Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une réglementation nationale prévoyant la cessation des contrats de travail d’enseignants non titulaires à la fin de la période de cours avec le droit de l’Union, notamment au regard du principe de non-discrimination et du droit au congé annuel payé.
En l’espèce, deux enseignants furent recrutés par une autorité publique régionale espagnole en tant qu’agents non titulaires pour une année scolaire. Leurs relations de travail prirent fin le dernier jour des cours, conformément à une décision de l’administration. Les intéressés contestèrent cette cessation, arguant qu’elle constituait une discrimination par rapport aux professeurs fonctionnaires, dont la relation de travail se poursuivait durant la période estivale.
Après le rejet de leur recours en première instance par le tribunal administratif de Tolède par un jugement du 26 janvier 2015, les requérants interjetèrent appel devant le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha. Ils soutenaient que la cessation de leur contrat violait la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, en instaurant une différence de traitement injustifiée avec les fonctionnaires permanents. Ils alléguaient également une violation de la directive 2003/88/CE relative au temps de travail, du fait qu’ils avaient perçu une indemnité financière au lieu de bénéficier de leurs jours de congé. Face à cette argumentation, la juridiction d’appel espagnole décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si le principe de non-discrimination s’oppose à ce qu’une législation nationale permette de mettre fin à la relation de travail à durée déterminée d’un enseignant à la fin de la période de cours, alors que celle des enseignants fonctionnaires se poursuit. Il s’agissait également de déterminer si le remplacement du congé annuel par une indemnité financière dans ce contexte est conforme au droit de l’Union.
La Cour de justice répond par la négative à ces deux interrogations. Elle juge que la cessation d’un contrat à durée déterminée à son terme prévu ne constitue pas une discrimination au sens de l’accord-cadre, même si les travailleurs permanents comparables conservent leur emploi. Elle valide également le versement d’une indemnité de congé payé en cas de fin de relation de travail. Pour parvenir à cette solution, la Cour opère une distinction fondamentale entre la nature même de la relation de travail et les conditions d’emploi (I), ce qui conduit à légitimer les conséquences découlant de la cessation du contrat (II).
I. L’exclusion de la cessation du contrat du champ de la non-discrimination
La Cour de justice, pour écarter l’application du principe de non-discrimination, s’attache à distinguer ce qui relève des conditions d’emploi de ce qui constitue la nature même de la relation de travail (A), consacrant ainsi une différence de traitement inhérente à la coexistence des contrats à durée déterminée et indéterminée (B).
A. La distinction entre les conditions d’emploi et la nature de la relation de travail
L’argument central de l’arrêt repose sur l’idée que le principe de non-discrimination vise à garantir une égalité de traitement « pour ce qui concerne les conditions d’emploi ». La Cour estime que la fin d’un contrat à durée déterminée ne constitue pas une condition d’emploi, mais la caractéristique même de ce type de relation de travail. La différence de traitement dénoncée par les requérants ne découle pas d’une modalité d’exercice de leurs fonctions, mais de la nature temporaire de leur engagement.
En effet, la Cour souligne que la situation litigieuse « découle exclusivement de la circonstance que la relation de travail des intéressés a pris fin à une date déterminée alors que celle des professeurs relevant du statut des fonctionnaires a été maintenue au-delà de ladite date ». Or, cette temporalité est l’élément qui définit le contrat à durée déterminée, par opposition au contrat à durée indéterminée. Par conséquent, admettre qu’une telle différence puisse relever du champ de la non-discrimination reviendrait à nier la distinction même entre ces deux formes de relations de travail, que l’accord-cadre reconnaît pourtant.
B. La différence inhérente entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs permanents
La Cour affirme que la cessation d’un contrat à durée déterminée et le maintien d’un contrat à durée indéterminée ne placent pas les travailleurs dans une situation comparable au regard de la fin de la relation de travail. Le fait que la relation de travail des fonctionnaires se poursuive au-delà de la période de cours « est inhérent à la nature même de la relation de travail de ces travailleurs ». Ceux-ci ont vocation à occuper un emploi permanent.
À l’inverse, les relations à durée déterminée sont caractérisées par le fait qu’elles prennent fin à la survenance de conditions objectivement déterminées, comme l’achèvement d’une tâche. La fin des cours peut ainsi être considérée comme le terme objectif justifiant la cessation du contrat des agents non titulaires, recrutés pour des motifs de « nécessité et d’urgence ». La Cour en déduit qu’une différence de traitement qui « consiste dans le seul fait qu’une relation de travail à durée déterminée est arrivée, à une date donnée, à son terme, alors qu’une relation de travail à durée indéterminée n’a pas été terminée à cette date ne saurait être sanctionnée ». Cette différence est donc structurelle et non discriminatoire.
II. Les conséquences légitimes de la cessation du contrat
Ayant établi la légalité de la cessation du contrat au regard du principe de non-discrimination, la Cour en tire logiquement les conséquences. Elle écarte une potentielle discrimination entre différentes catégories de travailleurs temporaires (A) et valide le mécanisme d’indemnisation financière pour les congés non pris (B).
A. Le rejet d’une discrimination entre catégories de travailleurs à durée déterminée
La Cour observe que la réclamation des requérants vise en réalité à obtenir le même traitement que celui dont bénéficiaient auparavant d’autres agents non titulaires, dont les contrats étaient prolongés durant l’été. Elle saisit cette occasion pour rappeler la portée de l’accord-cadre. Le principe de non-discrimination qu’il consacre a pour unique objet de proscrire les différences de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée comparables.
Dès lors, la Cour précise que « les éventuelles différences de traitement entre certaines catégories de personnel à durée déterminée ne relèvent pas du principe de non-discrimination consacré par cet accord ». La plainte des enseignants, en ce qu’elle portait sur une dégradation de leurs conditions par rapport à leurs prédécesseurs sous contrat temporaire, ne pouvait donc pas prospérer sur le fondement de la clause 4 de l’accord-cadre. Cette interprétation vient limiter le champ de la protection aux seules comparaisons avec des travailleurs permanents.
B. La validation de l’indemnisation financière du congé annuel non pris
La seconde question portait sur la conformité avec le droit de l’Union de la pratique consistant à indemniser les jours de congé non pris plutôt qu’à permettre leur jouissance effective. La Cour rappelle que, selon l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, « la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
La situation des requérants correspond précisément à cette exception. Leurs relations de travail ayant pris fin, la Cour juge que l’administration était en droit de leur verser une indemnité financière compensatrice pour les jours de congé dont ils n’avaient pu bénéficier. La privation du repos effectif est une conséquence directe et légale de la cessation du contrat. La Cour conclut donc que la réglementation nationale est, sur ce point, parfaitement compatible avec la directive sur le temps de travail, dès lors que les travailleurs perçoivent une indemnité financière à ce titre.