Cour de justice de l’Union européenne, le 21 décembre 2023, n°C-718/21

La Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 21 décembre 2023, un arrêt majeur relatif à l’indépendance des juges nationaux. Un magistrat du Sąd Okręgowy de K. a informé le Conseil national de la magistrature de sa volonté de poursuivre ses fonctions au-delà de l’âge légal. Par une résolution du 18 février 2021, cet organe a prononcé un non-lieu à statuer au motif que la demande était tardive selon le droit polonais. Le demandeur a alors formé un recours contre cette décision devant la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques du Sąd Najwyższy. Cette formation de jugement a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de la réglementation nationale avec les traités. Le problème juridique porte sur le point de savoir si une instance de renvoi nommée dans des conditions irrégulières constitue une juridiction au sens du droit européen. La Cour de justice déclare la demande irrecevable car la formation de jugement ne remplit pas les exigences de tribunal indépendant et impartial établi par la loi. L’analyse portera sur l’exclusion de la qualité de juridiction de l’instance de renvoi avant d’étudier le renforcement des garanties constitutionnelles liées à l’indépendance des magistrats.

I. L’exclusion de la qualité de juridiction de l’instance de renvoi

L’examen de la recevabilité de la question préjudicielle suppose que l’organisme de renvoi possède les caractéristiques d’une juridiction au sens de l’article 267 du Traité. Le juge européen relève que les membres de la chambre nationale concernée ont été nommés en violation manifeste des règles fondamentales régissant le système judiciaire interne. Cette irrégularité découle notamment du fait que les nominations sont intervenues alors que la force exécutoire de la résolution de proposition avait été suspendue par la justice administrative. La décision souligne que « les nominations en cause sur la base de la résolution […] pourtant suspendue par cette ordonnance a gravement porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ». Une telle méconnaissance de l’autorité des décisions de justice entache irrémédiablement le processus de désignation des magistrats siégeant au sein de la juridiction suprême. Le constat de ces manquements procéduraux conduit logiquement à écarter la qualité de tribunal établi préalablement par la loi pour la formation de jugement ayant saisi la Cour.

La remise en cause de la régularité de l’instance de renvoi implique nécessairement le renversement de la présomption de conformité habituellement reconnue aux juridictions supérieures des États membres. La Cour précise que cette présomption « peut être renversée lorsqu’une décision judiciaire définitive […] conduirait à considérer que le juge […] n’a pas la qualité de tribunal indépendant ». L’existence d’arrêts définitifs rendus par la Cour européenne des droits de l’homme ou par la juridiction administrative nationale permet ici de fonder cette appréciation rigoureuse. Le juge de l’Union refuse de s’en tenir à une simple apparence de légalité lorsque des éléments systémiques graves corroborent une absence de garanties juridictionnelles effectives. Cette approche garantit que seules les instances respectant les principes de l’État de droit peuvent participer au dialogue judiciaire instauré par la procédure de renvoi préjudiciel. L’analyse des irrégularités constatées permet désormais d’apprécier la valeur de cette décision au regard des exigences de l’indépendance organique et fonctionnelle.

II. Le renforcement des exigences d’indépendance et d’impartialité

L’indépendance d’un tribunal se mesure prioritairement à la neutralité du processus de nomination de ses membres vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif de l’État. La Cour de justice pointe du doigt l’influence prépondérante des autorités politiques au sein du Conseil national de la magistrature dans sa composition résultant de la réforme législative. Le juge européen confirme l’« absence de garanties suffisantes d’indépendance, à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif, de la krs dans sa nouvelle composition ». La réforme a permis au pouvoir législatif d’élire la majorité des membres de cet organisme, rompant ainsi avec la tradition de l’élection par les pairs. Cette modification structurelle crée un risque réel d’influence directe ou indirecte des autorités politiques sur le choix des futurs magistrats de la plus haute juridiction. Le lien organique entre l’organe de proposition et le pouvoir politique fragilise la légitimité des juges ainsi nommés au sein du système juridictionnel de l’Union.

La protection de la confiance des justiciables envers l’institution judiciaire constitue l’objectif final des garanties d’indépendance et d’impartialité consacrées par la Charte des droits fondamentaux. L’accumulation des irrégularités entourant la création de la nouvelle chambre de la Cour suprême est de nature à « engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des intéressés ». Le juge souligne que les compétences sensibles attribuées à cette formation, comme le contentieux électoral, exigent une apparence de neutralité absolue pour maintenir la paix sociale. La solution retenue par la Cour renforce la portée de la protection juridictionnelle effective en érigeant l’indépendance en condition sine qua non de la mission de juger. Cet arrêt constitue un avertissement ferme contre toute tentative de mainmise politique sur les structures judiciaires nationales sous couvert de réorganisation administrative ou législative. L’intégrité du système judiciaire européen repose désormais sur une vigilance accrue quant aux modalités concrètes de désignation de chaque magistrat appelé à appliquer le droit commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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