L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 juin 2012 offre une interprétation essentielle du champ d’application de la directive 2001/42/CE, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. Dans cette affaire, une association de droit grec a contesté la légalité d’un arrêté ministériel transposant ladite directive en droit interne. Les faits à l’origine du litige concernent l’adoption par les autorités grecques d’une mesure nationale qui conditionnait la réalisation d’une évaluation environnementale stratégique à une procédure de contrôle préalable, visant à déterminer si un plan ou programme était susceptible d’affecter de manière significative une zone protégée du réseau Natura 2000.
Saisie d’un recours en annulation contre cet arrêté, une association de professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire soutenait que la directive imposait une évaluation systématique pour les plans concernés, sans laisser aux États membres une telle marge d’appréciation préliminaire. L’opposition entre les parties portait donc sur la nature de l’obligation découlant de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42/CE. Le Symvoulio tis Epikrateias, confronté à cette difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a alors décidé de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
La question posée au juge de l’Union était de déterminer si l’obligation d’effectuer une évaluation environnementale pour un plan, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42, est automatique ou si elle est subordonnée à la réunion des conditions prévues par la directive 92/43/CE, dite « Habitats », notamment l’existence d’une incidence significative probable sur un site protégé. En d’autres termes, la Cour devait clarifier si la directive « ESIE » renvoyait purement et simplement aux plans relevant de la directive « Habitats » ou si elle renvoyait également au mécanisme d’évaluation préalable propre à cette dernière.
Par sa décision, la Cour de justice répond que l’obligation d’évaluation environnementale stratégique est bien conditionnée par la nécessité de mener une évaluation au titre de la directive « Habitats ». Elle précise cependant que cette condition doit être appréciée selon un critère strict, limitant la marge de manœuvre des autorités nationales. Cette solution conduit à reconnaître un pouvoir d’appréciation initial aux États membres tout en l’enserrant dans des limites rigoureuses afin de garantir l’effectivité de la protection environnementale.
L’arrêt établit ainsi une articulation subtile entre les deux directives, reconnaissant la nécessité d’un examen préalable par les États membres (I), tout en soumettant cet examen à un contrôle exigeant pour préserver les objectifs du droit de l’Union (II).
***
I. La subordination de l’évaluation stratégique aux conditions de la directive « Habitats »
L’interprétation retenue par la Cour de justice confirme que l’obligation d’évaluation environnementale prévue par la directive 2001/42/CE n’est pas inconditionnelle. Elle découle d’une lecture littérale du texte qui renvoie aux critères de la directive « Habitats » (A), reconnaissant par là même une faculté d’appréciation préalable aux autorités nationales (B).
A. La confirmation d’un renvoi conditionnel
La Cour de justice fonde son raisonnement sur une analyse textuelle de la disposition litigieuse. L’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive « ESIE » vise les plans et programmes « pour lesquels, étant donné les incidences qu’ils sont susceptibles d’avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive [‘habitats’] ». Le juge européen déduit de cette formulation que le déclenchement de l’évaluation stratégique est directement dépendant du champ d’application de l’évaluation prévue par la directive « Habitats ».
En conséquence, il ne suffit pas qu’un plan ou un programme concerne un site Natura 2000 pour qu’il soit automatiquement soumis à une évaluation environnementale stratégique. Il est nécessaire que les conditions matérielles définies à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « Habitats » soient remplies. Cette disposition impose une évaluation appropriée pour tout plan ou projet « susceptible d’affecter ce site de manière significative ». La Cour établit donc un parallélisme des conditions, écartant l’interprétation d’une obligation automatique qui était défendue par la partie requérante au principal.
B. La reconnaissance d’une marge d’appréciation nationale
En liant l’obligation d’évaluation stratégique à l’existence d’une incidence significative probable, la Cour légitime implicitement la démarche des États membres consistant à procéder à un examen au cas par cas. L’arrêté ministériel grec, qui instaurait une « procédure de contrôle environnemental » préalable, n’est donc pas jugé contraire en son principe au droit de l’Union. Une telle procédure de filtrage apparaît comme l’outil permettant à l’autorité nationale de déterminer si le seuil de l’incidence significative est atteint.
Cette solution préserve une part de la souveraineté des États membres dans la mise en œuvre du droit de l’environnement, conformément au principe de subsidiarité. Elle leur permet d’adapter l’application des directives à la spécificité de chaque plan et d’éviter une charge administrative systématique pour des projets dont les incidences seraient manifestement négligeables. Cependant, cette faculté d’appréciation n’est pas discrétionnaire et son exercice est strictement encadré par la jurisprudence de la Cour.
La reconnaissance de cette prérogative nationale est donc immédiatement tempérée par la définition rigoureuse des conditions de son exercice, ce qui garantit que la marge d’appréciation ne puisse vider la directive de son effet utile.
II. L’encadrement strict de l’appréciation des incidences significatives
Si la Cour valide le principe d’un examen préalable, elle en précise aussitôt les contours de manière restrictive. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure sur la notion d’incidence significative (A), ce qui confère à cette solution une portée considérable pour la protection effective des sites du réseau Natura 2000 (B).
A. La réaffirmation du critère de l’absence d’exclusion
Pour définir le cadre de l’appréciation nationale, la Cour se réfère à sa jurisprudence constante, notamment l’arrêt *Waddenvereniging* du 7 septembre 2004. Elle rappelle que l’évaluation des incidences d’un plan s’impose dès lors qu’il existe une simple probabilité ou un risque qu’il affecte le site concerné de manière significative. Le mécanisme de filtrage ne doit donc pas consister en une mini-évaluation, mais en un contrôle visant à vérifier si un tel risque peut être écarté avec certitude.
La Cour formule le critère de manière particulièrement protectrice en affirmant que l’examen préalable « est nécessairement limité à la question de savoir s’il peut être exclu, sur la base d’éléments objectifs, que ledit plan ou projet affecte le site concerné de manière significative ». Ainsi, en cas de doute, l’évaluation complète est requise. Cette approche consacre une application rigoureuse du principe de précaution au stade procédural, obligeant les autorités nationales à opter pour la voie la plus protectrice pour l’environnement lorsque l’absence d’incidence notable n’est pas absolument certaine.
B. La portée de la solution pour la cohérence du droit de l’environnement
En définitive, l’arrêt du 21 juin 2012 établit un équilibre entre la lettre des textes et l’esprit du droit de l’Union en matière d’environnement. Il clarifie l’articulation entre deux instruments juridiques majeurs et harmonise leurs exigences procédurales. La solution retenue assure qu’un plan ayant des incidences potentielles sur un site Natura 2000 sera soumis à un même niveau de vigilance, qu’il soit examiné au titre de la directive « Habitats » ou de la directive « ESIE ».
La portée de cette décision est donc fondamentale. Elle prévient les risques de contournement des obligations environnementales en ne laissant aux États membres qu’une marge d’appréciation très limitée et objectivement contrôlable. En exigeant une évaluation dès lors que le moindre doute subsiste, la Cour renforce la protection des sites d’importance communautaire et garantit que l’objectif de conservation des habitats naturels et des espèces sauvages demeure prioritaire dans les processus de planification et d’aménagement du territoire au sein de l’Union.