Par un arrêt du 21 janvier 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la notion de « prestations équivalentes » au sens du règlement n° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. En l’espèce, deux personnes résidant en Autriche et affiliées au régime d’assurance maladie autrichien au titre de leur pension nationale percevaient également des pensions de vieillesse d’un régime professionnel de la Principauté de Liechtenstein, acquises au titre d’un emploi antérieur. L’organisme de sécurité sociale autrichien avait décidé de soumettre ces pensions étrangères à des cotisations d’assurance maladie, conformément à sa législation nationale qui prévoit une telle contribution pour les pensions étrangères relevant du champ d’application du règlement européen.
Suite à une contestation, une autorité administrative avait limité l’assiette de la cotisation à la seule part obligatoire du régime liechtensteinois, excluant la part complémentaire. Saisie du litige, la juridiction administrative suprême autrichienne a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si un régime de pension professionnel d’un État membre et un régime légal de pension d’un autre État membre constituaient des « prestations équivalentes » au sens de l’article 5, sous a), du règlement précité. Une réponse affirmative autoriserait l’État de résidence à appliquer sa législation en matière de cotisations sociales à l’ensemble des revenus de pension étrangers. La Cour a jugé que des prestations de vieillesse servies par des régimes différents doivent être considérées comme équivalentes dès lors qu’elles poursuivent le même objectif, à savoir assurer à leurs bénéficiaires le maintien d’un niveau de vie en rapport avec celui dont ils jouissaient avant leur retraite. Cette solution consacre une interprétation fonctionnelle de la notion de prestations équivalentes (I), dont il convient d’analyser la portée sur le financement des régimes de sécurité sociale (II).
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I. La consécration d’une interprétation fonctionnelle des prestations équivalentes
La Cour de justice opère une clarification bienvenue en écartant une approche purement formelle de l’équivalence (A) pour lui préférer un critère fondé sur la finalité des prestations en cause (B).
A. Le rejet d’une analyse structurelle des régimes de pension
La Cour de justice refuse de conditionner l’équivalence des prestations à une identité de nature des régimes dont elles sont issues. Le fait que l’un des régimes soit légal et par répartition, tandis que l’autre est un régime professionnel par capitalisation, n’est pas un obstacle à la qualification de prestations équivalentes. La Cour prend acte que la législation liechtensteinoise sur le régime de pension professionnel a été notifiée dans son intégralité par la Principauté de Liechtenstein comme relevant du champ d’application matériel du règlement n° 883/2004. Cependant, elle précise que deux prestations « ne sauraient être considérées comme étant équivalentes […] au seul motif qu’elles relèvent toutes les deux du champ d’application du même règlement ». Une telle lecture viderait en effet l’exigence d’équivalence de sa substance.
Par ailleurs, les juges distinguent la notion de « prestations équivalentes » de l’article 5, sous a), de celle de « prestations de même nature » figurant à l’article 53 du même règlement, consacré aux règles anticumul. La Cour souligne que « si le législateur de l’Union avait voulu appliquer les critères jurisprudentiels relatifs à l’interprétation de cette notion de ‘prestations de même nature’ […], il aurait utilisé la même terminologie ». Cette dissociation conceptuelle permet d’appliquer à chaque notion un régime interprétatif propre, adapté à la finalité de la disposition concernée. L’équivalence au sens de l’article 5, sous a), qui vise à assimiler des situations pour garantir l’égalité de traitement, ne se confond pas avec l’identité de nature, qui sert à prévenir le cumul de prestations ayant le même objet.
B. L’affirmation du critère de l’objectif commun
Pour définir la notion de « prestations équivalentes », la Cour de justice retient un critère téléologique, fondé sur la comparabilité des objectifs poursuivis par les prestations. Elle indique que cette notion « doit être interprétée comme se référant, en substance, à deux prestations de vieillesse qui sont comparables ». Le caractère comparable des prestations s’apprécie au regard de « l’objectif poursuivi par ces prestations et par les réglementations qui les ont instaurées ». Cette approche fonctionnelle s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure et répond à la volonté du législateur de l’Union, exprimée au considérant 9 du règlement, d’intégrer le principe jurisprudentiel d’assimilation des faits et des prestations.
Dans le cas d’espèce, la Cour constate que les prestations servies tant par le régime autrichien que par le régime liechtensteinois poursuivent un objectif identique. Elles visent en effet à « assurer à leurs bénéficiaires le maintien d’un niveau de vie en rapport avec celui dont ils jouissaient avant leur retraite ». Cette finalité commune suffit à établir leur équivalence, peu importent les différences structurelles. La Cour ajoute que « la circonstance qu’il existe des différences relatives, notamment, à la façon dont les droits à ces prestations ont été acquis ou à la possibilité pour les assurés de bénéficier de prestations complémentaires facultatives ne saurait justifier une conclusion différente ». Ainsi, l’intégralité de la pension professionnelle, y compris sa part facultative, doit être considérée comme équivalente à la pension légale autrichienne.
II. La portée de l’assimilation sur le financement de la sécurité sociale
La solution retenue par la Cour de justice a pour effet de légitimer l’extension de l’assiette des cotisations sociales dans l’État de résidence (A), une solution qui n’est toutefois pas dépourvue de limites (B).
A. La légitimation de l’élargissement de l’assiette des cotisations
En qualifiant d’équivalentes les pensions en cause, la Cour permet à l’État de résidence d’appliquer sa législation nationale en matière de cotisations. L’article 5, sous a), du règlement n° 883/2004 impose en effet que, si le bénéfice de prestations de sécurité sociale produit certains effets juridiques dans un État membre, ces effets s’appliquent également en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises dans un autre État membre. En l’espèce, la législation autrichienne attachant au versement d’une pension nationale une obligation de cotiser à l’assurance maladie, cette même obligation doit s’appliquer à la pension liechtensteinoise. La décision conforte ainsi la compétence de l’État de résidence pour déterminer les modalités de financement de son système de santé.
Cette solution repose sur un principe de solidarité. Le titulaire de pensions, qui réside en Autriche et bénéficie à ce titre des prestations en nature de l’assurance maladie de cet État, doit contribuer au financement de ce régime en fonction de sa capacité contributive globale. Cette capacité inclut l’ensemble de ses revenus de remplacement, qu’ils soient d’origine nationale ou étrangère, dès lors qu’ils poursuivent un même objectif de maintien du niveau de vie. L’assimilation des prestations permet donc d’assurer une égalité de traitement entre les pensionnés, qu’ils perçoivent des revenus d’un seul ou de plusieurs États membres, et de garantir la pérennité financière des systèmes de sécurité sociale.
B. Les limites et perspectives de la solution
La Cour encadre néanmoins la portée de cette assimilation en évoquant l’existence possible d’une « justification objective » à un traitement différencié. Elle donne l’exemple d’une situation où des cotisations pour la couverture des prestations de maladie auraient déjà été prélevées dans l’État de la source de la pension. Bien qu’un tel cas de double prélèvement ne soit pas avéré en l’espèce, cette mention constitue une réserve importante. Elle rappelle que le principe d’assimilation ne doit pas conduire à une double charge pour le citoyen européen. Le mécanisme de coordination vise à éviter tant les cumuls de prestations que les cumuls de cotisations sur une même base de revenu.
En définitive, cet arrêt renforce la logique du règlement n° 883/2004, qui vise à assurer que les personnes qui se déplacent au sein de l’Union ne subissent ni préjudice ni avantage indu du fait de l’application coordonnée des législations nationales. En adoptant une interprétation large et fonctionnelle de la notion de prestations équivalentes, la Cour favorise une application étendue du principe de solidarité dans l’État de résidence. Elle garantit ainsi que la charge du financement de la sécurité sociale est répartie équitablement entre tous les résidents bénéficiant du système, en proportion de leurs revenus de remplacement, quelle qu’en soit l’origine géographique au sein de l’Espace économique européen.