La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision rendue le 21 février 2013, précise le régime de l’obtention transfrontalière des preuves. Un déraillement de train survient lors d’un transport international, provoquant des dégâts matériels sur le réseau ferroviaire d’un État voisin du lieu de l’accident. La société de transport ferroviaire sollicite la désignation d’un expert devant le président du Tribunal de commerce de Bruxelles statuant en matière de référé. Le juge accueille cette demande et définit une mission d’expertise devant se dérouler en majeure partie sur le territoire d’un autre État membre. Le gestionnaire de l’infrastructure conteste cette ordonnance devant la Cour d’appel de Bruxelles, laquelle rejette l’appel par un arrêt confirmatif du 24 décembre 2009. Un pourvoi est formé devant la Cour de cassation de Belgique, invoquant la violation des règles européennes de coopération en matière civile. La juridiction suprême nationale interroge alors la Cour de justice sur l’obligation d’utiliser la procédure d’exécution directe prévue par le droit communautaire. Le problème juridique réside dans l’éventuelle exclusivité du règlement n° 1206/2001 lorsqu’un juge ordonne une mesure d’instruction hors de ses frontières. La Cour répond que le magistrat n’est pas tenu de recourir à cet instrument, sauf si l’expertise porte atteinte à l’autorité publique. L’analyse de cette solution impose d’examiner le caractère facultatif du mécanisme européen avant d’aborder les limites tenant à la souveraineté des États.
I. L’affirmation du caractère non exclusif du mécanisme européen de preuve
A. Une interprétation téléologique privilégiant l’efficacité de la justice
Le règlement n° 1206/2001 tend à améliorer, simplifier et accélérer la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’instruction. La Cour souligne que ce texte ne restreint pas les facultés d’obtention des preuves, mais vise au contraire à renforcer les outils existants. Une application obligatoire de la procédure européenne risquerait de prolonger excessivement la durée des instances judiciaires nationales par des formalités trop rigides. Le juge peut donc écarter le règlement s’il estime qu’une mesure nationale s’avère « plus simple, plus efficace et plus rapide » pour le litige. Cette souplesse assure la primauté de l’efficacité juridictionnelle sur le formalisme administratif dans la gestion des preuves situées sur un territoire étranger.
B. La préservation de la liberté de choix du juge national
La Cour précise que le règlement européen ne régit pas l’obtention transfrontalière des preuves d’une manière exhaustive au sein de l’espace judiciaire. Les juridictions nationales conservent le droit d’appliquer leur propre législation pour ordonner une expertise sans solliciter l’autorisation préalable des autorités de l’État requis. Cette faculté est confirmée par la possibilité pour les États de conclure des accords visant à faciliter davantage la circulation des éléments de preuve. La décision énonce qu’une juridiction « n’est pas nécessairement tenue de recourir au moyen d’obtention des preuves prévu » par le droit de l’Union. Si le recours au règlement européen revêt un caractère optionnel, cette liberté du juge se heurte néanmoins à la protection des souverainetés étatiques.
II. La subsistance d’un cadre protecteur de la souveraineté territoriale
A. L’autorité publique comme limite au pouvoir d’instruction direct
Le magistrat peut charger un expert d’une mission à l’étranger sans passer par le règlement, à condition de ne pas empiéter sur l’autorité publique. Une expertise effectuée dans des lieux dont l’accès est interdit ou strictement réglementé pourrait effectivement affecter la souveraineté de l’État membre requis. Dans une telle hypothèse, le recours à la procédure européenne devient impératif pour garantir le respect des principes fondamentaux du droit de l’État sollicité. Le consentement préalable de l’organisme central est alors requis pour que l’acte d’instruction puisse se dérouler régulièrement sur le territoire d’accueil. Le respect de l’autorité publique s’accompagne d’une distinction stricte entre les différents instruments de coopération judiciaire régissant l’espace judiciaire commun.
B. L’autonomie du droit des preuves face au régime de reconnaissance
La Cour refuse d’appliquer par analogie les règles relatives à la reconnaissance mutuelle des décisions de justice prévues par le règlement n° 44/2001. Elle considère que l’article 33 de ce dernier texte est sans incidence sur la résolution d’une difficulté liée à la phase d’instruction. L’obtention des preuves constitue une étape préparatoire qui ne saurait être assimilée à l’exécution forcée d’un jugement rendu sur le fond du droit. Cette distinction fondamentale permet de préserver l’indépendance fonctionnelle des différents règlements européens en évitant toute confusion entre les mécanismes de coopération. La solution retenue assure ainsi un équilibre entre la nécessaire célérité des procès civils et la protection légitime des intérêts des États membres.