Cour de justice de l’Union européenne, le 21 juin 2007, n°C-366/05

L’arrêt rendu par la Cour de justice le 7 juin 2007, dans l’affaire C-366/05, apporte des clarifications essentielles sur l’interprétation de la directive 69/335/CEE concernant les impôts sur les rassemblements de capitaux. Une société de télécommunications avait procédé à une augmentation de son capital social en numéraire. Les autorités fiscales nationales lui ont réclamé le paiement d’un droit de timbre, en application d’une loi nationale de 2001 qui avait réintroduit cette taxation. La société a contesté cette imposition, arguant qu’elle était contraire au droit communautaire, car une législation nationale antérieure, en vigueur à la date de référence du 1er juillet 1984 fixée par la directive, exonérait de ce même droit les augmentations de capital en numéraire. Le litige a conduit la juridiction administrative suprême du Portugal à interroger la Cour de justice sur la portée de l’obligation d’exonération. La question de droit posée était de savoir si un État membre pouvait légalement rétablir un droit d’apport sur une opération de rassemblement de capitaux, alors que cette même opération bénéficiait d’une exonération dans son ordre juridique interne à la date de référence du 1er juillet 1984. La Cour de justice répond par la négative, affirmant que la directive, dans sa version modifiée en 1985, interdit à un État membre de réintroduire une telle imposition. Cette solution, qui renforce la libéralisation des mouvements de capitaux, repose sur une interprétation large de l’obligation d’exonération, dont la Cour précise le champ d’application (I), et conduit à une limitation stricte de la compétence fiscale des États membres en la matière (II).

I. La consécration d’une obligation d’exonération à portée générale

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation extensive de la directive modifiée, qui dépasse la simple lettre des versions antérieures du texte. Elle établit ainsi clairement que le champ de l’exonération obligatoire est défini par la situation de droit national à une date précise (A), rendant sans pertinence les distinctions opérées par le régime antérieur de la directive (B).

A. Une exonération conditionnée par le seul état du droit national à la date de référence

La Cour énonce avec force le principe selon lequel l’obligation d’exonérer les opérations de rassemblement de capitaux est inconditionnelle dès lors que les conditions posées par l’article 7, paragraphe 1, de la directive sont remplies. Elle juge que ce texte comporte « l’obligation claire et inconditionnelle, pour les États membres, d’exonérer du droit d’apport les opérations qui, au 1er juillet 1984, étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % ». Le raisonnement du juge communautaire s’appuie à la fois sur la lettre et l’esprit du texte. L’emploi de termes généraux pour désigner les opérations visées témoigne de la volonté du législateur de ne pas restreindre le champ de cette obligation aux seules opérations qui, avant la modification de 1985, pouvaient facultativement bénéficier d’un taux réduit. Cette lecture est corroborée par l’objectif de la directive 85/303, qui était de limiter les effets économiques défavorables du droit d’apport afin de relancer l’investissement. En figeant les avantages fiscaux existants au 1er juillet 1984, le législateur communautaire a instauré un effet de cliquet, empêchant tout retour en arrière de la part des États membres. La solution s’applique y compris à un État qui, comme en l’espèce, n’était pas encore membre des Communautés à la date de référence, en l’absence de disposition contraire dans son acte d’adhésion.

B. L’indifférence des classifications antérieures à la directive de 1985

Pour asseoir son interprétation, la Cour écarte l’argument selon lequel l’obligation d’exonération ne concernerait que les opérations qui, avant 1985, relevaient d’un régime de taxation facultatif ou réduit. Le gouvernement portugais et la Commission soutenaient une lecture restrictive, liant l’article 7, paragraphe 1, modifié aux anciennes dispositions qui permettaient des exonérations ou des taux réduits, notamment celles de l’article 4, paragraphe 2, de la directive initiale. La Cour rejette cette approche historiciste pour un État ayant adhéré en 1986. Elle considère que pour cet État, seule la version issue de la directive 85/303 est pertinente, et que les débats et équilibres antérieurs à cette réforme ne lui sont pas opposables. La Cour souligne que la date d’adhésion du Portugal coïncidait avec la date limite de transposition de la directive 85/303, rendant le nouveau régime immédiatement applicable dans son intégralité. Cette analyse est renforcée par la présence de dérogations spécifiques pour la République hellénique, démontrant a contrario que, en leur absence, le régime général s’applique pleinement aux nouveaux adhérents. En déclarant que « la seule version de la directive 69/335 valable pour la République portugaise est celle établie par la directive 85/303 », la Cour affirme l’autonomie du nouveau régime et sa vocation à s’appliquer uniformément à l’ensemble des opérations de rassemblement de capitaux.

II. La limitation stricte du pouvoir d’imposition des États membres

La décision de la Cour a pour conséquence directe de renforcer les contraintes pesant sur les États membres en matière fiscale. Elle rejette toute tentative de contourner l’interdiction par une appréciation globale des prélèvements nationaux (A) et confirme la pleine opposabilité de l’état du droit interne à la date de référence pour déterminer l’étendue de l’interdiction (B).

A. Le rejet d’une compensation entre impôts autorisés et prohibés

Le gouvernement portugais avançait un argument subsidiaire selon lequel, même si l’opération était exonérée du droit de timbre au 1er juillet 1984, elle était soumise à d’autres frais, notamment de notariat et d’enregistrement, dont le montant cumulé excédait le seuil de 0,50 %. La Cour écarte fermement cette argumentation. Elle rappelle la distinction fondamentale opérée par la directive entre le droit d’apport harmonisé, dont l’application est réglementée, et toute autre imposition de même nature, qui est prohibée par l’article 10. Les frais de notariat et d’enregistrement invoqués par le gouvernement avaient précisément été qualifiés par la Cour, dans des affaires antérieures, d’impositions prohibées par l’article 10 de la directive. La Cour juge qu’il serait contraire à la logique et aux objectifs de la directive de permettre à un État de justifier la réintroduction d’un droit d’apport en se fondant sur l’existence passée d’autres taxes que cette même directive interdit. Comme elle le précise, « il serait donc contraire au libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 69/335 ainsi qu’à l’objectif de celle-ci de réintroduire […] un droit de timbre […] en invoquant, en tant que justification de cette réintroduction, le fait que […] lesdites opérations donnaient lieu à la perception d’émoluments qui ont été considérés par la Cour comme prohibés ». Cette clarification empêche les États membres de tirer avantage de leur propre non-conformité passée au droit communautaire pour justifier une nouvelle imposition.

B. La portée de l’interdiction du rétablissement d’un droit d’apport

En définitive, la Cour conclut à une interdiction pure et simple pour un État membre de réintroduire un droit d’apport sur une opération qui en était exonérée dans son droit national au 1er juillet 1984. Cette solution découle directement de l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive. Le fait qu’au Portugal, à la date de référence, les augmentations de capital en numéraire étaient exonérées du droit de timbre est le seul critère pertinent pour l’application de l’obligation d’exonération. L’introduction ultérieure d’un droit de 0,40 % sur ces mêmes opérations par une loi de 2001 constitue une violation de cette obligation. La décision de la Cour confirme ainsi le caractère intangible des situations d’exonération ou de taxation réduite existant à la date de référence. Elle assure la pleine effectivité de la directive 85/303, dont l’objectif était de favoriser les investissements en réduisant la charge fiscale sur les rassemblements de capitaux. La portée de l’arrêt est donc considérable, car elle impose aux États membres, anciens comme nouveaux, un respect strict du statu quo fiscal avantageux de 1984, limitant leur souveraineté en la matière au profit de l’objectif de libre circulation des capitaux au sein du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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