Par l’arrêt rapporté, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en formation de dixième chambre, se prononce sur le cadre procédural applicable aux corrections financières imposées par la Commission européenne. Un État membre avait obtenu l’annulation par le Tribunal d’une décision de correction financière au motif que celle-ci avait été adoptée tardivement. La Commission a alors formé un pourvoi, contestant l’existence même d’un délai contraignant pour l’adoption de sa décision, la règle de droit temporel applicable à la procédure, ainsi que la nature de la sanction attachée à l’inobservation d’un tel délai. Le litige portait sur un projet cofinancé durant la période de programmation 2000-2006, mais dont la procédure de correction s’était déroulée après l’entrée en vigueur de nouvelles règles procédurales au 1er janvier 2007. La question de droit soumise à la Cour était donc double : d’une part, déterminer si la Commission est tenue de respecter un délai pour adopter une décision de correction financière après une audition contradictoire et, d’autre part, préciser si le non-respect de ce délai constitue une violation des formes substantielles justifiant l’annulation de l’acte. En rejetant le pourvoi de la Commission, la Cour de justice confirme que cette dernière est bien soumise à un délai impératif pour agir. La solution retenue par la Cour conduit à préciser les contours de l’obligation temporelle qui pèse sur la Commission dans le cadre de son pouvoir de contrôle (I), avant de confirmer la portée de la sanction attachée au manquement à cette obligation (II).
I. La consolidation de l’obligation temporelle encadrant l’action de la Commission
La Cour de justice confirme avec fermeté l’assujettissement de la Commission au respect d’un délai pour l’adoption de ses décisions de correction financière. Pour ce faire, elle réaffirme d’abord l’existence d’une telle contrainte temporelle dans le droit de l’Union applicable depuis l’an 2000 (A), puis elle précise la règle de droit applicable ratione temporis à la procédure litigieuse (B).
A. La confirmation d’une jurisprudence établie sur l’existence d’un délai
La Cour écarte l’argumentation de la Commission qui soutenait n’être soumise à aucun délai pour adopter sa décision. Elle rappelle à cet effet qu’il est de jurisprudence constante que, si la réglementation antérieure à l’an 2000 ne prévoyait pas de délai spécifique, la situation a changé depuis. La Cour souligne en effet qu’elle a « itérativement jugé que, si la réglementation de l’Union en vigueur jusqu’à la fin de l’année 1999 ne fixe pas de délai pour l’adoption d’une décision de correction financière par la Commission, en revanche un tel délai légal est prévu par la réglementation de l’Union applicable à compter de l’année 2000 ». Cette position, qualifiée de « jurisprudence établie », constitue le fondement du raisonnement des juges. Les arguments de la Commission, fondés sur une comparaison avec des affaires relatives au FEOGA ou sur une interprétation littérale d’une version linguistique spécifique d’un règlement, sont jugés non pertinents. La Cour rappelle que la divergence des versions linguistiques impose une interprétation téléologique et systématique, fonction de la finalité de la norme. Enfin, elle relève l’incohérence de la position de la Commission, qui avait par le passé elle-même reconnu l’existence d’un tel délai dans ses propres communications.
B. La détermination du délai applicable aux programmes antérieurs à 2007
Une fois l’existence d’un délai confirmée, la Cour se penche sur la question de savoir quelle disposition le fixait en l’espèce. La Commission soutenait que la procédure restait régie par le règlement applicable à la période de programmation du projet (2000-2006), soit le règlement n° 1164/94 modifié. Le Tribunal avait au contraire appliqué le règlement n° 1083/2006, entré en vigueur ultérieurement. La Cour valide l’approche du Tribunal en s’appuyant sur le principe de l’application immédiate des règles de procédure. Elle juge que l’article 100 du règlement n° 1083/2006, qui fixe un délai de six mois, est « applicable à partir du 1er janvier 2007, y compris aux programmes approuvés avant cette date, mais encore en cours ». L’analyse de l’article 108 du même règlement conforte cette solution, son libellé distinguant clairement les dispositions applicables aux seuls nouveaux programmes de celles, d’application générale, qui entrent en vigueur au 1er janvier 2007. La Cour considère que les dispositions transitoires de l’article 105 ne concernent que les règles de fond et non les règles procédurales. En tout état de cause, elle précise que même sous l’empire de l’ancienne réglementation, un délai, plus court, de trois mois était prévu et que la Commission ne l’avait pas non plus respecté.
II. La qualification du dépassement de délai en violation des formes substantielles
Après avoir établi l’existence et le champ d’application du délai, la Cour examine les conséquences de son non-respect. Elle rejette la vision de la Commission selon laquelle le délai n’aurait qu’un caractère indicatif (A) et confirme que son dépassement constitue une violation des formes substantielles entraînant l’invalidité de l’acte (B).
A. Le rejet d’un délai à caractère purement indicatif
La Commission avançait que le délai ne pouvait être impératif, son objectif étant la protection des intérêts financiers de l’Union, et que son non-respect ne devrait pas vicier sa décision en l’absence de préjudice démontré par l’État membre. La Cour balaye cet argument en se fondant sur les principes de bonne administration, de coopération loyale et de gestion diligente des budgets. L’interprétation retenue vise à garantir un équilibre entre la nécessaire protection des finances de l’Union et la sécurité juridique due aux États membres. La Cour estime que la fixation d’un délai clair par le législateur ne saurait être interprétée comme une simple recommandation. Elle précise que la jurisprudence invoquée par la Commission, concernant le FEOGA, n’est pas transposable, car elle se rapportait à une réglementation différente et antérieure à l’an 2000. Le fait que le législateur n’ait pas explicitement prévu de sanction n’enlève rien au caractère obligatoire du délai, la Cour jugeant que « l’énonciation d’un délai dans le cadre duquel doit être adoptée une décision de cette nature est en elle-même suffisante ».
B. L’annulation de l’acte pour manquement à une exigence procédurale fondamentale
La Cour conclut logiquement que le non-respect d’un tel délai impératif constitue une violation des formes substantielles. Elle rappelle qu’une telle violation doit être soulevée d’office par le juge de l’Union et entraîne l’invalidité de l’acte, sans qu’il soit nécessaire pour la partie requérante de prouver un préjudice. Selon la Cour, « le fait, pour la Commission, de ne pas avoir adopté la décision litigieuse dans le délai fixé par le législateur de l’Union constitue une violation des formes substantielles ». Cette solution rigoureuse s’inscrit dans le respect des principes de légalité et de sécurité juridique. Elle s’oppose à ce qu’une institution puisse s’affranchir des contraintes procédurales que le législateur lui a imposées, surtout lorsque ces dernières visent à encadrer l’exercice d’un pouvoir susceptible de faire grief. En jugeant ainsi, la Cour réaffirme que dans une Union de droit, le respect des règles de procédure par les institutions n’est pas une simple formalité mais une garantie essentielle pour les justiciables.