Cour de justice de l’Union européenne, le 21 novembre 2018, n°C-648/16

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 21 novembre 2018, s’est prononcée sur les limites des méthodes inductives de redressement fiscal. Un assujetti exerçant une profession libérale a fait l’objet d’un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l’exercice deux mille dix. L’administration fiscale nationale a fondé ce redressement sur une étude sectorielle permettant de présumer un chiffre d’affaires supérieur à celui qui avait été déclaré. Saisie du litige, la Commission fiscale provinciale de Reggio de Calabre a interrogé la juridiction européenne sur la conformité de ce mécanisme aux principes de neutralité et de proportionnalité. Elle souhaitait savoir si la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s’oppose à une évaluation globale et statistique du chiffre d’affaires. La Cour a jugé que le droit de l’Union ne prohibe pas de telles méthodes dès lors que l’assujetti peut effectivement contester les résultats obtenus. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord la validité des méthodes inductives d’imposition (I) avant d’examiner les garanties procédurales protégeant l’assujetti (II).

I. La validité du recours aux méthodes inductives d’évaluation fiscale

La Cour rappelle que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour assurer l’exacte perception de la taxe et lutter contre la fraude fiscale. Cette compétence permet la mise en œuvre de dispositifs simplifiés de contrôle lorsque les déclarations des contribuables présentent des incohérences manifestes.

A. La marge d’appréciation des États dans la perception de la taxe

L’article 273 de la directive prévoit que les États peuvent prévoir d’autres obligations pour assurer la perception de la taxe. La Cour souligne que « chaque État membre a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA ». Cette mission de recouvrement justifie l’utilisation de méthodes d’évaluation qui ne reposent pas exclusivement sur la comptabilité présentée par l’assujetti. L’administration peut donc légitimement s’écarter des données déclarées lorsqu’elles ne semblent pas correspondre à la réalité économique de l’activité exercée. Le droit de l’Union n’impose pas une méthode unique pour reconstituer le chiffre d’affaires occulte d’un contribuable défaillant.

B. La légitimité du recours aux études sectorielles statistiques

L’utilisation de coefficients de présomption basés sur des échantillons de contribuables appartenant aux mêmes secteurs économiques est jugée conforme aux objectifs européens. La Cour précise que l’absence de déclaration de la totalité du chiffre d’affaires ne saurait faire obstacle à la perception de la taxe due. Les autorités nationales sont donc fondées à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence de dissimulation de recettes. « L’article 273 de la directive TVA ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale » qui détermine le montant dû par une méthode inductive. Cette approche statistique doit cependant rester un outil de détection des fraudes et non une fin en soi.

II. Les garanties nécessaires au respect des principes de neutralité et de proportionnalité

Si la méthode inductive est acceptée, son application doit respecter les principes fondamentaux du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. L’équilibre entre l’efficacité du recouvrement et les droits de l’assujetti constitue le cœur du raisonnement suivi par les juges européens.

A. Le maintien du droit fondamental à la déduction en amont

Le principe de neutralité fiscale exige que l’entrepreneur soit entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans ses activités économiques. La Cour affirme que « l’assujetti concerné doit avoir le droit de déduire la TVA dont il s’est acquitté en amont ». Un redressement fondé sur un chiffre d’affaires supplémentaire global ne doit jamais conduire à nier ce droit à déduction. L’administration fiscale doit ainsi prendre en compte les dépenses liées aux recettes supplémentaires présumées pour calculer le montant net de la taxe. Toute interprétation contraire briserait la logique de la taxe qui repose sur l’imposition de la seule valeur ajoutée.

B. L’exigence d’une procédure contradictoire et de preuves réfragables

Le principe de proportionnalité impose que les études sectorielles utilisées pour établir le chiffre d’affaires par induction soient « exactes, fiables et à jour ». L’assujetti doit disposer de la possibilité réelle de renverser la présomption par l’apport de preuves contraires durant une phase contradictoire. Le niveau de preuve requis ne doit pas être excessivement élevé pour permettre au contribuable d’expliquer ses conditions spécifiques d’exercice. La Cour insiste sur le fait que l’assujetti doit pouvoir « remettre en cause les résultats obtenus par cette méthode » devant une juridiction. Le respect des droits de la défense garantit ainsi que la statistique ne se substitue pas arbitrairement à la réalité individuelle.

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Hassan KOHEN
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