Cour de justice de l’Union européenne, le 21 mai 2015, n°C-262/14

Par un arrêt du 21 mai 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. En l’espèce, une législation nationale adoptée dans un contexte de rationalisation des dépenses publiques interdisait aux agents du secteur public de cumuler leur pension de retraite avec les revenus de leur activité professionnelle, lorsque le montant de cette pension excédait le salaire moyen brut national. Les personnes concernées étaient contraintes de choisir entre la suspension de leur pension et la cessation de leur relation de travail, une absence de choix entraînant la fin de plein droit de cette dernière. Un syndicat représentant des militaires retraités et réemployés dans le secteur public a contesté cette mesure, arguant qu’elle créait une discrimination par rapport aux salariés du secteur privé, qui n’étaient pas soumis à une telle restriction. Saisie d’un litige par ce syndicat contre le ministère des Finances publiques, le Tribunalul Neamț a adressé une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice. Il était ainsi demandé à la Cour si une telle réglementation instaurait une discrimination prohibée par la directive, notamment au regard de l’âge des personnes concernées. La Cour répond par la négative, estimant que la législation en cause n’entre pas dans le champ d’application matériel de la directive, car la différence de traitement qu’elle instaure n’est pas fondée sur l’un des motifs que ce texte énumère.

Cette solution conduit la Cour à écarter l’application de la directive en se fondant sur une analyse stricte des critères de discrimination (I), réaffirmant ainsi la marge de manœuvre des États membres pour des mesures qui ne relèvent pas des motifs prohibés (II).

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I. L’exclusion de la législation nationale du champ de la directive 2000/78/CE

La Cour de justice justifie sa décision en démontrant que la situation litigieuse ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge (A) et qu’elle repose en réalité sur des critères de différenciation qui ne sont pas visés par la directive (B).

A. L’absence d’une discrimination fondée sur l’âge

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur une potentielle discrimination indirecte, qui se produit « lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge donné ». Pour que la directive soit applicable, il aurait fallu établir qu’en visant les retraités, la loi nationale ciblait en réalité les travailleurs plus âgés. Or, la Cour constate que la mesure ne touche pas spécifiquement une tranche d’âge déterminée.

Elle relève en effet que la catégorie des retraités concernés par la législation nationale est composée de personnes dont l’âge est très variable, se situant entre trente-quatre et soixante-cinq ans. Dès lors, il ne peut être soutenu que la mesure désavantage particulièrement un groupe défini par son âge. Le statut de retraité, en lui-même, n’est pas assimilé par la Cour à un critère d’âge au sens de la directive, ce qui empêche de qualifier la situation de discrimination directe ou indirecte fondée sur ce motif.

B. La reconnaissance d’une différence de traitement fondée sur des critères non prohibés

Ayant écarté le critère de l’âge, la Cour identifie les véritables fondements de la différence de traitement opérée par la loi nationale. Elle constate que la restriction de cumul ne s’applique qu’aux personnes employées dans le secteur public et dont la pension dépasse un certain seuil. La distinction est donc établie, d’une part, en fonction de la qualité d’employé du secteur public ou privé et, d’autre part, en fonction du niveau de revenu de la pension.

La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle la directive 2000/78/CE « ne vise pas les discriminations fondées sur la catégorie professionnelle ou le lieu de travail ». Les motifs de discrimination énumérés à l’article 1er de la directive sont exhaustifs. Par conséquent, une différence de traitement qui repose sur l’appartenance au secteur public plutôt qu’au secteur privé, ou sur le montant d’une pension, ne relève pas du cadre de protection établi par ce texte. La situation litigieuse est donc extérieure au champ d’application de la directive.

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II. La portée de la décision : une interprétation stricte du principe de non-discrimination

En jugeant que la directive est inapplicable, la Cour confirme le caractère limitatif des motifs de discrimination qu’elle couvre (A), ce qui a pour corollaire de préserver une part importante de l’autonomie des États membres dans la conduite de leurs politiques budgétaires et sociales (B).

A. La confirmation du caractère exhaustif des motifs de discrimination

Cet arrêt réaffirme avec force que le principe d’égalité de traitement consacré par la directive 2000/78/CE ne s’applique qu’en fonction des motifs « énumérés de manière exhaustive à son article 1er ». Ces motifs sont la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. La Cour refuse ainsi d’étendre la protection contre les discriminations à des situations qui, bien que pouvant paraître inéquitables, ne se fondent pas sur l’un de ces critères précis.

Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique en définissant clairement les limites du contrôle opéré par le droit de l’Union. Elle empêche une interprétation extensive du champ de la directive qui pourrait conduire à censurer des choix de politique nationale sur des fondements non prévus par le législateur de l’Union. La valeur de la décision réside dans cette orthodoxie juridique qui maintient une distinction claire entre les discriminations interdites par le droit de l’Union et les autres formes d’inégalité de traitement relevant de la seule appréciation des ordres juridiques nationaux.

B. La préservation de la marge de manœuvre des États membres en matière de politique budgétaire

La portée de cette décision est considérable pour les États membres. En déclarant que les mesures de rationalisation des dépenses publiques, même si elles traitent différemment certaines catégories de citoyens comme les agents publics, ne relèvent pas de la directive dès lors qu’elles ne sont pas fondées sur un motif prohibé, la Cour leur reconnaît une latitude importante. Un État peut donc légitimement mettre en place des politiques visant à maîtriser ses finances publiques, y compris par des mesures affectant les conditions d’emploi dans son propre secteur.

La législation roumaine, prise dans un contexte de crise économique et en application d’un accord avec des institutions financières internationales, est ainsi considérée comme relevant de la politique économique et sociale de l’État. La Cour se garde d’évaluer l’opportunité ou la pertinence de tels choix, se limitant à vérifier si la frontière de la non-discrimination au sens du droit de l’Union a été franchie. En l’absence d’un lien avéré avec l’âge ou un autre motif protégé, la mesure demeure dans la sphère de compétence nationale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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