Cour de justice de l’Union européenne, le 20 septembre 2018, n°C-518/17

En l’espèce, par un arrêt du 21 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée et les sanctions de l’obligation de préinformation dans le cadre de l’attribution de marchés publics de services de transport de voyageurs par autobus.

Les faits à l’origine du litige concernent le lancement par une autorité organisatrice de transport autrichienne, le 20 avril 2016, d’une procédure ouverte pour la fourniture de services de transport par autobus. Un opérateur économique a saisi le tribunal administratif régional de Salzbourg pour demander l’annulation de l’appel d’offres, arguant notamment du non-respect de l’obligation de publication d’un avis de préinformation un an avant le début de la procédure, telle que prévue par l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1370/2007.

Le tribunal administratif régional a rejeté la demande par une décision du 15 juillet 2016. Saisie d’un recours contre cette décision, la Cour administrative d’Autriche a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’applicabilité de l’obligation de préinformation du règlement n° 1370/2007 à un marché de services attribué conformément aux directives sur les marchés publics. Elle cherchait également à savoir si la violation de cette obligation entraînait nécessairement l’illégalité de l’appel d’offres et si une réglementation nationale pouvait écarter l’annulation de la procédure lorsque l’illégalité n’a pas eu d’incidence décisive sur son issue.

La question de droit soumise à la Cour était donc double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’obligation de préinformation prévue par le règlement sectoriel sur les services publics de transport s’ajoute aux obligations prévues par les directives générales sur les marchés publics. D’autre part, il convenait de préciser les conséquences juridiques d’un manquement à cette obligation, notamment en ce qui concerne la légalité de la procédure de passation ultérieure.

La Cour de justice répond que l’obligation de préinformation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1370/2007 s’applique bien aux marchés de services publics de transport attribués selon les procédures des directives sur les marchés publics. Toutefois, elle juge que la violation de cette obligation « n’entraîne pas l’annulation de l’appel d’offres concerné pour autant que les principes d’équivalence, d’effectivité et d’égalité de traitement sont respectés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

Par cette décision, la Cour de justice réaffirme la primauté du droit spécial sur le droit général en matière de marchés publics de transport, tout en confiant au juge national le soin d’apprécier la sanction de sa violation au cas par cas. Ainsi, la Cour consacre l’autonomie de l’obligation de préinformation spécifique au secteur des transports (I), avant de définir un régime de sanction subordonné au respect des principes fondamentaux du droit de l’Union (II).

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I. La consécration de l’autonomie de l’obligation de préinformation

La Cour établit d’abord que l’obligation de préinformation prévue par le règlement n° 1370/2007 s’impose même lorsque le marché est régi par les directives générales, en raison de sa nature de *lex specialis* (A). Elle souligne ensuite le caractère plus contraignant de cette obligation spécifique par rapport aux mécanismes de préinformation du droit commun des marchés publics (B).

A. L’application cumulative du règlement et des directives sur les marchés publics

La Cour de justice confirme que le champ d’application du règlement n° 1370/2007 et celui des directives sur les marchés publics ne s’excluent pas mutuellement. Elle juge que pour l’attribution d’un marché de service public de transport de voyageurs par autobus, seules certaines dispositions de l’article 5 de ce règlement sont écartées, ce qui signifie que « les autres dispositions dudit règlement demeurent applicables ». La Cour en déduit logiquement que l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, qui instaure l’obligation de préinformation, s’applique aux contrats de marchés publics attribués selon les procédures prévues par les directives 2014/24 ou 2014/25.

Cette solution s’explique par la nature même du règlement n° 1370/2007, qui vise spécifiquement les services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route. Comme le précise la Cour, ce texte « prévoit des modalités d’intervention dans des régimes généraux de marchés publics ». Par conséquent, ses dispositions constituent des règles spéciales, ou *lex specialis*, qui « ont vocation soit à se substituer, soit à s’ajouter aux règles générales » des directives. Le silence des directives sur une obligation de préinformation aussi spécifique que celle du règlement ne saurait donc conduire à écarter l’application de cette dernière.

B. La portée renforcée de l’obligation de préinformation sectorielle

La Cour prend soin de distinguer l’obligation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement des obligations similaires prévues par les directives sur les marchés publics. Elle relève que l’obligation du règlement est plus spécifique et plus stricte à plusieurs égards. Premièrement, elle est impérative pour le pouvoir adjudicateur, alors que les avis de préinformation des directives sont souvent facultatifs. Deuxièmement, elle s’applique non seulement en cas de mise en concurrence, mais aussi en cas d’attribution directe.

Surtout, la Cour souligne que cette obligation impose « le délai impératif d’un an précédant le lancement de la procédure de mise en concurrence » et une publication au Journal officiel de l’Union européenne, des contraintes absentes des régimes généraux de préinformation des directives. En tant que *lex specialis*, cette disposition « prévaut sur ces dernières ». Cette obligation spécifique poursuit un objectif clair, rappelé par la Cour, qui est de permettre aux opérateurs économiques « de réagir aux intentions du pouvoir adjudicateur » et de leur accorder « le temps de mieux se préparer à la mise en concurrence ». La rigueur de cette exigence est donc justifiée par la nécessité de garantir une concurrence effective et transparente dans un secteur complexe.

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II. Une sanction modulée en fonction des circonstances de l’espèce

Après avoir affirmé le caractère obligatoire de la préinformation, la Cour en précise les sanctions. Elle écarte l’idée d’une annulation automatique de la procédure en cas de manquement (A), et renvoie au juge national le soin de déterminer la sanction appropriée au regard des principes d’effectivité et d’égalité de traitement (B).

A. L’absence d’une sanction d’annulation automatique en droit de l’Union

La Cour de justice rappelle que si les directives « Recours » imposent aux États membres de prévoir la possibilité d’« annuler ou de faire annuler les décisions illégales », le droit de l’Union ne prévoit pas pour autant « une règle générale selon laquelle l’illégalité entachant un acte ou une omission à un stade donné de la procédure rendrait illégaux tous les actes ultérieurs de cette procédure ». Une telle sanction n’est prévue que dans des cas limités et graves, comme l’absence totale de publication d’un avis de marché.

Or, le manquement à l’obligation de préinformation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1370/2007 ne figure pas parmi ces illégalités sanctionnées par une nullité de plein droit. La Cour en conclut qu’en l’absence de disposition spécifique, la définition de la sanction « relève du droit national ». Cette solution est conforme au principe de l’autonomie procédurale des États membres, encadré cependant par les principes d’équivalence et d’effectivité. Il appartient donc à chaque ordre juridique national de déterminer si l’absence de préinformation doit entraîner l’annulation de l’appel d’offres, à condition de ne pas rendre l’exercice des droits conférés par l’Union « pratiquement impossible ou excessivement difficile ».

B. L’appréciation concrète de l’atteinte à la concurrence par le juge national

La Cour guide le juge national dans son application du principe d’effectivité. Elle distingue la situation où l’opérateur est privé d’une chance de contester une attribution directe de celle, comme en l’espèce, où une procédure de mise en concurrence est organisée. Dans ce second cas, la violation de l’obligation de préinformation « ne fait pas par elle–même obstacle à ce que l’opérateur économique puisse effectivement participer à cette mise en concurrence ». L’annulation ne s’impose donc pas.

Toutefois, la Cour apporte une nuance essentielle. L’annulation de l’appel d’offres reste possible si l’opérateur économique « rapporte la preuve que, à la suite de la publication d’un appel d’offres, l’absence de préinformation l’a désavantagé dans une mesure appréciable ». Ce désavantage pourrait par exemple exister par rapport à l’opérateur sortant, qui bénéficie d’une connaissance approfondie du marché. Une telle situation constituerait une violation du principe d’effectivité, mais également du principe d’égalité de traitement. L’appréciation d’un tel désavantage doit être effectuée *in concreto* par la juridiction nationale, en tenant compte de tous les éléments pertinents, tels que le délai laissé pour répondre à l’appel d’offres ou les informations dont l’opérateur requérant disposait par d’autres moyens.

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Hassan KOHEN
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