Cour de justice de l’Union européenne, le 21 juillet 2011, n°C-284/10

Par l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne, en sa septième chambre, s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 97/13/CE relative au cadre commun pour les autorisations générales dans le secteur des télécommunications.

En l’espèce, une entreprise titulaire d’une autorisation générale pour la fourniture de services de télécommunications dans un État membre s’est vu imposer le paiement d’une taxe annuelle. Le montant de cette taxe était calculé sur la base de ses revenus bruts d’exploitation. L’entreprise a contesté la légalité de cette taxe, estimant qu’un tel mode de calcul et sa périodicité annuelle étaient contraires aux dispositions du droit de l’Union.

Le litige a été porté devant une juridiction nationale. Celle-ci, confrontée à une difficulté d’interprétation de la directive 97/13, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’article 6 de ladite directive s’oppose à une réglementation nationale qui établit une taxe administrative annuelle à la charge des opérateurs, calculée sur la base de leurs revenus bruts d’exploitation, et destinée à couvrir les frais liés à la gestion du régime des autorisations.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative, sous une réserve essentielle. Elle juge que l’article 6 de la directive 97/13 « ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre instaurant une taxe à la charge des titulaires d’autorisations générales, calculée selon une périodicité annuelle et sur la base des revenus bruts d’exploitation des opérateurs assujettis, ayant pour objet de couvrir les frais administratifs liés aux procédures de délivrance, de gestion, de contrôle et de mise en œuvre de ces autorisations ». Elle conditionne cependant cette validité au respect d’un plafond strict, précisant que cela vaut « pour autant que l’ensemble des recettes obtenues par cet État membre au titre d’une telle taxe n’excède pas l’ensemble de ces frais administratifs, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

Cette solution, qui vient clarifier les modalités de financement des régimes d’autorisation, repose sur la reconnaissance d’une méthode de calcul objective et pragmatique (I), tout en l’enserrant dans les limites strictes du principe de proportionnalité (II).

I. La consécration d’une taxe administrative fondée sur un critère objectif

La Cour de justice valide le mécanisme de taxation retenu par l’État membre en admettant que le calcul puisse reposer sur les revenus bruts de l’opérateur (A) et que sa perception puisse revêtir un caractère annuel (B).

A. L’admission du revenu brut d’exploitation comme base de calcul

La Cour examine en premier lieu la compatibilité du critère des revenus bruts d’exploitation avec les exigences de la directive. Elle le qualifie de critère « objectif, transparent et non discriminatoire », reprenant en cela les observations de plusieurs gouvernements et de la Commission. En effet, ce critère ne dépend pas d’une évaluation discrétionnaire de l’administration mais d’une donnée comptable vérifiable, ce qui garantit une sécurité juridique aux opérateurs. Il assure également une égalité de traitement entre les assujettis, chacun contribuant en fonction de son poids économique sur le marché.

La Cour estime en outre que ce critère n’est pas « sans relation avec les coûts encourus par l’autorité nationale compétente ». Bien qu’indirect, le lien est logiquement présumé : un opérateur générant des revenus élevés est susceptible d’occasionner un volume d’activités de gestion et de contrôle plus important pour l’autorité de régulation. La Cour renforce son analyse en se référant au trente et unième considérant de la directive « autorisation », qui valide expressément le chiffre d’affaires comme un critère équitable pour répartir les charges administratives.

B. La justification du caractère annuel de la perception

La Cour se penche ensuite sur la légalité de la périodicité annuelle de la taxe. Elle relève que les coûts que la taxe vise à couvrir ne sont pas uniquement liés à l’acte initial de délivrance de l’autorisation. Ils comprennent également les dépenses afférentes à « la gestion, au contrôle et à l’application de l’autorisation pendant la période de validité de celle-ci ». Ces activités administratives étant, par nature, continues et récurrentes, il est logique que leur financement le soit également.

Par conséquent, la perception d’une redevance annuelle apparaît comme une modalité cohérente et justifiée. Imposer un paiement unique au moment de l’octroi de l’autorisation ne permettrait pas de couvrir les frais administratifs qui s’étalent sur toute la durée de vie de cette autorisation. La Cour conclut donc que l’article 6 de la directive ne s’oppose pas à ce qu’une taxe soit mise à la charge des opérateurs « de manière périodique » pour financer ces coûts continus.

II. Une interprétation pragmatique encadrée par le principe de proportionnalité

Si la Cour fait preuve de souplesse en validant les modalités de calcul et de perception de la taxe (A), elle fixe une limite infranchissable qui constitue la clef de voûte de sa décision et la principale garantie pour les opérateurs (B).

A. La clarification de la marge de manœuvre des États membres

Cette décision reconnaît une marge de manœuvre significative aux États membres dans l’organisation du financement de leurs autorités de régulation. En validant un critère simple comme le revenu brut d’exploitation, la Cour opte pour une approche pragmatique. Elle évite d’imposer aux administrations nationales une comptabilité analytique complexe qui consisterait à imputer précisément à chaque opérateur les coûts administratifs qu’il a générés. Une telle exigence aurait été disproportionnée et potentiellement paralysante.

L’arrêt s’inscrit ainsi dans l’esprit de la libéralisation du secteur des télécommunications, qui vise à mettre en place des régimes d’autorisation légers et efficaces. Permettre un mode de financement simple et prévisible pour les régulateurs contribue à la stabilité et à la pérennité du cadre réglementaire. La solution retenue concilie donc l’objectif de couverture des coûts administratifs avec la nécessité de ne pas créer d’entraves administratives excessives pour les acteurs du marché.

B. La limite du plafonnement des recettes aux coûts administratifs totaux

La souplesse accordée aux États membres n’est cependant pas sans limite. La Cour érige une barrière ferme contre tout risque de dérive fiscale en affirmant que la validité du système est conditionnée au fait que « l’ensemble des recettes obtenues par cet État membre au titre d’une telle taxe n’excède pas l’ensemble de ces frais administratifs ». Cette condition transforme la nature de la taxe : elle ne peut en aucun cas devenir un impôt de rendement destiné à alimenter le budget général de l’État. Sa finalité doit rester strictement affectée à la couverture des frais de gestion du régime d’autorisation.

Cette exigence constitue une application directe du principe de proportionnalité. La taxe est un moyen qui doit être proportionné à la fin poursuivie, à savoir la couverture des coûts. En confiant à la juridiction de renvoi le soin de vérifier le respect de ce plafond, la Cour rappelle le rôle essentiel du juge national dans l’application du droit de l’Union. Il lui appartiendra d’examiner les comptes de l’autorité de régulation pour s’assurer que le produit total de la taxe ne dépasse pas le coût global du service, garantissant ainsi que les opérateurs ne sont pas soumis à une charge excessive et injustifiée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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