Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du principe de non-discrimination à l’égard des travailleurs à durée déterminée. La Cour était saisie d’une question portant sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale qui limite la reconnaissance de l’ancienneté acquise par un agent public lors de sa nomination en tant que fonctionnaire. En l’espèce, une enseignante employée pendant huit années consécutives au moyen de contrats à durée déterminée a été intégrée dans la fonction publique. Lors de la reconstitution de sa carrière, l’administration compétente n’a pris en compte l’intégralité de ses services que pour les quatre premières années, réduisant la période restante des deux tiers. L’intéressée a contesté cette décision devant une juridiction nationale, soutenant que cette prise en compte partielle de son ancienneté constituait une discrimination interdite par l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée. La juridiction de renvoi, incertaine de l’interprétation à retenir, a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si le fait de ne pas avoir été recruté par la voie d’un concours pouvait justifier une telle différence de traitement.
Il était ainsi demandé à la Cour de justice si le principe de non-discrimination, tel que prévu par la clause 4 de l’accord-cadre, s’oppose à une législation nationale qui, aux fins du classement en grade d’un fonctionnaire, ne reconnaît que partiellement l’ancienneté acquise au titre de contrats à durée déterminée. En réponse, la Cour a jugé qu’une telle réglementation n’est pas, en principe, contraire au droit de l’Union, à la condition que la différence de traitement qu’elle instaure soit justifiée par des raisons objectives. La solution retenue par la Cour valide ainsi une approche nuancée, reconnaissant la légitimité de certaines différenciations tout en maintenant l’exigence d’une justification rigoureuse.
La portée de cette décision s’articule autour de la validation d’une reconnaissance différenciée de l’ancienneté (I), qui vient tempérer une application réaffirmée mais conditionnée du principe de non-discrimination (II).
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I. La validation d’une reconnaissance différenciée de l’ancienneté
La Cour de justice admet qu’une prise en compte partielle de l’ancienneté des travailleurs à durée déterminée peut être conforme au droit de l’Union. Pour parvenir à cette conclusion, elle reconnaît l’existence d’une justification objective fondée sur les modalités de recrutement (A) et vérifie que la mesure nationale respecte le principe de proportionnalité (B).
A. L’admission d’une justification objective fondée sur les modalités de recrutement
La Cour rappelle que la clause 4 de l’accord-cadre permet une différence de traitement si elle est justifiée par des « raisons objectives ». Ces raisons doivent reposer sur des « éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit », et peuvent découler de « la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre ». En l’espèce, le gouvernement national avançait deux motifs principaux pour justifier la limitation de la reprise d’ancienneté. Le premier visait à refléter les différences qualitatives dans l’expérience professionnelle acquise, et le second, à éviter une discrimination à rebours à l’encontre des fonctionnaires recrutés par la voie d’un concours public.
La Cour se montre sensible à ces arguments, considérant qu’ils peuvent constituer une raison objective légitime. Elle reconnaît la marge d’appréciation des États membres dans l’organisation de leur fonction publique et l’importance accordée aux concours de recrutement, qui visent à garantir l’impartialité et l’efficacité de l’administration. Ainsi, l’objectif de valoriser un mode de recrutement jugé plus méritocratique est jugé recevable. La Cour admet que « certaines différences de traitement entre les fonctionnaires statutaires recrutés à l’issue d’un concours général et ceux recrutés après avoir acquis une expérience professionnelle sur la base de contrats de travail à durée déterminée peuvent, en principe, être justifiées par les différences de qualifications requises et la nature des tâches ».
B. Le contrôle de proportionnalité de la mesure de limitation
L’existence d’une justification objective ne suffit cependant pas ; la mesure doit également être apte à atteindre l’objectif poursuivi et nécessaire à cet effet. La Cour examine donc la proportionnalité de la réglementation nationale, laquelle prévoit une reconnaissance intégrale des quatre premières années d’ancienneté et une reconnaissance partielle, à hauteur des deux tiers, pour les années suivantes. Elle estime que ce dispositif n’est pas excessif. D’une part, il n’instaure pas une exclusion totale mais une simple limitation, ce qui le distingue de cas précédemment jugés.
D’autre part, la Cour considère que cette modalité de calcul peut légitimement refléter la diversité des missions souvent confiées aux agents contractuels, comme les remplacements, et se conformer au principe du *pro rata temporis*. La réglementation établit ainsi un équilibre entre la reconnaissance de l’expérience acquise et la valorisation du concours. En conséquence, une telle limitation « ne saurait être considérée comme excédant ce qui est nécessaire pour répondre aux objectifs précédemment examinés ». La Cour conclut que la mesure est proportionnée et, par conséquent, compatible avec l’accord-cadre.
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II. L’application réaffirmée mais conditionnée du principe de non-discrimination
Si la Cour valide la réglementation nationale, elle ne le fait qu’après avoir fermement réaffirmé le principe selon lequel les travailleurs concernés se trouvent dans des situations comparables. La décision confirme la comparabilité des fonctions exercées (A), tout en illustrant la portée limitée de l’interdiction des traitements défavorables (B).
A. La confirmation de la comparabilité des fonctions de l’agent non titulaire et du fonctionnaire
Avant d’examiner l’existence d’une justification, la Cour vérifie si les situations de l’enseignante recrutée à durée déterminée et celles des fonctionnaires sont comparables. Pour ce faire, elle s’appuie sur des critères concrets tels que « la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail ». En l’occurrence, il était constant que les fonctions exercées par l’enseignante en tant que contractuelle étaient identiques à celles des fonctionnaires.
La Cour écarte l’argument selon lequel l’absence de réussite à un concours suffirait à rendre les situations non comparables. Elle précise que les procédures de recrutement sur titres, comme celle dont a bénéficié l’intéressée, visent précisément à intégrer des travailleurs expérimentés dont la situation peut être « assimilée à celle des fonctionnaires statutaires ». De plus, elle relève que le recours massif et prolongé à des enseignants contractuels pour pallier l’organisation sporadique de concours contredit l’idée d’une qualité de service intrinsèquement inférieure. En établissant cette comparabilité, la Cour réaffirme que le principe de non-discrimination a vocation à s’appliquer pleinement dans le secteur de l’enseignement public.
B. La portée limitée de l’interdiction des traitements défavorables
L’arrêt illustre que l’interdiction de traiter les travailleurs à durée déterminée de manière moins favorable n’est pas absolue. Une fois la comparabilité établie, la charge de la preuve est renversée, et il incombe à l’État membre de démontrer l’existence d’une raison objective. La Cour montre ici qu’elle est prête à accepter des justifications tirées des spécificités de l’organisation administrative nationale et des choix de politique sociale, même si ceux-ci aboutissent à un traitement différencié.
La décision confère une portée significative à la notion de « raison objective », en y incluant la valorisation d’un système méritocratique fondé sur le concours. Elle entérine ainsi une limitation de l’un des principaux avantages liés à l’ancienneté, à savoir la progression dans la carrière et la rémunération. En définitive, cette jurisprudence établit un point d’équilibre délicat : elle protège les travailleurs à durée déterminée contre les discriminations directes et injustifiées, mais laisse aux États une latitude importante pour moduler la reconnaissance de leur expérience passée en fonction d’objectifs légitimes propres à leur fonction publique.