Cour de justice de l’Union européenne, le 21 décembre 2011, n°C-271/09

Dans un arrêt du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité des règles d’un État membre encadrant les placements des fonds de pension avec le principe de la libre circulation des capitaux. En l’espèce, la législation nationale concernée imposait à des fonds de pension ouverts, qui constituent le deuxième pilier obligatoire d’un système de retraite fonctionnant par capitalisation, des restrictions sur leurs investissements à l’étranger. Ces limitations étaient à la fois quantitatives, avec un plafond de 5 % des actifs pouvant être investis hors du territoire national, et qualitatives, la liste des actifs étrangers éligibles étant plus restreinte que celle des actifs nationaux. De surcroît, le calcul de la rémunération des sociétés gérant ces fonds était structuré de manière à dissuader les placements dans des parts d’organismes de placement collectif étrangers. Saisie par l’institution gardienne des traités, la Cour était appelée à déterminer si une telle législation portait une atteinte injustifiée à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’État membre mis en cause soutenait que ces dispositions échappaient au champ d’application du droit de l’Union, en invoquant la nature sociale et non économique des fonds, ainsi que sa compétence en matière de sécurité sociale. À titre subsidiaire, il arguait que ces mesures étaient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, notamment la nécessité de garantir la stabilité et la sécurité du système de retraite. La Cour de justice a jugé que la législation en cause constituait un manquement aux obligations découlant de la libre circulation des capitaux. Elle a d’abord affirmé que l’activité de ces fonds relevait bien du champ d’application du traité, avant de conclure que les restrictions imposées étaient disproportionnées et ne pouvaient être justifiées.

Il convient d’analyser la confirmation par la Cour du caractère économique de l’activité des fonds de pension par capitalisation, qui justifie l’application du principe de libre circulation des capitaux (I), avant d’examiner le contrôle rigoureux exercé sur les justifications nationales, qui conduit au rejet des mesures protectionnistes déguisées en règles prudentielles (II).

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I. L’assujettissement des fonds de pension à la libre circulation des capitaux

La Cour fonde l’applicabilité de l’article 56 CE en qualifiant l’activité des fonds de pension d’économique (A), écartant ainsi les arguments de l’État membre relatifs à la spécificité de la sécurité sociale (B).

A. La qualification d’activité économique des fonds fonctionnant par capitalisation

La décision réaffirme une jurisprudence établie selon laquelle le mode de fonctionnement d’un organisme est déterminant pour sa qualification. La Cour rappelle que « des fonds de pension professionnelle fonctionnant selon le principe de la capitalisation exercent, nonobstant leur finalité sociale […] une activité économique ». Elle observe que le régime en cause repose sur la capitalisation, où les prestations futures dépendent du rendement des placements effectués, et non sur le principe de répartition. De plus, la gestion de ces fonds est confiée à des sociétés privées agissant sous la forme de sociétés par actions et à titre onéreux. Ces éléments suffisent à caractériser une activité économique, soumise aux règles de concurrence et aux libertés fondamentales du marché intérieur.

Le contrôle prudentiel exercé par les autorités publiques ou la garantie apportée par l’État pour couvrir d’éventuels déficits ne modifient pas cette nature fondamentale. Ces mécanismes de supervision et de sécurité visent à protéger les affiliés mais n’ôtent pas aux opérations de placement leur caractère économique. La Cour distingue ainsi nettement ces systèmes des régimes de sécurité sociale légaux, fondés sur la solidarité nationale et fonctionnant par répartition, dont l’activité n’est généralement pas considérée comme économique. Cette analyse confirme une approche fonctionnelle du droit de l’Union, qui s’attache à la nature de l’activité exercée plutôt qu’au statut juridique ou à la finalité sociale de l’entité.

B. Le rejet des exceptions fondées sur la compétence nationale en matière sociale

L’État membre tentait de soustraire sa législation au droit de l’Union en invoquant sa compétence pour organiser son système de sécurité sociale. La Cour écarte cet argument avec fermeté, en rappelant que si les États membres sont libres de définir les principes de leurs systèmes, ils doivent le faire dans le respect du droit de l’Union. Les dispositions du traité qui préservent la compétence des États en la matière ne sauraient faire échec à l’application des libertés fondamentales, comme la libre circulation des capitaux. De même, l’argument tiré du régime de la propriété, selon lequel les fonds seraient de nature publique, est jugé inopérant.

La Cour précise que le traité « ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres », mais que cette disposition ne peut avoir pour effet de soustraire les régimes de propriété aux règles fondamentales du traité. Elle ajoute que la notion de mouvements de capitaux couvre explicitement les opérations sur les avoirs des organismes publics. En refusant de créer une exception pour les fonds de pension obligatoires, la Cour assure la primauté et l’effet utile des libertés de circulation. Elle empêche ainsi les États membres d’invoquer leurs compétences résiduelles pour se soustraire à des obligations fondamentales et cloisonner leurs marchés financiers sous couvert de politique sociale.

II. Le contrôle strict de la proportionnalité des restrictions prudentielles

Après avoir établi l’applicabilité de l’article 56 CE, la Cour examine les justifications avancées par l’État membre et constate que les mesures sont discriminatoires et disproportionnées (A), consacrant ainsi une approche rigoureuse qui limite la marge de manœuvre des autorités nationales (B).

A. L’illégitimité des mesures prudentielles discriminatoires

La Cour reconnaît que la nécessité de garantir la stabilité et la sécurité des actifs des fonds de pension constitue une raison impérieuse d’intérêt général. Un tel objectif peut en principe justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux. Toutefois, elle rappelle que pour être admises, « de telles restrictions doivent toutefois être appropriées à l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé ». Or, la législation nationale échoue à ce test de proportionnalité. Les limitations quantitatives et qualitatives s’appliquent de manière beaucoup plus stricte aux investissements étrangers qu’aux investissements nationaux, sans justification objective.

La Cour rejette l’idée que les difficultés à évaluer les risques liés aux placements à l’étranger pourraient justifier de telles règles. Elle souligne que l’harmonisation des législations en matière d’information financière et de protection des investisseurs au sein de l’Union facilite justement la création d’un marché commun des capitaux. De même, la commodité administrative pour les autorités de surveillance nationales ne constitue pas une justification valable pour entraver une liberté fondamentale. Les mesures qui dissuadent les investissements étrangers, comme celles sur les frais de gestion et les coûts de transaction, sont également jugées disproportionnées, car de tels coûts doivent être pris en compte par tout investisseur prudent, sans qu’il soit nécessaire d’instaurer des barrières législatives discriminatoires.

B. La portée de la décision : une mise en garde contre le protectionnisme prudentiel

En jugeant les mesures nationales disproportionnées, la Cour adresse un message clair aux États membres. Elle affirme que si l’adoption de règles prudentielles est légitime, celles-ci ne doivent pas aboutir à un protectionnisme déguisé visant à favoriser les investissements sur le marché national. La limite quantitative de 5 % pour les investissements étrangers est jugée manifestement trop restrictive, notamment au regard d’autres textes de l’Union suggérant des seuils bien plus élevés. L’État membre n’a pas apporté la preuve que cette limite stricte était indispensable à la protection de la sécurité des fonds.

Cette décision revêt une portée significative en ce qu’elle renforce l’intégration du marché européen des capitaux, y compris dans le secteur des retraites par capitalisation. Elle rappelle que la diversification géographique des placements est un principe fondamental de la gestion prudente des actifs, que les législations nationales ne sauraient contrecarrer par des règles arbitrairement restrictives. En soumettant les justifications nationales à un contrôle de proportionnalité strict, la Cour se positionne en gardienne de l’intégrité du marché intérieur et limite la capacité des États à ériger des barrières, même lorsqu’ils poursuivent des objectifs légitimes de politique publique. L’arrêt contraint ainsi les États membres à rechercher des instruments de contrôle prudentiel moins restrictifs et non discriminatoires pour assurer la sécurité de leurs systèmes de retraite.

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Hassan KOHEN
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