Cour de justice de l’Union européenne, le 21 janvier 2010, n°C-444/07

Par un arrêt du 21 janvier 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser l’articulation des règles de compétence et de reconnaissance prévues par le règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. En l’espèce, une société ayant son siège statutaire dans un État membre y a fait l’objet d’une décision d’ouverture de procédure d’insolvabilité. Postérieurement à cette décision, les autorités administratives d’un autre État membre, où la société disposait d’une succursale, ont ordonné la saisie conservatoire de ses avoirs bancaires et de créances détenues sur des cocontractants locaux. Les juridictions de ce second État, saisies d’un recours, ont maintenu ces mesures, exprimant des doutes sur la reconnaissance de la procédure d’insolvabilité étrangère et justifiant la saisie par le risque d’un transfert des actifs vers le premier État. Face à cette situation, la juridiction de l’État d’ouverture, chargée de la procédure d’insolvabilité, a saisi la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle. Il lui était ainsi demandé si les autorités d’un État membre pouvaient ordonner une saisie sur les biens d’un débiteur après l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité dans un autre État membre, alors même que le droit de cet État d’ouverture s’y oppose. La Cour de justice a répondu que les autorités d’un État membre sont tenues de reconnaître une procédure principale d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre et ne peuvent ordonner de mesures d’exécution sur les biens du débiteur situés sur leur territoire, lorsque la loi de l’État d’ouverture ne le permet pas. Cette solution rappelle avec force les principes fondamentaux du règlement, consacrant l’efficacité de la procédure principale (I), ce qui a pour corollaire de limiter de manière stricte l’autonomie des autres États membres (II).

I. La consécration de l’effet universel de la procédure principale d’insolvabilité

L’arrêt réaffirme que le système instauré par le règlement repose sur une reconnaissance automatique de la procédure principale, dont les effets sont déterminés par une loi unique, celle de l’État d’ouverture. Cette approche garantit la portée universelle de la procédure, fondée sur le principe de confiance mutuelle (A) et sur la compétence exclusive de la loi du for pour régir ses effets (B).

A. La reconnaissance automatique, pilier de la confiance mutuelle

La décision de la Cour repose sur l’interprétation combinée des articles 16 et 17 du règlement. En vertu de ces dispositions, « toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3 est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture ». Cette reconnaissance s’opère de plein droit et produit, sans autre formalité, les effets que lui attache la loi de l’État d’ouverture. La Cour souligne que ce mécanisme repose sur le principe de la confiance mutuelle, lequel a permis la mise en place d’un système de compétences obligatoire et la renonciation des États membres à leurs propres règles de reconnaissance. Il est ainsi inhérent à ce système que les juridictions des autres États membres reconnaissent la décision d’ouverture sans pouvoir contrôler l’appréciation de compétence de la première juridiction saisie. En l’espèce, les juridictions allemandes ne pouvaient donc remettre en cause la légitimité de la procédure ouverte en Pologne, dont la compétence était présumée en vertu de la localisation du siège statutaire de la société.

B. La loi de l’État d’ouverture, régulatrice des effets de la procédure

Le règlement établit une correspondance claire entre la juridiction compétente et la loi applicable. L’article 4, paragraphe 1, dispose que, sauf disposition contraire, « la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte ». Le paragraphe 2 précise que cette loi, dite *lex concursus*, détermine notamment les biens qui font l’objet du dessaisissement et les effets de la procédure sur les poursuites individuelles. L’arrêt applique rigoureusement cette règle. La procédure principale ayant été ouverte en Pologne, la loi polonaise régissait l’ensemble de ses effets, y compris sur les actifs situés en Allemagne. Or, il était constant que le droit polonais interdisait toute procédure d’exécution sur les biens du débiteur après la déclaration d’insolvabilité. En conséquence, la loi applicable désignée par le règlement s’opposait directement aux mesures de saisie ordonnées par les autorités allemandes en application de leur propre législation nationale. L’universalité de la procédure principale implique donc non seulement une reconnaissance de la décision d’ouverture elle-même, mais aussi une application de ses effets matériels tels que définis par la *lex concursus*.

II. Une limitation stricte de l’autonomie des autres États membres

En affirmant la primauté des règles de reconnaissance et de la loi applicable, la Cour encadre sévèrement la capacité des États membres autres que celui de l’ouverture à intervenir sur les biens du débiteur. Cette limitation se traduit par une interdiction de principe des mesures nationales contraires (A) et par une interprétation restrictive des motifs de refus de reconnaissance (B).

A. L’interdiction des mesures d’exécution nationales concurrentes

La conséquence logique de l’effet universel de la procédure principale est la paralysie des voies d’exécution individuelles dans les autres États membres. Dès lors que la procédure principale est ouverte et que ses effets, régis par la loi de l’État d’ouverture, incluent la suspension ou l’interdiction des poursuites, les autorités d’un autre État membre perdent leur faculté d’agir sur les actifs locaux du débiteur. La Cour le formule sans équivoque en jugeant que les autorités allemandes « ne pouvaient valablement ordonner, en application de la législation allemande, des mesures d’exécution portant sur les biens de [la société] situés en Allemagne ». Une telle mesure reviendrait à nier les effets de la reconnaissance automatique et à fragmenter le patrimoine du débiteur, à l’encontre de l’objectif d’efficacité et de coordination du règlement. La seule exception à cette universalité réside dans l’ouverture d’une procédure secondaire, laquelle n’avait pas été initiée en l’espèce. En l’absence d’une telle procédure, le syndic désigné dans la procédure principale a seul le pouvoir d’administrer l’ensemble des biens, y compris ceux situés à l’étranger.

B. Le caractère exceptionnel des motifs de refus de reconnaissance

L’arrêt rappelle que le règlement ne prévoit que des motifs de refus de reconnaissance très limités, lesquels doivent être interprétés strictement. L’article 26 permet à un État membre de refuser la reconnaissance ou l’exécution d’une décision si celle-ci produit des effets « manifestement contraires à son ordre public ». La Cour, par une jurisprudence constante transposable à ce règlement, précise que le recours à la clause de l’ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels. Il ne saurait être utilisé pour écarter l’application d’une loi étrangère au seul motif que la solution qu’elle prescrit diffère de celle retenue par le droit de l’État requis. Les préoccupations des juridictions allemandes, liées au recouvrement de créances et au risque de dissipation des actifs, ne sauraient constituer une atteinte manifeste à l’ordre public justifiant une méconnaissance des règles du règlement. En écartant implicitement cette possibilité, la Cour de justice renforce la cohérence du système et prévient les risques d’une application divergente qui viderait de leur substance les principes de reconnaissance mutuelle et d’universalité.

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Hassan KOHEN
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