Cour de justice de l’Union européenne, le 21 novembre 2013, n°C-302/12

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 novembre 2013 est venu préciser les limites de la compétence fiscale des États membres à l’égard d’un citoyen de l’Union utilisant un véhicule dans plusieurs territoires. En l’espèce, une ressortissante belge exerçant une activité professionnelle non salariée aux Pays-Bas s’était vue réclamer par l’administration fiscale néerlandaise une taxe sur les voitures de tourisme, alors même que le véhicule en question, utilisé tant à des fins privées que professionnelles dans les deux États, avait déjà été immatriculé et taxé en Belgique. La contribuable, qui partageait sa résidence entre les deux pays, a contesté cette imposition. La procédure a d’abord conduit le *Rechtbank te Leeuwarden* à lui donner raison, avant que le *Gerechtshof te Leeuwarden* n’annule ce jugement en appel, estimant que l’usage durable du véhicule aux Pays-Bas justifiait la taxe. Saisi du pourvoi, le *Hoge Raad der Nederlanden* a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle double imposition avec le droit de l’Union. La question de droit qui se posait était donc de savoir si la liberté d’établissement, consacrée par l’article 43 du Traité CE, s’oppose à ce qu’un État membre soumette à une taxe un véhicule immatriculé dans un autre État membre, lorsque ce véhicule est utilisé de manière durable et effective sur le territoire des deux États. La Cour a répondu par la négative, jugeant que le droit de l’Union n’interdit pas une telle pratique dès lors que la réglementation nationale n’est pas discriminatoire, les inconvénients résultant de l’exercice parallèle des compétences fiscales n’étant pas, en eux-mêmes, une restriction à la liberté d’établissement. Cette solution, qui réaffirme avec force l’autonomie fiscale des États membres en l’absence d’harmonisation (I), circonscrit la protection du citoyen européen à la seule prohibition des discriminations, laissant ainsi subsister des situations de double imposition (II).

I. La réaffirmation de l’autonomie fiscale des États membres en matière de taxation des véhicules

La décision de la Cour repose sur un constat pragmatique du droit de l’Union existant, qui reconnaît une large compétence aux États membres pour déterminer les modalités de taxation des véhicules (A), même lorsque l’exercice de cette compétence entraîne des charges fiscales multiples pour les citoyens (B).

A. Le critère de l’usage principal du véhicule comme fondement de la compétence fiscale

La Cour rappelle d’emblée qu’en l’absence d’harmonisation européenne, les États membres demeurent libres d’exercer leur pouvoir fiscal en matière de véhicules automobiles, à condition de respecter les principes du droit de l’Union. Elle confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle un État membre est en droit de percevoir une taxe d’immatriculation sur un véhicule enregistré dans un autre État dès lors que ce véhicule « est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ou qu’il est, en fait, utilisé de cette façon ». L’élément déclencheur de la compétence fiscale n’est donc pas l’immatriculation formelle, mais bien le lien de rattachement territorial constitué par l’utilisation effective et durable du bien. Dans le cas d’espèce, bien que le véhicule fût également utilisé en Belgique, son usage substantiel aux Pays-Bas suffisait à fonder la compétence de l’administration néerlandaise pour prélever la taxe litigieuse. Cette approche consacre une conception réaliste du fait générateur de l’impôt, en se fondant sur la réalité économique et matérielle plutôt que sur un critère purement administratif.

B. L’indifférence du droit de l’Union à la double imposition en l’absence d’harmonisation

Le point central de l’argumentation de la juridiction de renvoi était de déterminer si l’usage durable du véhicule dans deux États membres distincts devait conduire à limiter les compétences fiscales de l’un ou de l’autre, ou des deux. La Cour y répond par une fin de non-recevoir catégorique, en soulignant qu’en l’état actuel du droit, « les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents États membres, pour autant qu’un tel exercice n’est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions aux libertés de circulation ». Cette affirmation, qui s’inscrit dans le sillage de solutions antérieures, signifie que le droit de l’Union n’impose pas aux États de coordonner leurs systèmes fiscaux pour éliminer les phénomènes de double imposition. La Cour précise même que les États membres ne sont pas tenus d’adapter leur propre législation pour tenir compte des impôts prélevés par un autre État. Ainsi, la charge fiscale résultant de la juxtaposition de deux régimes fiscaux nationaux non-discriminatoires n’est pas considérée comme une entrave justifiant une intervention correctrice du droit de l’Union.

La Cour, tout en validant le principe de la compétence fiscale parallèle des États, en délimite toutefois strictement le périmètre par le respect des libertés fondamentales, et notamment par la prohibition de toute discrimination.

II. La prohibition de la discrimination comme unique rempart à la compétence fiscale des États

La Cour examine ensuite la législation néerlandaise au prisme de la liberté d’établissement et conclut que celle-ci ne constitue pas une restriction prohibée (A), ce qui rend inopérant un contrôle de proportionnalité plus approfondi (B).

A. L’absence de restriction caractérisée à la liberté d’établissement

Pour déterminer si la taxe néerlandaise constitue une entrave à la liberté d’établissement, la Cour compare la situation de la requérante à celle d’une personne établie aux Pays-Bas utilisant un véhicule immatriculé dans ce même pays. Elle constate que, dans les deux cas, la taxe est due : soit lors de l’immatriculation pour un résident utilisant un véhicule néerlandais, soit lors de la première utilisation sur le réseau routier pour un résident utilisant un véhicule étranger. La législation néerlandaise, en prévoyant une réduction de la taxe pour tenir compte de la dépréciation des véhicules d’occasion, assure une égalité de traitement. Par conséquent, le désavantage subi par la requérante ne provient pas d’une mesure discriminatoire de la part des Pays-Bas, mais uniquement de la coexistence de deux législations nationales. La Cour en déduit que « le désavantage fiscal subi par [l’intéressée] […] qui découle seulement de l’exercice non discriminatoire, par les deux États membres concernés, de leurs compétences fiscales, ne contrevient pas à l’article 43 CE ». La source du préjudice n’étant pas une discrimination à raison de la nationalité ou de l’origine, mais une simple disparité des systèmes fiscaux, le droit de l’Union n’offre pas de recours.

B. La portée résiduelle du principe de proportionnalité en matière fiscale

La juridiction de renvoi avait explicitement interrogé la Cour sur le rôle correcteur que pourrait jouer le principe de proportionnalité. Or, le raisonnement suivi par la Cour rend cette question sans objet. En effet, le contrôle de proportionnalité n’intervient que pour évaluer si une mesure nationale restrictive d’une liberté fondamentale est justifiée et nécessaire pour atteindre un objectif légitime. Puisque la Cour a conclu que la taxe néerlandaise ne constituait pas, en elle-même, une restriction à la liberté d’établissement, il n’y a pas lieu de procéder à un examen de sa proportionnalité. Le contrôle s’arrête à l’étape de la caractérisation de la discrimination. Cette approche, si elle est d’une grande rigueur juridique, confirme la portée limitée de la protection offerte aux citoyens européens face aux cumuls d’impositions. La décision a pour portée de clarifier que, dans le silence des traités et en l’absence de conventions bilatérales ou de mesures d’harmonisation, le citoyen qui exerce ses libertés de circulation peut se trouver exposé à des charges fiscales doubles, la seule garantie offerte par le droit de l’Union étant celle d’un traitement national non-discriminatoire.

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Hassan KOHEN
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