Cour de justice de l’Union européenne, le 21 mars 2018, n°C-551/16

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 21 mars 2018, statue sur les modalités d’exportation des prestations de chômage. Ce litige concerne l’interprétation du règlement relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de l’espace européen. Un ressortissant d’un État membre percevait des indemnités de chômage avant de solliciter le maintien de ses droits pour s’installer en Suisse. L’institution compétente a accepté le versement durant trois mois mais a refusé d’étendre cette durée malgré la demande explicite de l’intéressé. L’administration s’est fondée sur des directives nationales imposant un refus de principe pour toute prolongation au-delà du délai légal initial. Le bénéficiaire a formé un recours devant le tribunal d’Amsterdam qui a annulé le premier rejet pour une motivation jugée insuffisante. Une seconde décision de refus a été portée devant la cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique des Pays-Bas. Cette juridiction a interrogé la Cour de justice sur la validité d’une pratique administrative refusant systématiquement l’extension de la période d’exportation. La question juridique porte sur la marge de manœuvre des États pour limiter le maintien des prestations de chômage à l’étranger. Le juge européen répond que le droit de l’Union n’interdit pas un refus de principe si les situations exceptionnelles restent préservées. Il convient d’analyser la nature discrétionnaire de cette extension (I) avant d’étudier l’encadrement des politiques nationales de coordination (II).

**I. Le caractère discrétionnaire de la prolongation de l’exportation des prestations**

**A. Une interprétation textuelle et historique confirmant la liberté des États**

La Cour souligne d’emblée la distinction sémantique opérée par le législateur européen au sein de l’article 64 du règlement de coordination. Le maintien initial des droits est obligatoire pour trois mois mais la prolongation « peut être étendue » par les services ou institutions compétents. L’emploi du verbe pouvoir indique sans ambiguïté que cette faculté d’extension ne revêt pas un caractère contraignant pour les administrations nationales. Les travaux préparatoires confirment que les États membres ont expressément rejeté une proposition visant à rendre obligatoire la période de six mois. La Cour relève que les autorités ne sont pas tenues par « l’article 64, paragraphe 1, sous c), second membre de phrase, du règlement n o 883/2004 de l’étendre jusqu’à un maximum de six mois ». Cette solution respecte la volonté du Conseil de préserver une autonomie nationale dans la gestion des fonds de l’assurance chômage. Le juge européen refuse de transformer une simple possibilité en une exigence systématique s’imposant aux régimes de sécurité sociale.

**B. La sanctuarisation du socle obligatoire de protection de trois mois**

Le règlement garantit néanmoins un droit inconditionnel à l’exportation des prestations pour une durée minimale de trois mois au profit du chômeur. Cette période minimale assure la libre circulation des travailleurs en permettant la recherche d’un emploi dans un autre État sans perte de revenus. La Cour rappelle que ce droit permet au travailleur de « se soustraire pour une période déterminée » aux obligations de contrôle de l’État compétent. Cette protection constitue une dérogation nécessaire au principe de résidence habituellement appliqué aux prestations de sécurité sociale versées en espèces. Si la prolongation reste facultative, le socle de trois mois demeure la règle impérative à laquelle aucune législation nationale ne saurait déroger. La décision clarifie l’équilibre entre les impératifs de mobilité européenne et les contraintes budgétaires ou administratives des États membres.

**II. La validation d’une politique nationale restrictive sous réserve d’équité**

**A. L’affirmation du principe de coordination au détriment de l’harmonisation**

La solution rendue s’inscrit dans la logique d’un système de coordination qui laisse subsister des régimes nationaux distincts et des créances spécifiques. Le droit de l’Union n’organise pas un régime commun mais harmonise seulement les points de contact entre les différentes législations nationales. Les États membres conservent la compétence pour fixer les critères d’attribution des prestations dès lors qu’ils respectent les principes de libre circulation. En l’absence de critères fixés par le règlement, chaque État peut adopter des mesures nationales encadrant la marge d’appréciation de ses institutions. Une politique refusant par principe l’extension de l’exportation ne constitue pas une restriction interdite si elle n’affecte pas le droit minimal garanti. La Cour admet que les disparités entre les régimes nationaux résultent de la nature même de la coordination voulue par les traités.

**B. L’exigence d’un examen des situations exceptionnelles comme garde-fou**

La validité de la mesure nationale repose toutefois sur l’existence d’une clause de sauvegarde permettant de traiter les situations particulières ou déraisonnables. La Cour précise que l’institution compétente ne peut refuser l’extension que si elle estime que ce choix ne conduirait pas à un « résultat déraisonnable ». Ce critère impose aux administrations un examen concret des faits de l’espèce et notamment des perspectives réelles d’emploi dans l’État d’accueil. Les autorités doivent rester attentives aux démarches actives du demandeur ou aux promesses d’embauche déjà obtenues lors de la période initiale. Cette réserve garantit que la discrétion étatique ne se transforme pas en un arbitraire pur au détriment du citoyen exerçant sa mobilité. Le juge national demeure le garant de la proportionnalité des décisions administratives au regard des objectifs de mobilité poursuivis par le règlement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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