Par un arrêt en date du 21 juin 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de l’articulation entre le droit au congé annuel payé et l’incapacité de travail. En l’espèce, plusieurs organisations syndicales représentatives des travailleurs du secteur des grands magasins en Espagne avaient engagé une procédure de règlement de conflit collectif. Elles demandaient la reconnaissance du droit pour les travailleurs de bénéficier de leur congé annuel payé lorsque celui-ci coïncidait avec une période d’incapacité de travail, et ce, y compris lorsque cette incapacité survenait après le début de la période de congé. Une organisation patronale s’opposait à cette interprétation, soutenant que le report du congé n’était possible que dans les cas limitativement prévus par la loi nationale, qui ne couvraient pas cette hypothèse spécifique. Saisie du litige, l’Audiencia Nacional avait donné raison aux syndicats. L’organisation patronale a alors formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal Supremo. Cette juridiction, estimant que la jurisprudence antérieure de la Cour ne tranchait pas explicitement le cas d’une incapacité de travail survenue pendant la période de congé annuel déjà entamée, a décidé de surseoir à statuer. Elle a ainsi posé à la Cour de justice une question préjudicielle visant à déterminer si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail devait être interprété comme s’opposant à une réglementation ou à une pratique nationale qui refuse à un travailleur le droit de reporter son congé annuel lorsque l’incapacité de travail débute au cours de cette période. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que le travailleur doit pouvoir bénéficier ultérieurement de la période de congé coïncidant avec son incapacité. En adoptant cette solution, la Cour consolide la finalité du droit au congé annuel payé (I), tout en précisant l’étendue de sa protection (II).
I. La consolidation de la finalité du droit au congé annuel payé
La décision de la Cour repose sur une interprétation finaliste du droit au congé annuel, réaffirmant sa nature de principe fondamental du droit social de l’Union (A) et le distinguant clairement, dans son objectif, du congé de maladie (B).
A. Un droit fondamental à l’interprétation large
La Cour rappelle avec force la nature particulière du droit au congé annuel payé. Elle souligne qu’il doit être « considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé ». Cette qualification n’est pas nouvelle, mais sa répétition ancre la solution dans un socle de principes établis. De surcroît, la Cour prend soin de mentionner que ce droit est « expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». En l’élevant à ce rang, elle signifie que toute limitation doit être exceptionnelle et interprétée strictement. Par conséquent, la mise en œuvre de ce droit par les États membres, même si elle s’effectue conformément aux législations et pratiques nationales, ne peut en vider la substance. Il en découle logiquement que ce droit « ne saurait, en troisième lieu, être interprété de manière restrictive ». Cette posture interprétative guide l’ensemble du raisonnement et impose d’écarter toute lecture de la directive qui aboutirait à priver le travailleur du bénéfice effectif de son repos.
B. Une distinction téléologique essentielle avec le congé de maladie
Pour justifier sa décision, la Cour met en exergue la différence d’objectif entre le congé payé et le congé de maladie. Elle énonce clairement que « la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs ». Cette finalité est intrinsèquement liée à la santé et à la sécurité du travailleur, objectif premier de la directive 2003/88. À l’inverse, la Cour précise que le congé de maladie « est accordé au travailleur afin qu’il puisse se rétablir d’une maladie engendrant une incapacité de travail ». Les deux types de congé poursuivent donc des buts distincts et non substituables. Un travailleur en incapacité de travail n’est pas en mesure de profiter de la période de repos et de loisirs à laquelle son congé annuel lui donne droit. Permettre que des jours de congé annuel soient consommés durant une période de maladie reviendrait à priver le congé de sa finalité essentielle. Cette distinction est le pivot de la solution, car elle rend inopérante toute confusion entre les deux situations juridiques.
II. La clarification de l’étendue de la protection du droit au report
Fort de cette interprétation finaliste, l’arrêt étend explicitement la protection jurisprudentielle antérieure en neutralisant l’importance du moment où l’incapacité de travail survient (A), assurant ainsi le plein effet utile de ce droit (B).
A. L’indifférence du moment de la survenance de l’incapacité de travail
La principale contribution de cet arrêt réside dans la clarification apportée quant au moment de la survenance de la maladie. Alors que sa jurisprudence antérieure, notamment dans l’affaire *Vicente Pereda*, concernait un travailleur tombé malade avant le début de ses congés, la Cour franchit ici un pas supplémentaire. Elle juge de manière explicite que « le moment où est survenue ladite incapacité est dépourvu de pertinence ». Cette affirmation met fin à une incertitude juridique et prévient des distinctions qui seraient contraires à l’objectif de la directive. En effet, la Cour considère qu’il « serait, en effet, aléatoire et contraire à la finalité du droit au congé annuel payé […] d’accorder ledit droit au travailleur uniquement à la condition que ce dernier soit déjà en situation d’incapacité de travail lorsque la période de congé annuel payé a débuté ». Le droit au report est donc désormais garanti, que l’incapacité de travail précède la période de congé ou qu’elle se déclare pendant celle-ci. Le travailleur conserve ainsi son droit à une période effective de repos.
B. La garantie du bénéfice effectif du congé annuel
En affirmant le droit au report, la Cour assure le « bénéfice effectif » du congé annuel. La solution ne se contente pas de reconnaître un droit de manière formelle ; elle en garantit l’exercice concret. Un travailleur qui ne pourrait reporter les jours de congé coïncidant avec sa maladie serait privé d’une partie de la période de repos à laquelle il peut prétendre. La Cour confirme donc qu’un travailleur « a le droit de prendre son congé annuel payé coïncidant avec une période de congé de maladie à une époque ultérieure ». Elle va même plus loin en rappelant, en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, que la nouvelle période de congé peut être prise, si nécessaire, en dehors de la période de référence correspondante. Cette précision est fondamentale car elle assure que le droit au repos ne se perd pas du simple fait de l’écoulement de l’année civile. L’arrêt garantit de la sorte une protection complète et pragmatique, transformant une prérogative théorique en une réalité tangible pour tous les travailleurs de l’Union.