Cour de justice de l’Union européenne, le 21 janvier 2016, n°C-281/14

Dans un arrêt rendu par sa dixième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à se prononcer sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation formé par une entité privée à l’encontre d’un acte d’une agence de l’Union ne lui étant pas formellement destiné. En l’espèce, une autorité nationale de l’aviation civile avait obtenu un concours financier de l’Union européenne pour la réalisation d’une étude de faisabilité. La mise en œuvre de cette étude avait été confiée par cette autorité publique à une société de droit privé, concessionnaire de la gestion d’un aéroport. À la suite de l’achèvement de l’étude, une agence exécutive de l’Union a informé l’autorité nationale que certains coûts exposés n’étaient pas éligibles et qu’une partie de l’avance versée devait être remboursée. La société privée, supportant en définitive la charge financière de cette décision, a introduit un recours en annulation contre cet acte devant le Tribunal de l’Union européenne. Par ordonnance, le Tribunal a déclaré ce recours irrecevable, au motif principal que la société requérante n’avait pas qualité pour agir, n’étant ni directement ni individuellement concernée par l’acte litigieux. La société a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’appréciation du Tribunal sur sa qualité pour agir.

La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si une société privée, non bénéficiaire formelle d’un concours financier de l’Union mais chargée de la réalisation du projet et supportant les conséquences financières d’une réduction de ce concours, peut être considérée comme directement concernée par l’acte opérant cette réduction, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Par son arrêt, la Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’ordonnance du Tribunal. Elle juge que la société requérante n’est pas directement concernée par l’acte litigieux. La Cour retient que les effets juridiques de cet acte sur la situation de la société ne sont pas automatiques et ne découlent pas de la seule réglementation de l’Union. Ils résultent en réalité de la convention conclue entre la société et l’autorité nationale, laquelle laissait à cette dernière un pouvoir d’appréciation quant à la répercussion de la charge financière.

Cette solution conduit à s’interroger sur l’interprétation stricte de la condition d’affectation directe retenue par la Cour (I), une interprétation qui, tout en réaffirmant une approche classique de la recevabilité, a pour conséquence de canaliser la protection des tiers vers d’autres voies de droit (II).

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I. La confirmation d’une conception stricte de l’affectation directe

La Cour de justice valide le raisonnement du Tribunal en retenant une définition rigoureuse de l’affectation directe, qui exige que l’acte attaqué produise par lui-même des effets sur la situation juridique du requérant. Elle juge que l’obligation de remboursement ne découle pas de l’acte de l’Union (A) et refuse de prendre en considération le rôle matériel joué par la société dans la mise en œuvre du projet (B).

A. L’absence d’un lien de causalité automatique entre l’acte et la situation juridique du requérant

La Cour rappelle la jurisprudence constante selon laquelle la condition d’affectation directe, pour être remplie, suppose une double exigence. Il faut, d’une part, que l’acte « produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne » et, d’autre part, « ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires ». En l’espèce, l’acte litigieux, qui constatait un trop-perçu, était adressé à l’autorité nationale de l’aviation civile, seule bénéficiaire formelle du concours financier.

La Cour approuve le Tribunal d’avoir considéré que l’éventuelle obligation pour la société gestionnaire de l’aéroport de restituer les sommes litigieuses ne découlait pas de cet acte. Cette obligation trouvait sa source dans la convention que la société avait elle-même conclue avec l’autorité nationale. C’est en vertu de ce contrat de droit privé, et non de l’acte de l’Union, que la charge financière finale lui incombait. La Cour souligne que l’autorité nationale, destinataire de l’acte, conservait une marge d’appréciation et n’était pas automatiquement contrainte par le droit de l’Union d’exiger le remboursement auprès de son cocontractant. L’enchaînement des faits n’était donc pas inéluctable et dépendait de l’interposition d’une décision de l’autorité nationale.

B. Le rejet de la prise en compte du rôle matériel du délégataire

Devant les juges, la société requérante avait fait valoir qu’elle était la véritable exécutante du projet et la destinataire matérielle de la décision, puisque les reproches formulés dans l’acte litigieux sur le non-respect des règles de marchés publics la concernaient directement. Elle soutenait que cette situation de fait, ainsi que les contacts directs qu’elle avait eus avec l’agence de l’Union, devaient suffire à la reconnaître comme directement concernée. La Cour écarte cet argument, s’en tenant à une approche formelle.

Elle relève que la décision d’octroi du financement désignait l’autorité nationale comme unique bénéficiaire et responsable du projet. Le fait que cette autorité ait délégué la réalisation à un tiers ne modifie pas la relation juridique établie entre l’Union et le bénéficiaire désigné. La Cour refuse ainsi de faire prévaloir la réalité économique et opérationnelle sur la structure juridique formelle de l’octroi de l’aide. De même, elle rejette l’argument tiré d’une prétendue atteinte à l’image de la société, le considérant comme un moyen nouveau et donc irrecevable au stade du pourvoi, ce qui confirme son refus d’élargir les critères d’affectation directe à des considérations extra-patrimoniales dans ce contexte.

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II. La portée d’une solution classique réaffirmant la sécurité juridique

En confirmant l’irrecevabilité du recours, la Cour de justice ne fait pas œuvre d’innovation mais consolide une jurisprudence bien établie, soucieuse de préserver la clarté des rapports juridiques (A). Cette rigueur procédurale a pour corollaire d’inciter les opérateurs économiques non-bénéficiaires à sécuriser leur position par d’autres moyens (B).

A. La primauté de la relation formelle pour la stabilité des rapports juridiques

La solution retenue s’inscrit dans la lignée d’arrêts antérieurs, notamment l’arrêt *Regione Siciliana/Commission*, où la Cour avait déjà jugé qu’une entité infra-étatique ne pouvait être considérée comme directement concernée par une décision de récupération d’aide adressée à l’État membre. La logique sous-jacente est celle de la sécurité juridique. Les institutions de l’Union doivent pouvoir s’en tenir aux interlocuteurs qu’elles ont formellement désignés comme bénéficiaires des financements, sans avoir à connaître de la cascade de délégations ou de relations contractuelles qui peuvent exister en aval.

Admettre la recevabilité du recours de la société privée aurait abouti à une complexification des contentieux et à une incertitude sur l’identité des véritables parties à l’instance. La Cour privilégie une lecture claire des conditions de l’article 263 du Traité, qui réserve en principe le recours en annulation aux destinataires des actes ou à ceux dont la situation juridique est affectée sans filtre ni marge d’appréciation. En l’espèce, le filtre était constitué par la convention liant la société à l’autorité nationale, et la marge d’appréciation résidait dans la faculté pour cette dernière de décider de supporter ou non la charge de la récupération.

B. L’orientation des tiers vers les voies de droit contractuelles et indemnitaires

En fermant la porte du recours en annulation, la décision de la Cour a une portée pédagogique. Elle incite les opérateurs économiques qui participent à des projets financés par l’Union sans en être les bénéficiaires directs à une plus grande vigilance contractuelle. Pour se prémunir contre les conséquences d’une réduction ou d’une récupération du financement, ces opérateurs doivent négocier des clauses spécifiques dans les conventions qui les lient aux bénéficiaires formels, organisant par exemple les modalités de contestation des décisions des instances de l’Union ou la répartition des risques financiers.

Par ailleurs, la Cour rappelle elle-même qu’une autre voie de droit subsiste. Elle souligne en effet que le droit à une protection juridictionnelle effective est assuré par la possibilité d’introduire un recours en indemnité sur le fondement de l’article 268 du Traité. Bien que ses conditions d’exercice et son objet soient distincts, ce recours permet de rechercher la responsabilité non contractuelle de l’Union pour le préjudice qui aurait été causé par l’illégalité de l’acte de son agence. La Cour confirme ainsi que si l’accès au prétoire du juge de l’annulation est strictement encadré, le système des voies de recours de l’Union offre des alternatives pour garantir la protection des droits des justiciables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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