Cour de justice de l’Union européenne, le 21 janvier 2021, n°C-607/19

Un fabricant de matériel de jardinage, titulaire d’une marque tridimensionnelle de l’Union européenne enregistrée pour des « aspersoirs », a engagé une action en contrefaçon à l’encontre d’une société de distribution qui commercialisait un kit de tuyau d’arrosage. En défense, la société assignée a formé une demande reconventionnelle visant à faire prononcer la déchéance des droits du titulaire sur sa marque pour défaut d’usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans. La procédure a suivi son cours devant les juridictions allemandes. Si le tribunal de première instance a accueilli la demande en contrefaçon et rejeté la demande en déchéance, la cour d’appel a infirmé ce jugement. Elle a prononcé la déchéance de la marque en considérant que la période de cinq ans de non-usage devait s’apprécier non pas à la date d’introduction de la demande reconventionnelle, mais à la date de la clôture des débats devant elle, date à laquelle les cinq ans étaient effectivement écoulés. Saisie d’un pourvoi, la Cour fédérale de justice allemande a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle. Il s’agissait de savoir si la détermination de la date pertinente pour le calcul de la période de non-usage de cinq ans, dans le cadre d’une demande reconventionnelle en déchéance, relevait du droit de l’Union et, dans l’affirmative, s’il fallait retenir la date d’introduction de la demande ou celle de la clôture des débats en dernière instance de fait. Par son arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de justice a jugé que le règlement sur la marque de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que la date à prendre en compte est celle de l’introduction de la demande reconventionnelle.

La solution clarifie un point de procédure essentiel pour la pérennité des droits attachés à la marque de l’Union, en consacrant la date de la demande comme point de référence temporel unique pour l’action en déchéance (I), ce qui a pour effet de renforcer de manière significative le caractère unitaire de la marque et la sécurité juridique pour ses titulaires (II).

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I. La consécration de la date de la demande comme point de référence temporel de l’action en déchéance

La Cour de justice établit une règle claire en écartant l’application des droits procéduraux nationaux au profit d’une interprétation autonome du droit de l’Union (A), fondée sur une analyse de la portée des effets de la déchéance (B).

A. Le rejet de l’autonomie procédurale nationale au nom de l’interprétation uniforme

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité de déterminer la date pertinente pour l’appréciation du non-usage en se référant aux règles de procédure nationales. En droit allemand, il est en effet possible de prendre en compte des faits survenus jusqu’à la clôture de l’audience des plaidoiries. La Cour de justice rejette cependant fermement cette approche en matière de marque de l’Union. Elle rappelle que l’objectif premier du règlement est « d’assurer le caractère unitaire de la marque de l’Union ». Admettre que la date d’appréciation du non-usage puisse varier selon les États membres introduirait une divergence inacceptable. Comme le souligne la Cour, « un tel caractère unitaire pourrait ainsi être remis en cause si l’étendue de la protection de la marque que le titulaire de celle-ci tire du droit de l’Union pouvait varier, dans le cadre de demandes reconventionnelles en déchéance, selon les règles procédurales propres aux États membres dans lesquels ces demandes sont introduites ». La solution ne peut donc être trouvée que dans le règlement lui-même.

B. La détermination de la date pertinente par l’effet juridique de la déchéance

Pour fixer la date pertinente, la Cour s’appuie sur une lecture logique de l’article 55, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009. Cette disposition prévoit que la déchéance prend effet à compter de la date de la demande. Si une date antérieure peut être fixée sur requête d’une partie, le texte n’envisage en aucun cas une date postérieure. La Cour en déduit qu’il serait incohérent de faire produire à la déchéance ses effets à la date de la demande, tout en appréciant ses conditions de bien-fondé à une date ultérieure. Une telle construction reviendrait à sanctionner une situation qui n’était pas encore constituée au moment où l’action a été engagée. Ainsi, « la demande ne pourra aboutir que si cette circonstance a été constatée à une telle date ». Le fait générateur de la déchéance, à savoir l’écoulement de la période de cinq ans de non-usage, doit donc être accompli au jour où la demande reconventionnelle est formée.

Cette interprétation stricte assure une parfaite cohérence du système et conduit à une solution dont la portée dépasse le simple aspect procédural pour renforcer les fondements même de la marque de l’Union.

II. Le renforcement du caractère unitaire de la marque et de la sécurité juridique

En privilégiant une approche unifiée, la Cour de justice fait primer le caractère unitaire de la marque sur des considérations d’économie de la procédure (A), garantissant ainsi une meilleure prévisibilité pour les titulaires de droits (B).

A. La primauté du caractère unitaire sur l’économie de la procédure

La juridiction de renvoi et la cour d’appel allemande avaient mis en avant l’argument de l’économie de la procédure. Selon cette logique, permettre d’apprécier le non-usage à la date de la clôture des débats éviterait au demandeur à la déchéance d’avoir à introduire une nouvelle action si la période de cinq ans venait à expirer en cours d’instance. La Cour de justice écarte cet argument pratique, le jugeant secondaire par rapport à l’impératif d’uniformité. Elle estime que le bien-fondé d’une demande en déchéance « ne saurait dépendre de la durée d’une procédure nationale ». En effet, la solution contraire aurait pour conséquence de faire dépendre le sort d’un titre de propriété intellectuelle unitaire de l’engorgement variable des juridictions nationales, créant une inégalité de traitement et une incertitude manifestes. La protection conférée par la marque de l’Union ne peut être à géométrie variable en fonction du lieu où l’action est jugée.

B. La garantie d’une sécurité juridique accrue pour le titulaire de la marque

La décision offre une sécurité juridique considérable au titulaire d’une marque. Celui-ci sait désormais que, lorsqu’il fait l’objet d’une demande reconventionnelle en déchéance, l’analyse du non-usage sera figée à la date de cette demande. Il n’a plus à craindre que l’écoulement du temps durant une procédure longue et complexe ne vienne fragiliser son droit. Cette solution le protège contre une stratégie qui consisterait, pour un défendeur, à engager une action prématurément puis à laisser la procédure s’étirer en espérant que le délai de cinq ans de non-usage s’accomplisse avant la décision finale. En fixant un point de référence temporel unique et certain, la Cour de justice renforce la prévisibilité du droit et la solidité de la marque de l’Union européenne en tant qu’actif stratégique pour les entreprises.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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