La décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne offre une illustration précise de l’articulation entre les garanties procédurales et la responsabilité des institutions de l’Union. En l’espèce, une agente d’une institution financière de l’Union avait initié une procédure interne en déposant une plainte pour harcèlement sexuel. Cette démarche a abouti à une décision du président de l’institution, en date du 16 octobre 2015, de ne pas donner suite à sa plainte. S’estimant lésée tant par cette décision que par les conditions dans lesquelles l’enquête avait été menée, l’agente a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de ladite décision, assorti de conclusions indemnitaires visant à réparer le préjudice prétendument subi. Par un arrêt du 13 juillet 2017, le Tribunal a rejeté l’intégralité de son recours. L’agente a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant le raisonnement du Tribunal et invoquant notamment des illégalités dans la conduite de la procédure d’enquête et une violation de son droit à être entendue équitablement. La question de droit soulevée consistait donc à déterminer si les manquements aux règles procédurales lors d’une enquête interne sur une plainte pour harcèlement sont de nature à vicier la décision finale de l’administration et à engager la responsabilité non contractuelle de l’institution. La Cour de justice y répond en annulant l’arrêt du Tribunal ainsi que la décision de l’institution, reconnaissant que les failles procédurales peuvent à la fois justifier une annulation et fonder une action en responsabilité. La solution clarifie ainsi l’étendue du contrôle juridictionnel sur les procédures administratives internes (I) et définit les contours de la responsabilité en découlant (II).
I. L’annulation comme sanction d’une procédure d’enquête irrégulière
La Cour de justice fonde sa décision d’annulation sur une appréciation rigoureuse du respect des droits de la défense durant la phase d’enquête administrative. Elle censure ainsi la validation par le Tribunal d’une procédure manifestement défaillante (A), réaffirmant par là même le caractère fondamental du droit à une procédure équitable pour tout agent (B).
A. La censure d’une enquête conduite en violation du droit d’être entendu
En annulant la décision du président de la Banque européenne d’investissement, la Cour de justice sanctionne indirectement mais certainement les conditions dans lesquelles l’enquête interne a été menée. Le pourvoi mettait en cause de « prétendues illégalités commises dans le cadre de la procédure d’enquête, incluant le non-respect du droit de la requérante à ce que sa cause soit entendue équitablement ». En faisant droit à cette branche du pourvoi, la haute juridiction établit qu’une enquête administrative, même interne, doit se conformer aux principes fondamentaux du droit de l’Union, au premier rang desquels figure le droit pour toute personne de faire valoir ses observations sur les éléments à charge retenus contre elle. Le fait que l’arrêt du Tribunal soit annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions afférentes à ces illégalités signifie que le premier juge a commis une erreur de droit en ne tirant pas les conséquences de telles violations. La décision de classement, étant le produit d’une instruction viciée, ne pouvait donc subsister dans l’ordre juridique.
B. La réaffirmation du droit à une procédure équitable comme garantie substantielle
Au-delà de la seule technique juridique, cette solution consacre l’importance du formalisme procédural comme une protection essentielle de l’individu face à l’institution qui l’emploie. Le traitement d’une plainte pour harcèlement ne peut être considéré comme une simple mesure de gestion interne discrétionnaire. En imposant que la cause de l’agent soit « entendue équitablement », la Cour rappelle que les institutions de l’Union sont tenues par une obligation de diligence et d’impartialité. Le respect de cette exigence est d’autant plus crucial dans des situations de harcèlement, où la position de la victime est souvent empreinte de vulnérabilité. La portée de l’arrêt dépasse ainsi le cas d’espèce pour adresser un signal clair à l’ensemble de l’administration de l’Union : la légalité d’une décision finale est indissociable de la régularité de la procédure qui y a conduit. Une procédure inéquitable contamine irrémédiablement l’acte qu’elle prépare.
II. La responsabilité institutionnelle comme conséquence de la faute procédurale
Parallèlement à l’annulation, la Cour de justice se prononce sur les conséquences indemnitaires des illégalités constatées, reconnaissant la possibilité d’un préjudice autonome né de la faute procédurale (A), tout en en délimitant précisément les contours (B).
A. La reconnaissance d’un préjudice autonome né de la conduite de l’enquête
L’apport majeur de l’arrêt réside dans l’annulation de la décision du Tribunal « en tant qu’il a rejeté […] les conclusions indemnitaires présentées par [la requérante] dans son recours, fondées sur la responsabilité de la Banque européenne d’investissement (bei) pour de prétendues illégalités commises dans le cadre de la procédure d’enquête ». La Cour établit ici une distinction fondamentale entre le préjudice qui résulterait du harcèlement lui-même et celui, distinct, qui découle directement des manquements de l’institution dans le traitement de la plainte. En considérant que le Tribunal ne pouvait rejeter ces conclusions indemnitaires, la Cour admet qu’une procédure menée de manière déloyale ou partiale peut causer à l’agent un préjudice moral propre, tel que l’anxiété, un sentiment d’injustice ou une atteinte à sa dignité, indépendamment du bien-fondé de la plainte initiale. Cette faute procédurale constitue un fait générateur de responsabilité non contractuelle pour l’institution.
B. Une mise en jeu de la responsabilité strictement circonscrite à la faute
Toutefois, la Cour prend soin de borner la portée de sa décision en précisant que « le pourvoi est rejeté pour le surplus ». Cette formule indique que toutes les demandes de la requérante n’ont pas été accueillies et que la responsabilité de l’institution n’est pas engagée de manière illimitée. La condamnation à réparation ne saurait être automatique et ne peut porter que sur les conséquences dommageables directement liées aux illégalités avérées de la procédure d’enquête. Le rejet du surplus du recours initial, également confirmé par la Cour, montre bien que l’annulation de la décision administrative pour vice de procédure n’emporte pas nécessairement une reconnaissance du bien-fondé de l’accusation de harcèlement elle-même. La responsabilité de la Banque est donc engagée non pour avoir couvert des faits de harcèlement, mais bien pour avoir manqué à ses obligations de mener une enquête impartiale et équitable, ce qui constitue une faute de service d’une nature distincte.