Cour de justice de l’Union européenne, le 21 juillet 2011, n°C-397/09

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction allemande, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue de l’exonération fiscale applicable aux paiements d’intérêts entre sociétés associées.

En l’espèce, une société filiale établie en Allemagne avait versé des intérêts à sa société mère néerlandaise au titre de prêts consentis par cette dernière. L’administration fiscale allemande, en application de sa législation nationale, a réintégré la moitié de ces charges d’intérêts dans l’assiette de la taxe professionnelle due par la filiale, considérant que seule une partie de ces paiements était déductible. La société filiale a contesté cette décision, arguant d’une incompatibilité avec la directive 2003/49/CE qui vise à éliminer la double imposition des paiements d’intérêts et de redevances entre sociétés associées.

Après un rejet de sa demande par le Finanzgericht Münster le 22 février 2008, l’affaire a été portée devant le Bundesfinanzhof. Cette dernière juridiction, doutant de la conformité du droit national avec le droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était essentiellement demandé à la Cour si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49, qui exonère les paiements d’intérêts de toute imposition dans l’État de la source, s’opposait à une réglementation nationale qui, sans imposer les intérêts au niveau du créancier, limite leur déductibilité du bénéfice imposable du débiteur.

La Cour répond par la négative, considérant qu’une telle législation nationale ne relève pas du champ d’application de l’exonération prévue par la directive. Elle estime que le texte vise uniquement à supprimer l’imposition des revenus d’intérêts dans le chef de la société bénéficiaire, et non à régir les modalités de détermination de l’assiette fiscale de la société débitrice.

I. Une interprétation littérale du champ d’application de la directive

La Cour de justice adopte une lecture stricte de la directive 2003/49, en se fondant sur ses objectifs et son libellé pour en délimiter précisément la portée. Elle établit que l’exonération ne concerne que l’imposition du créancier et non les règles de calcul du résultat imposable du débiteur.

A. Une exonération cantonnée à l’imposition du bénéficiaire des intérêts

La Cour rappelle que l’objectif de la directive est d’éliminer les doubles impositions juridiques en garantissant que les paiements d’intérêts entre sociétés associées ne soient imposés qu’une seule fois dans un seul État membre. Pour ce faire, le mécanisme retenu est la suppression de toute imposition dans l’État membre d’où proviennent ces paiements, soit l’État de la source. Le raisonnement de la Cour se concentre alors sur le destinataire de cette exonération.

Elle estime que le texte vise exclusivement le bénéficiaire effectif des intérêts. En effet, la Cour énonce que « l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49, lu à la lumière des deuxième à quatrième considérants de celle-ci, vise à éviter une double imposition juridique des paiements d’intérêts transfrontaliers en prohibant une imposition des intérêts dans l’État membre d’origine au détriment du bénéficiaire effectif de ceux-ci ». La protection offerte par la directive ne s’adresse donc qu’à la société créancière, qui perçoit les revenus des créances, et non à la société débitrice, qui effectue le paiement. Cette interprétation est renforcée par l’analyse d’autres dispositions, comme l’article 1er, paragraphe 10, qui ne mentionne que le bénéficiaire comme entité potentiellement exclue du régime d’exonération, sans jamais faire référence au débiteur.

B. Une distinction nette entre l’imposition du flux et le calcul de l’assiette

Fort de cette première conclusion, l’arrêt opère une distinction fondamentale entre une mesure qui constitue une imposition du paiement d’intérêts et une mesure qui affecte seulement les modalités de calcul de la base d’imposition du débiteur. La législation allemande en cause ne soumet pas les intérêts versés à une retenue à la source ou à toute autre forme de taxe dans le chef de la société mère néerlandaise. Le revenu de cette dernière n’est en rien diminué par la mesure fiscale allemande.

La Cour observe qu’une telle législation « ne se rapporte qu’à la détermination de la base d’imposition relative à la taxe professionnelle à laquelle est soumise, en l’occurrence, le débiteur des intérêts versés ». Or, la directive n’a pas pour objet d’harmoniser les règles de détermination du bénéfice imposable des sociétés au sein de l’Union. Les États membres demeurent libres de définir ce qui constitue une charge déductible ou non. La réintégration d’une partie des intérêts versés n’est pas analysée comme une imposition de ces intérêts, mais comme une simple modalité de calcul de la taxe professionnelle due par la filiale allemande, ce qui la place hors du champ de la directive.

II. La consécration de l’autonomie fiscale des États membres et ses limites

Cette décision a une portée significative car elle réaffirme la souveraineté fiscale des États membres dans la définition de l’assiette de l’impôt. Cependant, elle révèle également les limites de l’harmonisation fiscale européenne face aux situations de double imposition économique.

A. La préservation de la compétence des États membres en matière de base d’imposition

En refusant d’étendre le champ de la directive à la question de la déductibilité des charges, la Cour confirme un principe essentiel du droit fiscal de l’Union : en l’absence de mesure d’harmonisation, la fiscalité directe reste de la compétence des États membres. La détermination de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, y compris les règles de déduction des frais d’exploitation, relève de cette compétence souveraine.

La Cour souligne à ce titre que « les dispositions de droit interne concernant l’assiette d’imposition du payeur d’intérêts, telles que les règles relatives à la déductibilité de certaines dépenses et la nature de celles-ci, obéissent à des orientations législatives particulières qui relèvent de la politique fiscale de chaque État membre ». En conséquence, tant qu’une mesure nationale n’instaure pas une imposition directe du flux transfrontalier d’intérêts au détriment du bénéficiaire non-résident, elle n’entre pas en conflit avec les objectifs de la directive 2003/49. Cette solution préserve la capacité des États à lutter contre l’érosion de leur base d’imposition, notamment par des règles limitant la déduction des charges financières intra-groupe, considérées comme un instrument potentiel d’optimisation fiscale.

B. La persistance d’une double imposition économique en dépit de la directive

Si la décision est juridiquement fondée sur une lecture stricte des textes, elle met en lumière l’incapacité de la directive à éliminer toutes les formes de double imposition. Le raisonnement de la Cour se limite à la double imposition juridique, qui frapperait le même revenu dans le chef du même contribuable. Or, en l’espèce, la situation aboutit à une double imposition économique.

Le même flux financier est en effet imposé deux fois au sein du même groupe de sociétés : une première fois en Allemagne, au niveau de la filiale, car la part des intérêts non déduite est taxée comme un bénéfice, et une seconde fois aux Pays-Bas, où les intérêts sont imposés comme un revenu dans le chef de la société mère. Bien que cet effet soit contraire à l’objectif général d’un marché intérieur sans entraves fiscales, la Cour constate qu’il n’est pas couvert par le champ d’application de la directive. Cet arrêt illustre donc les limites d’une harmonisation sectorielle et souligne la nécessité de mécanismes plus complets pour assurer une véritable neutralité fiscale pour les opérations transfrontalières.

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Hassan KOHEN
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