Cour de justice de l’Union européenne, le 21 novembre 2024, n°C-546/23

Par un arrêt du 21 novembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les contours de la protection dont bénéficient les agents contractuels de l’Union européenne face à une résiliation de leur contrat de travail. Cette décision a été rendue dans le cadre d’un pourvoi formé contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne, lequel avait rejeté le recours d’une agente visant à l’annulation de la décision de résiliation de son contrat à durée indéterminée pour insuffisance professionnelle. L’affaire offrait à la Cour l’opportunité de se prononcer sur l’articulation entre le pouvoir de l’administration de mettre un terme à une relation de travail et les garanties attachées, d’une part, à la prise d’un congé parental et, d’autre part, à l’exercice d’un mandat de représentation du personnel.

En l’espèce, une agente contractuelle, engagée en 2007 puis titulaire d’un contrat à durée indéterminée à compter de 2010, exerçait également des fonctions de représentante du personnel. Suite à un rapport d’évaluation pour l’année 2015 jugeant ses prestations insatisfaisantes, l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement a notifié à l’intéressée son intention de résilier son contrat. Cette notification est intervenue alors que l’agente se trouvait en congé parental. La décision de résiliation fut confirmée peu après, motivée par une insuffisance professionnelle et une conduite dans le service jugées incompatibles avec l’intérêt de celui-ci sur une période de plusieurs années. Saisi d’un premier recours, le Tribunal de l’Union européenne avait initialement annulé la décision contestée. Saisie à son tour, la Cour de justice avait cependant annulé ce premier arrêt pour erreur de droit et défaut de motivation, renvoyant l’affaire devant le Tribunal. Statuant sur renvoi, le Tribunal a finalement rejeté le recours de l’agente, la conduisant à former le présent pourvoi.

Le problème de droit soulevé devant la Cour consistait à déterminer si le droit de l’Union, et notamment les dispositions du statut des fonctionnaires et du régime applicable aux autres agents, s’oppose à ce qu’une décision de résiliation pour insuffisance professionnelle soit prise à l’encontre d’un agent durant son congé parental et puisse se fonder, au moins partiellement, sur des manquements liés à l’organisation de ses activités de représentant du personnel.

La Cour de justice rejette le pourvoi, confirmant l’analyse du Tribunal. Elle juge que la protection contre le licenciement durant un congé parental n’est pas absolue et vise uniquement à prohiber les licenciements motivés par la demande ou la prise de ce congé. Dès lors, une décision de résiliation peut légalement être adoptée pendant cette période si elle repose sur des motifs distincts et légitimes, telle une insuffisance professionnelle avérée. De même, la protection accordée aux représentants du personnel ne les exonère pas du respect des règles d’organisation du service, comme l’obligation d’informer leur hiérarchie de leurs absences.

Il convient d’examiner la manière dont la Cour délimite la portée de la protection liée au congé parental, la rendant relative face à une insuffisance professionnelle établie (I), avant d’analyser la confirmation des limites à l’immunité fonctionnelle dont bénéficient les représentants du personnel (II).

I. La portée relative de la protection conférée par le congé parental

La Cour de justice apporte une précision essentielle sur la protection contre le licenciement en cas de congé parental, en validant le principe d’une décision de résiliation prise durant ce congé (A) tout en contrôlant l’incidence d’un motif illégal lorsque celui-ci est combiné à d’autres griefs fondés (B).

A. La validation du prononcé d’une décision de résiliation durant le congé parental

L’un des arguments centraux du pourvoi reposait sur l’idée que l’adoption même d’une décision de licenciement pendant un congé parental violait la protection accordée aux travailleurs. La Cour écarte cette thèse en s’appuyant sur une distinction fondamentale entre la cause du licenciement et le moment de la décision. Elle confirme le raisonnement du Tribunal selon lequel ni l’article 42 bis du statut, ni la clause 5 de l’accord-cadre sur le congé parental n’instaurent une interdiction de principe de licencier un agent pendant cette période. La protection est finalisée : elle vise à empêcher qu’un travailleur « subisse un traitement moins favorable ou un licenciement en raison de la demande ou de la prise d’un congé parental ».

La Cour rappelle sa jurisprudence constante, notamment les arrêts *Lyreco Belgium* et *Riežniece*, qui subordonne l’illégalité du licenciement à l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et le congé. En l’absence d’un tel lien, l’employeur conserve sa faculté de mettre fin au contrat pour un motif légitime étranger à l’exercice de ce droit. Ainsi, la Cour juge que la clause 5 de l’accord-cadre « n’a ni pour objet ni pour effet d’interdire à un employeur de décider du licenciement d’un travailleur, alors même que, à la date de cette décision, celui-ci bénéficie d’un congé parental, pourvu que ce licenciement ne soit pas motivé par la demande ou la prise dudit congé » (par. 57). Cette solution équilibre la protection du droit au congé parental et la nécessaire gestion des ressources humaines par l’institution. Le congé parental ne saurait constituer une période d’immunité absolue qui paralyserait la capacité de l’administration à agir face à une situation d’insuffisance professionnelle documentée sur le long terme.

B. L’incidence maîtrisée d’un motif de résiliation illégal

L’affaire présentait une complexité particulière puisque le Tribunal avait lui-même reconnu qu’un des motifs de la décision de résiliation était illégal. L’administration avait en effet reproché à l’agente d’avoir sollicité des dates de congé parental incompatibles avec les nécessités du service. Le Tribunal a jugé que l’AHCC « ne pouvait pas invoquer les dates du congé parental sollicitées comme constituant l’un des motifs de licenciement pour insuffisance professionnelle, sans violer les dispositions de l’article 42 bis du statut » (par. 61). Pour autant, cette illégalité n’a pas entraîné l’annulation de la décision.

La Cour valide cette approche en constatant que la décision de résiliation reposait sur un faisceau de griefs. Elle relève que « le constat global de l’insuffisance professionnelle de ug reposait sur plusieurs motifs, lesquels étaient distincts du motif relatif aux dates qu’elle avait choisies dans sa demande de congé parental » (par. 62). Par conséquent, l’illégalité affectant l’un des motifs n’était pas de nature, à elle seule, à vicier l’ensemble de la décision, dès lors que les autres motifs, jugés fondés et pertinents, suffisaient à la justifier. Cette solution, classique en contentieux administratif, démontre que la seule présence d’une illégalité n’est pas dirimante si la décision aurait été identique en son absence. Elle place toutefois le requérant dans une position difficile, l’obligeant à déconstruire méthodiquement l’ensemble des reproches formulés par l’administration pour espérer obtenir gain de cause.

Après avoir ainsi circonscrit la protection liée au congé parental, la Cour s’est penchée sur celle attachée aux activités syndicales, dont elle a également précisé les limites.

II. Les limites de l’immunité fonctionnelle du représentant du personnel

Le second axe majeur de l’arrêt concerne la protection des représentants du personnel. La Cour opère une distinction claire entre l’exercice du mandat et les obligations administratives qui l’encadrent (A), tout en réaffirmant le large pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’évaluation de l’insuffisance professionnelle (B).

A. La distinction entre l’exercice du mandat et les obligations administratives afférentes

L’agente soutenait que la décision de résiliation était, en réalité, une sanction déguisée de ses activités syndicales. La Cour rejette cette argumentation en validant la distinction opérée par le Tribunal entre l’exercice des fonctions de représentation et le respect des règles d’organisation du service. En l’espèce, il était reproché à l’agente de ne pas avoir informé sa hiérarchie en temps utile de ses absences pour participer à des réunions syndicales. La Cour juge que cette obligation procédurale ne porte pas atteinte à la substance du droit syndical.

Elle estime que l’article 60 du statut, qui prévoit qu’un fonctionnaire « ne peut s’absenter sans y avoir été préalablement autorisé par son supérieur hiérarchique », s’applique y compris dans le cadre d’un mandat de représentation. La protection conférée par l’annexe II du statut, selon laquelle un représentant « ne peut subir de préjudice du fait de l’exercice de ces fonctions », ne crée pas une exemption générale aux règles de fonctionnement interne. La Cour conclut que le motif tiré du non-respect de l’obligation d’information préalable n’était pas fondé « sur l’exercice de ses fonctions de représentant du personnel, mais sur le non-respect par ug des conditions d’organisation du service nécessaires à l’exercice du mandat » (par. 81). Cette interprétation pragmatique vise à concilier l’indépendance syndicale avec les impératifs de continuité et de bonne organisation du service, en considérant que l’exercice d’un mandat ne dispense pas son titulaire d’une collaboration administrative loyale avec sa hiérarchie.

B. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’administration

Enfin, la Cour saisit l’occasion de rappeler avec force un principe cardinal du contentieux de la fonction publique européenne : l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer la compétence professionnelle de ses agents. Le contrôle du juge se limite en conséquence à la recherche d’une « erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir » (par. 120). La Cour rejette l’argument de l’agente selon lequel un tel contrôle restreint aboutirait à rendre la présomption de légalité des actes de l’Union « irréfragable ».

Au contraire, elle souligne que le Tribunal a bien exercé son contrôle, puisqu’il a identifié plusieurs erreurs d’appréciation dans la décision litigieuse. Cependant, il a conclu que ces erreurs n’étaient pas d’une gravité suffisante pour invalider le « constat global de l’insuffisance professionnelle » (par. 125). Ce faisant, la Cour confirme que le contrôle juridictionnel, bien que limité dans son intensité, n’est pas inexistant. L’arrêt illustre néanmoins la difficulté pour un requérant de renverser une décision de résiliation pour insuffisance professionnelle, surtout lorsque celle-ci s’appuie sur une accumulation de faits et de griefs s’étalant sur plusieurs années. Il appartient à l’agent de démontrer non seulement l’existence d’erreurs, mais aussi que ces erreurs sont d’une nature telle qu’elles privent la décision de tout fondement légitime, une charge probatoire particulièrement lourde à satisfaire.

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Hassan KOHEN
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