Cour de justice de l’Union européenne, le 20 septembre 2018, n°C-546/16

Par une décision dont la date et la formation de jugement ne sont pas précisées, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics. En l’espèce, il est permis de déduire qu’un soumissionnaire, candidat à l’attribution d’un marché public, a vu son offre rejetée au motif qu’elle n’avait pas atteint un score technique minimal qui était exigé par le cahier des charges. L’offre de ce soumissionnaire a par conséquent été écartée avant même que son prix ne soit examiné. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer et a adressé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle. Il s’agissait pour la juridiction nationale de savoir si le droit de l’Union en matière de marchés publics s’opposait à ce qu’un pouvoir adjudicateur puisse légalement fixer un seuil de notation technique en deçà duquel une offre se trouve automatiquement éliminée de la procédure d’attribution, et ce, sans considération du nombre de candidats restants. La question portait donc sur la compatibilité d’une telle clause d’élimination technique avec les objectifs et les dispositions de la directive 2014/24/UE.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative en deux temps. D’une part, elle juge que la directive ne s’oppose pas à ce qu’un cahier des charges impose des exigences minimales pour l’évaluation technique, entraînant l’exclusion des offres qui n’atteignent pas ce seuil. D’autre part, elle précise que cette exclusion peut intervenir indépendamment du nombre de soumissionnaires encore en lice après cette phase d’évaluation. Cette décision vient ainsi consacrer la légalité d’un seuil technique éliminatoire dans les procédures de passation (I), tout en affirmant l’entière autonomie de la phase d’évaluation technique par rapport aux étapes ultérieures du processus d’attribution (II).

I. La consécration d’un seuil technique éliminatoire

La Cour de justice de l’Union européenne valide la pratique consistant à fixer une note technique minimale, considérant cette exigence comme compatible avec les principes de la commande publique (A) et légitimant ainsi un mécanisme efficace de présélection qualitative des offres (B).

A. La compatibilité de l’exigence d’une note technique minimale avec le droit de l’Union

La Cour estime que la directive 2014/24/UE « ne s’oppose pas à une législation nationale […] qui permet aux pouvoirs adjudicateurs d’imposer, dans le cahier des charges d’une passation de marché […], des exigences minimales quant à l’évaluation technique ». Cette position reconnaît la marge d’appréciation dont disposent les pouvoirs adjudicateurs pour définir leurs besoins et garantir un niveau de qualité suffisant des prestations. L’objectif de la directive n’est pas seulement d’assurer la concurrence par les prix, mais aussi et surtout de permettre à l’acheteur public d’obtenir l’offre économiquement la plus avantageuse, laquelle se fonde sur un équilibre entre la qualité et le coût. En autorisant la fixation d’un standard technique plancher, la Cour admet que la qualité peut être érigée en prérequis non négociable.

Cette interprétation ne contrevient pas aux principes de transparence et d’égalité de traitement, dès lors que le seuil minimal et les critères d’évaluation sont clairement définis en amont dans les documents de la consultation. Tous les soumissionnaires sont ainsi informés des règles du jeu et sont placés sur un pied d’égalité pour préparer leur proposition. L’exclusion d’une offre pour insuffisance technique ne constitue donc pas une mesure arbitraire, mais l’application objective d’une règle préalablement établie et portée à la connaissance de tous.

B. La légitimation d’un mécanisme de présélection qualitative

En validant ce mécanisme, la Cour légitime une pratique qui permet aux pouvoirs adjudicateurs de se prémunir contre le risque d’attribuer le marché à une offre dont le faible prix dissimulerait une qualité technique inacceptable. En effet, sans un tel seuil, une offre techniquement très médiocre mais financièrement très attractive pourrait, par le jeu d’une pondération mathématique, obtenir un classement final supérieur à des offres plus pertinentes sur le plan technique. Le seuil éliminatoire agit donc comme un garde-fou, garantissant que seules les offres présentant des garanties de qualité suffisantes accéderont à la phase finale de comparaison avec le critère du prix.

Cette solution pragmatique renforce l’efficacité de la commande publique en permettant de concentrer l’analyse comparative sur un panel d’offres qui répondent toutes à un standard qualitatif jugé indispensable par le pouvoir adjudicateur. La décision reconnaît que la satisfaction du besoin de l’acheteur public prime et que ce besoin ne se résume pas à une simple recherche du moindre coût. La qualité technique peut ainsi être considérée comme une condition substantielle de l’offre.

Cette validation du principe de l’exclusion sur une base purement technique conduit logiquement la Cour à en préciser le caractère absolu, en le détachant des contingences liées au nombre de participants à la procédure.

II. L’autonomie affirmée de la phase d’évaluation technique

La Cour de justice renforce sa position en précisant que l’application du seuil technique est inconditionnelle, notamment au regard du nombre de candidats restants (A), conférant par là une portée considérable à sa décision pour la conduite des procédures de marchés publics (B).

A. L’indifférence du nombre de soumissionnaires restants

La décision énonce que le rejet des offres techniquement insuffisantes s’opère « indépendamment du nombre de soumissionnaires restants ». Ce faisant, la Cour affirme que l’évaluation technique constitue une phase autonome et que son issue ne saurait être remise en cause pour des motifs d’opportunité, par exemple pour préserver un certain degré de concurrence pour la phase finale. La règle fixée dans le cahier des charges doit être appliquée de manière stricte et systématique, quand bien même cela conduirait à n’admettre qu’un seul candidat, voire aucun, à l’étape suivante.

Cette précision est fondamentale car elle confère à l’évaluation technique une véritable fonction de filtre, et non une simple fonction de classement. Le respect du niveau de qualité exigé est une condition de passage impérative. La Cour écarte ainsi toute tentation pour un pouvoir adjudicateur de moduler l’application de ses propres règles en fonction du résultat de la consultation, ce qui serait contraire au principe de sécurité juridique et d’égalité de traitement des candidats. L’intégrité de la procédure impose que l’exclusion soit la conséquence automatique et non négociable de l’insuffisance technique constatée.

B. La portée de la solution pour les pouvoirs adjudicateurs

La portée de cet arrêt est significative pour l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs de l’Union. Il leur offre une sécurité juridique appréciable en validant explicitement une méthode d’évaluation qui, bien que déjà pratiquée, pouvait susciter des incertitudes juridiques. Les acheteurs publics peuvent désormais recourir à des seuils techniques éliminatoires avec la certitude que cette pratique est conforme au droit de l’Union, pourvu qu’elle soit mise en œuvre de manière transparente et non discriminatoire.

En définitive, cette décision clarifie l’articulation entre les différents critères d’attribution et réaffirme la prééminence de la volonté du pouvoir adjudicateur dans la définition de ses besoins. Elle conforte une vision de la commande publique où la recherche de la performance et de la qualité n’est pas subordonnée à la seule logique concurrentielle du prix le plus bas. La Cour établit un équilibre en permettant d’écarter les offres qualitativement déficientes, tout en maintenant une saine compétition entre les soumissionnaires ayant démontré leur capacité à satisfaire les exigences techniques fondamentales du marché.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture