La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt de Grande chambre rendu le 21 juin 2016, s’est prononcée sur la compatibilité d’une réglementation linguistique régionale.
Une société belge établie en région de langue néerlandaise a conclu un contrat de concession exclusive avec une société italienne pour la distribution de produits de puériculture.
Le litige porte sur le paiement de factures rédigées en langue italienne, dont la validité est contestée au regard d’un décret imposant l’usage exclusif du néerlandais.
Le tribunal de commerce de Gand, saisi de l’affaire, a interrogé la juridiction européenne sur l’interprétation de l’article 35 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le juge national doit déterminer si l’obligation d’établir des factures transfrontalières dans une seule langue officielle, sous peine de nullité absolue, constitue une entrave prohibée.
La Cour considère que cette réglementation entrave les échanges commerciaux et excède ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de politique linguistique officiellement invoqués.
Il convient d’étudier la reconnaissance d’une restriction aux échanges commerciaux avant d’analyser la sanction du caractère disproportionné de la contrainte linguistique imposée aux entreprises.
I. L’identification d’une entrave à la libre circulation des marchandises
A. La caractérisation d’une mesure d’effet équivalent à une restriction
Le juge européen rappelle d’abord que toute entrave, même mineure, aux libertés fondamentales garanties par le traité est prohibée au sein du marché intérieur.
La réglementation en cause impose l’usage exclusif d’une langue officielle pour la rédaction des factures, à peine de nullité absolue devant être relevée d’office.
Cette exigence prive les cocontractants de la faculté de choisir une langue maîtrisée conjointement pour formaliser leurs obligations pécuniaires lors de transactions commerciales transfrontalières.
Les destinataires pourraient invoquer leur incapacité à comprendre le document pour s’opposer au paiement, engendrant ainsi une insécurité juridique préjudiciable à la fluidité des échanges.
Cette incertitude dissuade les entreprises étrangères de conclure des relations contractuelles avec des partenaires situés dans cette région linguistique spécifique du Royaume de Belgique.
B. La portée discriminatoire de la contrainte linguistique sur les exportations
Bien que la mesure s’applique indistinctement à tous les opérateurs locaux, elle affecte plus lourdement les produits destinés au marché d’un autre État membre.
La Cour souligne qu’il « est moins probable qu’un acheteur établi dans un autre État membre […] soit en mesure de comprendre la langue néerlandaise ».
La nullité automatique des documents rédigés dans une langue comprise par les deux parties constitue un obstacle disproportionné au bon fonctionnement du marché unique européen.
L’émetteur de la facture s’expose à des inconvénients majeurs, notamment la perte d’intérêts de retard, lors de l’établissement ultérieur d’un nouveau titre de créance.
L’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises étant établie, il importe désormais d’examiner si des motifs d’intérêt général peuvent valablement la justifier.
II. Le constat d’une disproportion manifeste de la mesure nationale
A. La légitimité reconnue de la politique linguistique et du contrôle fiscal
Le gouvernement national invoque la nécessité de promouvoir l’usage de la langue officielle régionale ainsi que l’efficacité des vérifications opérées par l’administration fiscale.
Le droit de l’Union reconnaît effectivement que la protection d’une langue constitue un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions aux libertés de circulation.
De même, la Cour admet que la préservation de l’efficacité des contrôles fiscaux représente un impératif d’intérêt général essentiel pour tous les États membres.
Toutefois, une mesure nationale restrictive ne peut être admise qu’à la condition d’être strictement nécessaire et proportionnée au but légitimement recherché par le législateur.
B. L’exigence d’une mesure moins attentatoire aux libertés économiques
La sanction de nullité absolue dépasse manifestement ce qui est requis pour assurer la diffusion d’une langue ou permettre les vérifications utiles de l’administration.
Le juge souligne qu’une réglementation permettant « d’établir une version faisant foi de telles factures également dans une langue connue des parties » serait moins attentatoire.
Une telle solution alternative garantirait les objectifs linguistiques sans pour autant paralyser les relations contractuelles transfrontalières par une insécurité juridique parfaitement excessive.
La primauté de la libre circulation des marchandises impose d’écarter une législation régionale interdisant de fait l’usage de langues véhiculaires dans le commerce international.