Par un arrêt rendu par sa dixième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les conséquences du non-respect par la Commission européenne du délai qui lui est imparti pour adopter une décision de correction financière. En l’espèce, un État membre a bénéficié d’une aide financière du Fonds de cohésion pour un projet approuvé au titre de la période de programmation 2000-2006. À la suite d’un audit ayant révélé des irrégularités, la Commission a engagé une procédure de correction financière plusieurs années après la fin de cette période de programmation. Après une audition contradictoire avec l’État membre, la Commission a adopté une décision imposant une correction financière, mais bien au-delà du délai de six mois prévu par la réglementation alors en vigueur. Saisi par l’État membre, le Tribunal de l’Union européenne a annulé cette décision au motif qu’elle avait été adoptée hors délai, considérant que ce délai revêtait un caractère impératif dont la violation constituait une irrégularité substantielle. La Commission a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant principalement que la réglementation applicable ne lui imposait aucun délai contraignant, ou subsidiairement, que le dépassement d’un tel délai ne pouvait entraîner l’invalidité de sa décision. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si le délai fixé par les textes pour l’adoption d’une décision de correction financière est une règle de procédure impérative dont la méconnaissance vicie l’acte de la Commission. Par l’arrêt commenté, la Cour de justice rejette le pourvoi de la Commission et confirme l’analyse du Tribunal, jugeant que le délai en cause constitue une forme substantielle dont le non-respect justifie l’annulation de la décision.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des règles procédurales, réaffirmant l’existence d’un délai contraignant pour l’action de la Commission (I), dont le non-respect est sanctionné au nom de la sécurité juridique (II).
I. La confirmation du caractère contraignant du délai de procédure
La Cour s’attache d’abord à identifier la norme applicable pour ensuite en consacrer le caractère obligatoire. Elle assoit son raisonnement sur une application classique du droit transitoire aux règles de procédure (A), ce qui la conduit à réitérer, par une interprétation systématique, l’existence d’un délai impératif (B).
A. L’application du principe d’effet immédiat aux règles de procédure
Face à l’argument de la Commission selon lequel le projet, approuvé durant la période 2000-2006, devait rester intégralement régi par le règlement n°1164/94, la Cour de justice opère une distinction fondamentale entre les règles de fond et les règles de procédure. Elle rappelle avec force un principe cardinal du droit processuel selon lequel les nouvelles règles de procédure s’appliquent immédiatement aux situations en cours non définitivement constituées. En l’espèce, la procédure de correction financière n’ayant été initiée qu’après l’entrée en vigueur du règlement n°1083/2006, ce sont les dispositions procédurales de ce dernier texte qui devaient trouver à s’appliquer. La Cour juge qu’« une telle application dudit article 100, intitulé « Procédure », se justifie d’autant plus qu’elle est conforme au principe selon lequel les règles de procédure sont immédiatement applicables ». Cette solution clarifie l’articulation des réglementations successives en matière de fonds structurels : si les conditions de fond de l’éligibilité d’un projet demeurent celles de l’époque de son approbation, la procédure de contrôle et de correction, elle, est régie par les règles en vigueur au moment où elle est mise en œuvre. Cette approche garantit une application uniforme des procédures, évitant à la Commission de devoir gérer une multitude de régimes procéduraux différents en fonction de l’ancienneté des projets contrôlés.
B. La réaffirmation du délai par une interprétation systématique et téléologique
La Commission soutenait ensuite, en s’appuyant sur des divergences entre les versions linguistiques des règlements et sur une jurisprudence antérieure relative au FEOGA, que la réglementation de l’Union ne prévoyait en réalité aucun délai contraignant pour l’adoption de ses décisions. La Cour balaye cet argument en se référant à sa jurisprudence « établie ». Elle rappelle avoir déjà jugé de manière constante qu’un délai légal s’impose à la Commission en matière de correction financière depuis l’année 2000. Pour ce faire, la Cour ne se contente pas d’une analyse littérale, mais procède à une lecture globale des textes. Elle énonce que « c’est au terme d’une analyse systématique de la réglementation pertinente de l’Union que la Cour a interprété celle-ci en ce sens que, à partir de l’année 2000, la Commission est tenue de respecter un délai légal pour adopter une décision de correction financière ». Cette méthode d’interprétation, qui prend en compte le contexte et la finalité des normes, permet de surmonter les ambiguïtés textuelles et d’assurer une application cohérente du droit de l’Union. La Cour souligne d’ailleurs le caractère contradictoire de la position de la Commission, qui avait elle-même, dans des communications antérieures, reconnu l’existence d’un tel délai.
Après avoir solidement établi l’existence et l’applicabilité d’un délai contraignant, la Cour se penche sur la sanction attachée à son non-respect, consacrant ainsi la primauté de la sécurité juridique.
II. La sanction du non-respect du délai au nom de la sécurité juridique
La Cour qualifie le délai de forme substantielle (A), ce qui l’amène à faire prévaloir les principes de légalité et de sécurité juridique sur la simple protection des intérêts financiers de l’Union (B).
A. La qualification de violation d’une forme substantielle
L’enjeu principal du pourvoi résidait dans la nature de la sanction. La Commission avançait que le dépassement du délai, à supposer celui-ci obligatoire, ne constituait qu’une simple irrégularité, insusceptible d’entraîner l’annulation de l’acte en l’absence de preuve d’un préjudice pour l’État membre. La Cour rejette fermement cette vision. Elle confirme l’analyse du Tribunal en jugeant que le respect du délai imparti à la Commission pour adopter un acte faisant grief n’est pas une simple formalité, mais une garantie procédurale fondamentale. Elle énonce ainsi que « le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief constitue une violation des formes substantielles, qu’il appartient au juge de l’Union de soulever même d’office ». En qualifiant la méconnaissance du délai de « violation des formes substantielles », la Cour élève cette règle au rang des garanties essentielles de la procédure administrative, dont le respect s’impose à l’administration sans que le justiciable ait à démontrer un grief particulier. L’irrégularité est si grave qu’elle vicie l’acte en lui-même et justifie son annulation pure et simple.
B. La primauté de la légalité et de la sécurité juridique
En dernier ressort, la Commission invoquait la finalité de son action, à savoir la sauvegarde des intérêts financiers de l’Union, pour justifier la validité de sa décision malgré le retard. Cet argument, qui revient à placer l’objectif budgétaire au-dessus de la contrainte procédurale, est écarté sans équivoque. La Cour rappelle le rôle central du juge dans le contrôle du respect des règles édictées par le législateur, en particulier lorsque celles-ci visent à encadrer l’action de l’exécutif. Elle affirme avec force que, « dans une Union de droit, il incombe aux juridictions de celle-ci de veiller au respect d’une telle règle à caractère général ». La Cour ajoute que « les principes de légalité et de sécurité juridique s’opposent en effet à ce qu’un délai prévu par un règlement de l’Union aux fins de l’adoption d’un acte faisant grief soit regardé comme ne revêtant qu’un caractère purement indicatif ». Cette affirmation ancre la solution dans les fondements mêmes de l’ordre juridique de l’Union. Elle signifie que l’efficacité de la gestion budgétaire ne saurait servir de prétexte à l’inobservation des règles de droit. Pour les États membres, cette jurisprudence constitue une garantie précieuse : elle les protège contre l’incertitude qui résulterait d’une action de la Commission non bornée dans le temps et renforce la prévisibilité de leurs relations financières avec l’Union.