Par un arrêt rendu le 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conséquences du défaut de transposition d’une directive par un État membre. En l’espèce, une directive du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 29 avril 2004 et visant à harmoniser le respect des droits de propriété intellectuelle au sein de l’Union, imposait aux États membres de prendre les mesures nationales d’application dans un délai déterminé. Constatant qu’un État membre n’avait pas procédé à cette transposition dans le temps imparti, la Commission européenne a initié une procédure en manquement. Après une phase précontentieuse restée infructueuse, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate officiellement la violation du droit de l’Union par l’État membre concerné. Le recours de la Commission soutenait que la simple omission d’adopter les dispositions nationales requises suffisait à caractériser un manquement aux obligations découlant des traités. Il convenait donc de se demander si l’absence de transposition d’une directive dans le délai prescrit par le législateur de l’Union constitue, en soi, un manquement d’un État membre à ses obligations. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant « qu’en n’ayant pas pris, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [un État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci ».
I. La consécration d’un manquement objectif à l’obligation de transposition
A. Une application rigoureuse de la procédure en manquement
La décision commentée constitue une application classique du recours en manquement prévu par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette procédure permet à la Commission européenne, en sa qualité de gardienne des traités, de faire contrôler par la Cour de justice le respect par les États membres de leurs obligations. Le manquement est apprécié de manière objective, la seule constatation matérielle de l’inexécution d’une obligation suffisant à le caractériser. Il importe peu que l’État membre ait été confronté à des difficultés internes, qu’elles soient d’ordre politique, administratif ou juridique. La Cour rappelle ainsi de manière constante que l’existence même du manquement découle de la non-atteinte du résultat prescrit par la norme européenne. En l’espèce, l’obligation de transposer la directive 2004/48/CE était claire et assortie d’un délai précis. L’absence de mesures nationales à l’expiration de ce délai suffisait donc à établir la défaillance de l’État membre. La solution est une illustration de la primauté et de l’effet contraignant du droit de l’Union.
B. Le rappel de la portée de l’obligation de transposition
Cet arrêt souligne l’importance fondamentale de l’obligation de transposition qui incombe aux États membres en vertu du droit primaire. Une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Pour que cet instrument d’harmonisation produise sa pleine efficacité, sa transposition doit être complète, correcte et effectuée dans les délais. Un retard perturbe le fonctionnement du marché intérieur et crée une inégalité de traitement entre les opérateurs économiques des différents États. En matière de propriété intellectuelle, le défaut de transposition de la directive 2004/48/CE privait les titulaires de droits, sur le territoire de l’État défaillant, des garanties procédurales et des voies de recours harmonisées prévues par le texte. La décision réaffirme ainsi que le respect des délais de transposition n’est pas une simple contrainte formelle, mais une condition essentielle à la réalisation des objectifs de l’Union et à la garantie de la sécurité juridique pour les justiciables.
II. La sanction du manquement et ses implications futures
A. La nature essentiellement déclaratoire de l’arrêt
La première étape de la procédure contentieuse en manquement aboutit à un arrêt déclaratoire. La Cour de justice ne prononce pas d’astreinte ni d’amende à ce stade. Elle se borne à constater officiellement l’existence de la violation du droit de l’Union, comme en témoigne le premier point du dispositif. La force de cet arrêt réside dans son autorité de chose jugée et dans l’obligation pour l’État membre condamné de prendre, dans les meilleurs délais, les mesures que comporte l’exécution de la décision. L’État ne peut plus contester l’existence de l’infraction et doit y mettre un terme. La condamnation aux dépens, prévue au second point du dispositif, constitue la seule sanction financière immédiate, mais elle a un caractère accessoire. Le principal effet de la décision est donc de formaliser l’illicéité du comportement de l’État et de le contraindre politiquement et juridiquement à se conformer à ses engagements européens.
B. Les risques encourus en cas de persistance du manquement
Bien que déclaratoire, cet arrêt ouvre la voie à des conséquences potentiellement plus sévères si l’État membre persiste dans sa défaillance. Si la Commission européenne estime que l’État condamné ne s’est pas conformé à l’arrêt, elle peut saisir à nouveau la Cour de justice. Cette seconde procédure peut alors aboutir à une condamnation pécuniaire, sous la forme d’une somme forfaitaire et/ou d’une astreinte journalière. Le but de ces sanctions financières est d’inciter l’État récalcitrant à exécuter la première décision et à cesser le manquement. Par ailleurs, la non-transposition d’une directive peut également engager la responsabilité de l’État à l’égard des particuliers. Si les dispositions de la directive sont suffisamment précises et inconditionnelles, les justiciables lésés par l’absence de transposition peuvent invoquer la responsabilité de l’État devant les juridictions nationales pour obtenir réparation du préjudice subi. La portée de la décision dépasse donc la simple relation entre l’État et les institutions de l’Union.