Cour de justice de l’Union européenne, le 21 décembre 2021, n°C-524/20

Par un arrêt du 21 décembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions procédurales de contestation des actes de l’Union en matière d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

En l’espèce, une entreprise exploitant une installation sidérurgique utilisait un procédé de convertisseur à oxygène, lequel transformait de la fonte liquide acquise auprès d’une autre entité. L’exploitant avait sollicité l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit pour la période 2013-2020, en argüant que son procédé était lié au référentiel de produit « fonte liquide » défini par la réglementation européenne. L’autorité nationale compétente, après avoir envisagé une répartition des quotas entre le producteur de la fonte et son utilisateur afin d’éviter un double comptage, a soumis sa liste d’installations à la Commission européenne. Par une décision du 5 septembre 2013, la Commission a rejeté l’inscription de l’installation concernée sur la liste des bénéficiaires, au motif que celle-ci ne produisait pas de fonte liquide mais se contentait de l’importer, ce qui excluait l’application du référentiel de produit correspondant. En conséquence, l’autorité nationale a refusé l’allocation des quotas à l’entreprise. Saisie d’un recours contre ce refus, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice, portant à la fois sur l’interprétation des règles d’allocation et sur la validité de la décision de la Commission.

La question principale soumise à la Cour était de savoir si un opérateur économique, qui n’a pas contesté dans les délais un acte de l’Union le visant directement et individuellement, peut ultérieurement en exciper l’invalidité devant une juridiction nationale.

La Cour de justice a jugé irrecevables les questions relatives à la validité de la décision de la Commission. Elle a estimé que l’entreprise requérante était directement et individuellement concernée par cette décision et disposait donc sans aucun doute de la qualité pour en demander l’annulation devant le Tribunal de l’Union. Faute d’avoir exercé ce recours en temps utile, la décision est devenue définitive à son égard, empêchant toute remise en cause ultérieure de sa validité au nom du principe de sécurité juridique.

Cette solution, bien que fondée sur des motifs purement procéduraux, confirme une approche stricte des conditions d’allocation des quotas. Il convient ainsi d’examiner la confirmation d’une irrecevabilité procédurale qui fait obstacle à l’examen au fond du droit à l’allocation (I), avant d’analyser la portée de cette solution quant aux règles matérielles gouvernant le système d’échange (II).

I. La confirmation d’une irrecevabilité procédurale, obstacle à l’examen au fond du droit à l’allocation

La Cour de justice fonde sa décision sur une fin de non-recevoir tirée de la forclusion du recours de la requérante, réaffirmant ainsi avec rigueur les exigences de la sécurité juridique dans le contentieux de l’Union.

A. La consécration de la forclusion du recours en annulation

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un justiciable ne peut se prévaloir de l’invalidité d’un acte de l’Union devant une juridiction nationale s’il disposait d’un droit de recours direct contre cet acte et n’en a pas fait usage. Pour que cette forclusion soit opposable, il faut que l’opérateur ait eu, « sans aucun doute », qualité pour agir en annulation sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. La Cour vérifie donc si la décision de la Commission concernait directement et individuellement l’entreprise requérante. S’agissant de l’affectation directe, elle relève que l’autorité nationale ne disposait « de la moindre marge d’appréciation » et était tenue de refuser l’allocation des quotas suite à la décision de la Commission.

Quant à l’affectation individuelle, la Cour constate que l’acte de la Commission visait spécifiquement l’installation de la requérante, désignée « au moyen d’un identificateur individuel ». La décision a ainsi atteint l’entreprise « en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne ». Dès lors, l’entreprise avait qualité pour agir et, en s’abstenant de le faire, a laissé la décision devenir définitive à son égard.

B. L’application rigoureuse du principe de sécurité juridique

En déclarant irrecevables les questions portant sur la validité de la décision, la Cour fait prévaloir le principe de sécurité juridique, lequel exige que les actes de l’Union qui n’ont pas été contestés en temps utile ne puissent être remis en cause indéfiniment. Cette approche garantit la stabilité de l’ordre juridique de l’Union et prévient les stratégies contentieuses visant à contourner les délais de recours. La conséquence est directe : « le caractère définitif de ladite décision ne peut plus être remis en cause dans le cadre de la procédure devant la juridiction de renvoi ». L’autorité nationale et, par suite, le juge national, se trouvent liés par un acte dont la légalité ne peut plus être débattue par les parties au litige principal.

L’application de cette jurisprudence, si elle clôt le débat sur la légalité de la décision de la Commission, laisse cependant entrevoir l’interprétation que la Cour fait des règles de fond, interprétation qui se révèle tout aussi restrictive que sa position procédurale.

II. La portée d’une solution fondée sur des motifs procéduraux quant aux règles matérielles d’allocation

Bien que la Cour n’examine pas le fond du litige, son analyse de l’une des questions préjudicielles révèle une conception stricte des conditions d’éligibilité aux quotas, qui exclut toute flexibilité dans leur attribution.

A. L’interprétation stricte des conditions d’éligibilité au référentiel de produit

En réponse à une question sur l’interprétation de la décision de 2013, la Cour précise la portée des règles d’allocation définies par la décision 2011/278. Elle rappelle que l’allocation de quotas au titre d’un référentiel de produit est conditionnée à la fabrication du produit en question. La notion de « sous-installation avec référentiel de produit » est définie comme étant liée « à la fabrication d’un produit ». Par conséquent, « il ne saurait y avoir d’allocation de quotas d’émission à titre gratuit à une sous-installation au titre d’un référentiel de produit lorsque cette sous-installation ne fabrique pas le produit en question ».

L’arrêt confirme ainsi que le fait d’utiliser un produit comme intrant, même si ce procédé génère des émissions, ne rend pas l’installation éligible aux quotas gratuits prévus pour la production de cet intrant. La Cour valide l’analyse de la Commission selon laquelle une installation qui « importe de la fonte liquide mais n’en produit pas » ne peut bénéficier des quotas alloués au titre du référentiel de la fonte liquide.

B. Le refus d’une ventilation des quotas entre producteurs et utilisateurs

L’arrêt écarte implicitement la possibilité d’une répartition des quotas entre l’installation qui produit la fonte liquide et celle qui l’utilise dans un procédé ultérieur. La Cour interprète la référence à la prévention du « double comptage » dans la décision de la Commission non comme une condition ouvrant droit à une allocation partagée, mais comme « un élément de motivation supplémentaire afin de justifier l’exclusion de l’allocation ». Cette lecture confirme que le système est conçu pour attribuer l’intégralité des quotas liés à un produit à l’installation qui le fabrique.

Une telle approche, bien que rigoureuse sur le plan juridique, soulève des questions sur l’équilibre économique du système. Elle fait peser sur l’utilisateur final la charge d’acquérir des quotas sur le marché pour couvrir les émissions de son propre procédé, alors même que ce dernier est technologiquement lié à la production initiale. La solution retenue par la Cour, en validant indirectement le refus de la Commission, conforte une logique d’attribution centrée sur le produit et non sur la chaîne de production dans son ensemble.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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