La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 21 septembre 2016, a précisé l’articulation entre le droit de l’Union relatif aux voyageurs ferroviaires et les législations nationales réprimant le défaut de titre de transport. En l’espèce, un voyageur avait été contrôlé à plusieurs reprises dans un train sans être muni d’un billet. La compagnie ferroviaire, après l’échec d’une procédure de régularisation amiable prévoyant le paiement du trajet majoré d’une surtaxe, avait saisi une juridiction civile afin d’obtenir le versement d’une indemnité forfaitaire nettement plus élevée. Devant le juge national, la société de transport soutenait que le comportement du voyageur, en s’abstenant délibérément d’acheter un titre de transport, constituait une infraction pénale et non une simple inexécution contractuelle. Cette qualification délictuelle aurait eu pour effet d’écarter l’application des dispositions nationales protectrices du consommateur, lesquelles supposent l’existence d’un contrat. Le voyageur arguait au contraire que, selon le règlement européen sur les droits des voyageurs ferroviaires, l’absence de billet n’affectait pas l’existence du contrat de transport, ce qui devait lui permettre de bénéficier de la protection contre les clauses indemnitaires jugées abusives. Confrontée à cette divergence d’interprétation, la juridiction belge a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si le droit de l’Union s’opposait à une réglementation nationale qualifiant d’infraction pénale le fait de voyager sans billet, excluant ainsi toute relation contractuelle et la protection qui en découle. La Cour a répondu que le règlement européen ne régissait pas les conditions de formation du contrat de transport, laissant cette compétence aux États membres. Par conséquent, le droit de l’Union n’interdit pas à une législation nationale de prévoir qu’une personne voyageant sans titre de transport et ne régularisant pas sa situation n’a pas de lien contractuel avec l’entreprise ferroviaire.
L’analyse de la Cour repose sur une interprétation stricte des dispositions du règlement, qui cantonne son application à la seule preuve du contrat de transport (I). Cette solution consacre logiquement la compétence des droits nationaux pour qualifier la nature du lien juridique unissant l’entreprise ferroviaire au voyageur démuni de billet (II).
I. Une interprétation littérale du règlement cantonnant son application à la preuve du contrat
La Cour de justice opère une lecture rigoureuse de l’article 6 de l’appendice à la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF), intégré au droit de l’Union. Elle en déduit que le titre de transport a une fonction essentiellement probatoire (A) et que, par conséquent, le voyageur qui choisit délibérément de ne pas contracter se place en dehors du champ d’application du texte (B).
A. La fonction probatoire du titre de transport réaffirmée
Le raisonnement de la Cour s’articule autour de l’idée que les dispositions européennes ne créent pas le contrat de transport mais en présupposent l’existence. L’article 6, paragraphe 2, de l’appendice dispose que « le contrat de transport doit être constaté par un ou plusieurs titres de transport ». La Cour en infère que le titre de transport n’est que l’instrument qui matérialise un accord de volontés déjà formé. C’est pourquoi la même disposition précise que « l’absence, l’irrégularité ou la perte du titre de transport n’affecte ni l’existence ni la validité du contrat ». Cette seconde phrase ne peut s’entendre, selon les juges, que des situations où le voyageur a bien conclu un contrat mais se trouve dans l’incapacité de le prouver.
Interpréter cette disposition comme signifiant qu’un contrat naît du simple fait de monter à bord d’un train priverait de son sens la première phrase, qui érige le titre en mode de constatation du contrat. La Cour souligne ainsi que la règle vise à protéger le voyageur de bonne foi qui a perdu son billet ou dont le titre est irrégulier, et non à conférer une protection contractuelle à celui qui n’a jamais eu l’intention de s’acquitter du prix du transport. La solution distingue donc clairement la formation du contrat de sa preuve.
B. L’exclusion du voyageur frauduleux du champ contractuel du règlement
En affirmant que l’article 6, paragraphe 2, présuppose un contrat valablement conclu, la Cour exclut de son bénéfice la situation du voyageur qui a sciemment décidé de ne pas acheter de billet. Cette analyse est corroborée par l’article 9 du même appendice, qui prévoit les sanctions applicables au voyageur « qui ne présente pas un titre de transport valable ». Cette disposition permet notamment aux transporteurs de percevoir une surtaxe, voire d’exclure le passager du train. Pour la Cour, ces mécanismes sont des sanctions d’une obligation contractuelle préexistante, celle de détenir un titre de transport.
Ces règles ne sauraient donc être interprétées comme ayant pour objet de former un contrat avec un individu qui s’y est soustrait. L’acte de voyager sans billet, lorsqu’il procède d’une volonté de fraude, ne constitue pas une simple mauvaise exécution d’un contrat. Il s’agit d’une situation qui se place en amont de la relation contractuelle que le règlement a pour objet de régir. La Cour estime donc que ce dernier ne prétend pas réglementer les conséquences d’un tel comportement, laissant le soin aux droits nationaux de le faire.
II. La consécration de la compétence nationale pour la qualification du lien de droit
En jugeant que le droit de l’Union ne régit pas les conditions de formation du contrat de transport, la Cour confirme le rôle déterminant des législations nationales en la matière (A). Cette solution emporte des conséquences significatives sur le niveau de protection accordé aux voyageurs au sein de l’Union (B).
A. Le silence du droit de l’Union sur les conditions de formation du contrat de transport
La portée de l’arrêt réside principalement dans la reconnaissance que les modalités de conclusion du contrat de transport ferroviaire ne sont pas harmonisées au niveau européen. La Cour énonce clairement que l’article 6, paragraphe 2, de l’appendice « ne saurait être interprété comme régissant les conditions de formation d’un contrat de transport, ces dernières étant réglementées par les dispositions nationales pertinentes ». Il s’agit d’une application classique du principe de spécialité des compétences de l’Union, laquelle n’intervient que dans les domaines qui lui ont été expressément attribués.
Le droit des contrats relevant pour l’essentiel de la compétence des États membres, il leur appartient de définir les conditions dans lesquelles un accord de volontés est formé entre un transporteur et un passager. Un État membre est donc libre de considérer que le simple fait de monter dans un train sans billet, dans l’intention de ne pas payer, ne constitue pas une offre de contracter mais un acte illicite. La solution adoptée par la Cour respecte cette répartition des compétences et refuse d’étendre la portée d’un texte relatif aux droits des voyageurs à des questions de formation du rapport d’obligation.
B. Les implications significatives pour la protection du voyageur
En laissant le champ libre aux droits nationaux pour qualifier la situation du voyageur sans billet, la Cour admet implicitement que le niveau de protection de ce dernier puisse varier d’un État membre à l’autre. Dans le cas d’espèce, la qualification d’infraction pénale retenue par le droit belge privait le voyageur de la possibilité d’invoquer la législation sur les clauses abusives pour contester le montant de l’indemnité réclamée. Si un autre droit national avait qualifié la même situation de simple manquement contractuel, cette protection consumériste aurait pu lui être acquise.
L’arrêt met ainsi en lumière les limites de l’harmonisation opérée par le règlement de 2007. S’il garantit des droits uniformes aux voyageurs une fois le contrat conclu, il ne crée pas de statut européen unique pour la personne qui ne détient pas de titre de transport. La décision a pour effet de valider un système où la frontière entre la responsabilité contractuelle et la répression pénale est tracée par chaque État membre, avec des conséquences directes sur les droits conférés à l’individu. La protection du voyageur est donc subordonnée à la qualification juridique préalable, et potentiellement divergente, de son comportement.