Cour de justice de l’Union européenne, le 21 juin 2007, n°C-428/05

Par un arrêt du 21 juin 2007, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation du règlement n° 3665/87 relatif aux restitutions à l’exportation pour les produits agricoles. En l’espèce, une société spécialisée dans l’exportation de viande avait bénéficié de restitutions pour des marchandises expédiées vers la Russie. Plusieurs années après le versement des fonds, l’autorité douanière nationale a initié une procédure de recouvrement, au motif que les lettres de voiture initialement fournies étaient incomplètes et ne constituaient pas une preuve de transport suffisante. La société exportatrice a alors produit des documents de transport dûment complétés, mais l’autorité compétente les a jugés irrecevables car présentés hors des délais prévus par la réglementation pour le dépôt d’un dossier de paiement. Saisi du litige, le juge national a interrogé la Cour sur le caractère indû d’un paiement lorsque la preuve justificative n’est fournie qu’au cours de la procédure de recouvrement, après l’expiration des délais applicables à la demande de paiement initiale. Il s’agissait donc de déterminer si l’expiration des délais procéduraux prévus pour l’obtention d’une restitution suffisait à rendre cette dernière définitivement indue, interdisant toute régularisation ultérieure par l’opérateur. La Cour répond par la négative en affirmant qu’une restitution ne peut être qualifiée d’indûment payée si le bénéficiaire produit les preuves nécessaires au cours de la procédure de récupération. Elle précise qu’il incombe alors aux autorités nationales de fixer un délai raisonnable pour permettre à l’opérateur de fournir ces justifications. La solution adoptée par la Cour repose sur une distinction stricte entre la procédure de paiement et celle de recouvrement (I), consacrant ainsi la primauté des conditions de fond sur les exigences purement formelles (II).

I. La distinction des procédures de paiement et de recouvrement

La Cour fonde sa décision sur une analyse systémique du règlement, en séparant nettement la phase de demande de paiement de celle, ultérieure, du recouvrement d’un montant déjà versé. Cette distinction justifie l’inapplicabilité des délais prévus pour la première procédure au cadre de la seconde (A), et emporte comme conséquence l’obligation pour l’autorité nationale de ménager une possibilité de régularisation (B).

A. L’inapplication des délais de la procédure de paiement à la procédure de recouvrement

Le raisonnement de la Cour repose sur une lecture littérale et téléologique du règlement n° 3665/87. Elle constate que les articles 47 et 48, qui fixent des délais stricts pour le dépôt des pièces justificatives, figurent sous le titre 4 du règlement, intitulé « Procédure de paiement de la restitution ». En revanche, la procédure de récupération, engagée par l’administration lorsqu’elle estime un paiement indu, relève de l’article 11. Or, ce dernier ne prévoit aucun délai spécifique pour la production de preuves par l’opérateur visé par l’action en remboursement. La Cour en déduit que les délais de forclusion applicables à la demande de paiement ne sont pas transposables à une procédure de recouvrement. Comme elle le souligne, « les délais visés aux articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 3665/87 n’étant pas applicables à la procédure de récupération », l’argument de l’autorité douanière fondé sur leur expiration ne pouvait prospérer. Cette dissociation des deux régimes procéduraux est logique : la première vise à obtenir un droit, la seconde tend à le remettre en cause. Exiger le respect des délais initiaux dans le cadre de la seconde reviendrait à priver l’opérateur de toute possibilité de défendre le bien-fondé de son droit, sur la base d’un fait accompli procédural.

B. L’obligation corollaire d’octroi d’un délai raisonnable par les autorités nationales

Le silence du règlement sur les délais applicables à la procédure de recouvrement ne crée pas un vide juridique absolu. En l’absence de règle communautaire spécifique, la Cour se tourne vers le principe d’autonomie procédurale des États membres, tout en l’encadrant par les principes généraux du droit communautaire. Il appartient ainsi aux autorités nationales compétentes de fixer un délai, mais celui-ci doit être « raisonnable afin de permettre à l’exportateur d’obtenir et de présenter la documentation requise ». La notion de délai raisonnable doit être appréciée au cas par cas, en tenant compte des circonstances de l’espèce. La Cour insiste notamment sur la nécessité de prendre en considération « les éventuelles répercussions du comportement de l’autorité compétente sur l’exportateur ». En l’occurrence, le fait que l’administration ait initialement versé la restitution sur la base de documents jugés a posteriori incomplets, avant de n’agir en recouvrement que bien plus tard, constituait un élément essentiel à prendre en compte. L’opérateur pouvait légitimement penser que son dossier était en ordre. Imposer une régularisation dans un délai raisonnable apparaît donc comme le corollaire nécessaire de la dissociation des procédures, empêchant que le droit au recouvrement de l’administration ne se transforme en une fin de non-recevoir arbitraire.

II. La consécration de la primauté des conditions de fond

Au-delà de l’articulation technique des procédures, la décision révèle une volonté de faire prévaloir le respect des conditions substantielles d’octroi des restitutions. Cette approche se manifeste à travers l’application du principe de bonne administration, qui vient sanctionner l’incohérence du comportement de l’autorité publique (A), et réaffirme la finalité même du régime des restitutions à l’exportation (B).

A. La sanction d’une confiance légitime trompée par l’administration

La Cour mobilise explicitement le principe de bonne administration pour justifier sa solution. Elle considère que ce principe « s’oppose à ce qu’une administration publique sanctionne, pour le non-respect des règles procédurales, un opérateur économique agissant de bonne foi, lorsque ce non-respect découle du comportement même de ladite administration ». En effectuant le paiement, l’autorité douanière avait créé une apparence de régularité et suscité la confiance de l’exportateur quant à la validité de son dossier. Revenir sur cette position des années plus tard en se prévalant d’une règle de forme que l’administration elle-même n’avait pas appliquée lors de son contrôle initial constituerait un comportement contraire à la bonne foi. La Cour souligne que « le fait que l’autorité compétente, d’une part, a procédé au versement de la restitution à l’exportateur sur le fondement de preuves incomplètes et, d’autre part, n’a entamé la procédure de récupération qu’après qu’une certaine période s’est écoulée, s’est répercuté directement sur la possibilité pour [l’exportateur] de présenter les preuves suffisantes ». L’arrêt protège ainsi l’opérateur contre les conséquences d’une négligence ou d’une incohérence administrative.

B. La prévalence des conditions de fond sur les exigences procédurales

En définitive, cet arrêt illustre la prévalence de la réalité économique et du respect des conditions substantielles sur un formalisme excessif. Le but du régime des restitutions est de compenser la différence entre les prix mondiaux et les prix communautaires pour permettre l’exportation effective de produits agricoles. Si l’exportation a bien eu lieu et que toutes les conditions de fond sont remplies, priver l’opérateur du bénéfice de la restitution pour une simple imperfection documentaire, régularisable a posteriori, serait contraire à la finalité du système. Le droit à la restitution naît de la réalisation de l’opération d’exportation, et non de la perfection formelle de la demande initiale. En permettant à l’exportateur de prouver la matérialité de son droit même après l’expiration des délais de paiement, la Cour garantit que le mécanisme ne soit pas détourné de son objectif par une application excessivement rigide des règles de procédure. La solution assure ainsi que seuls les exportateurs qui ne remplissent pas objectivement les conditions de fond soient exclus du bénéfice des restitutions, préservant l’efficacité et la cohérence du droit communautaire agricole.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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