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise d’emprunt, le coût total du remboursement a considérablement augmenté pour l’emprunteur. S’estimant lésé, ce dernier a saisi une juridiction nationale afin de faire constater le caractère abusif de la clause imposant le remboursement dans la devise étrangère. Face à cette difficulté d’interprétation du droit de l’Union, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé à la Cour de déterminer si une telle clause de remboursement en devise constitue l’objet principal du contrat au sens de la directive 93/13/CEE. La juridiction de renvoi cherchait également à connaître l’étendue de l’obligation d’information qui pèse sur le professionnel ainsi que les critères permettant d’apprécier l’existence d’un déséquilibre significatif. La Cour de justice a répondu qu’une clause fixant la devise de remboursement définit une prestation essentielle du contrat et relève de son objet principal. Elle a cependant soumis sa validité à une exigence de transparence stricte. Enfin, elle a précisé que l’appréciation du caractère abusif doit s’opérer au regard des circonstances existant au jour de la signature du contrat, en tenant compte de l’asymétrie d’information entre le professionnel et le consommateur.
La solution retenue par la Cour de justice conduit à encadrer précisément l’office du juge national face à une clause de change (I), tout en lui confiant la mission d’apprécier concrètement le déséquilibre contractuel induit par le risque de change (II).
I. L’encadrement du contrôle judiciaire des clauses de change
La Cour de justice circonscrit l’intervention du juge en qualifiant la clause de paiement en devise de prestation essentielle (A), mais elle conditionne aussitôt l’immunité de cette clause à une exigence de transparence matérielle particulièrement rigoureuse (B).
A. La qualification de la clause de paiement en devise comme prestation essentielle
La Cour affirme que la notion d’« objet principal du contrat » couvre une clause qui « fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat ». En appliquant ce critère au contrat de prêt en devise, elle considère que la stipulation du remboursement dans la même monnaie étrangère constitue une telle prestation. Cette qualification n’est pas neutre, car elle soustrait en principe la clause à l’appréciation de son caractère abusif sur le fondement de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. Le choix de la devise de paiement est ainsi assimilé à l’adéquation du prix à la prestation, un élément sur lequel le contrôle judiciaire est par nature limité. Cette position reconnaît la liberté contractuelle et la nature même de l’opération, où le choix de la devise est un élément structurant de l’économie du contrat pour les deux parties. Néanmoins, cette exclusion n’est pas absolue et ne vaut que sous une condition très stricte, celle de la parfaite transparence de la clause.
B. Une exigence de transparence matérielle renforcée
La Cour de justice interprète l’exigence de rédaction claire et compréhensible de manière extensive. Elle ne se contente pas d’une simple clarté formelle et grammaticale. L’intelligibilité de la clause doit être concrète, permettant au consommateur d’en saisir la portée réelle. La Cour exige que le consommateur moyen puisse non seulement « connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère », mais aussi « évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières ». Cette obligation d’information à la charge du professionnel va donc au-delà d’une simple mise en garde sur le risque de change. Le prêteur est tenu de fournir des éléments suffisants pour que l’emprunteur puisse simuler l’impact d’une forte dévaluation de sa propre monnaie et prendre sa décision de manière éclairée. Ce faisant, la Cour déplace le contrôle du terrain de l’équilibre substantiel vers celui du consentement éclairé, offrant au juge national un outil puissant pour sanctionner les clauses opaques.
II. L’appréciation du déséquilibre significatif au détriment du consommateur
Si la clause n’est pas jugée claire et compréhensible, le juge doit alors en apprécier le caractère abusif. La Cour rappelle que cette analyse doit se placer au moment de la conclusion du contrat (A) et prendre en considération la position de force informationnelle du professionnel (B).
A. L’évaluation du caractère abusif au moment de la conclusion du contrat
Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive, la Cour souligne que l’appréciation du déséquilibre doit se faire « par référence au moment de la conclusion du contrat concerné ». Cette précision temporelle est fondamentale. Elle signifie que la survenance ultérieure d’une fluctuation monétaire très défavorable à l’emprunteur ne suffit pas, à elle seule, à rendre la clause abusive. Le caractère abusif ne peut découler d’un simple déséquilibre dans l’exécution du contrat, mais doit résider dans un vice originel. Le juge doit donc se replonger dans le contexte de l’époque, en considérant l’ensemble des circonstances qui étaient de nature à influer sur l’exécution future du contrat et dont le professionnel pouvait avoir connaissance. Cette méthode préserve la sécurité juridique en empêchant une remise en cause des contrats sur la seule base d’événements postérieurs imprévisibles.
B. La prise en compte de l’asymétrie d’information entre le professionnel et le consommateur
Dans son analyse du déséquilibre significatif, le juge national est invité à tenir compte de l’inégalité des parties. La Cour lui enjoint ainsi d’évaluer, « en tenant compte notamment de l’expertise et des connaissances du professionnel […] en ce qui concerne les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d’un prêt en devise étrangère », l’existence d’un éventuel déséquilibre. Cette approche pragmatique reconnaît que la banque n’est pas un contractant comme les autres. En sa qualité d’expert des marchés financiers, elle dispose d’informations et d’une capacité d’analyse que le consommateur ne possède pas. Un déséquilibre significatif pourrait donc être caractérisé si le professionnel, tout en ayant connaissance d’un risque substantiel de variation des taux, n’a pas pris les mesures adéquates pour en informer clairement l’emprunteur ou pour lui proposer des mécanismes de couverture. La Cour de justice confère ainsi au juge le pouvoir de sanctionner non pas le risque lui-même, mais sa répartition déséquilibrée dans le silence d’un consentement insuffisamment éclairé.