Cour de justice de l’Union européenne, le 21 septembre 2017, n°C-125/16

Par un arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’articulation entre la reconnaissance des qualifications professionnelles et la liberté d’établissement. En l’espèce, une association de prothésistes dentaires et un praticien avaient saisi une juridiction maltaise. Ils demandaient la reconnaissance à Malte de la profession de prothésiste dentaire clinique, telle qu’elle est exercée dans d’autres États membres où un contact direct avec le patient est autorisé. La législation maltaise ne reconnaît que la profession de prothésiste dentaire, laquelle impose l’intermédiation obligatoire d’un praticien de l’art dentaire et interdit tout contact direct avec la patientèle. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si la directive 2005/36/CE et l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposent à ce qu’un État membre impose une modalité d’exercice restrictive à un professionnel dont la qualification, obtenue dans un autre État membre, lui permettrait d’exercer son activité de manière plus autonome. La Cour a jugé qu’une telle réglementation nationale était compatible avec le droit de l’Union, estimant que l’exigence d’intermédiation relevait des conditions d’exercice non harmonisées et pouvait se justifier par la protection de la santé publique. Le raisonnement de la Cour distingue nettement le champ d’application de la directive, limité à la reconnaissance des qualifications, de celui du traité, qui permet de contrôler la justification des modalités d’exercice (I), pour ensuite valider la restriction à la liberté d’établissement au nom de la protection de la santé publique (II).

I. La reconnaissance des qualifications professionnelles distincte des modalités d’exercice de la profession

La Cour de justice prend soin de délimiter l’objet de la directive 2005/36/CE, en rappelant que celle-ci organise la reconnaissance des qualifications et non l’harmonisation des professions. Elle affirme ainsi que la directive a une application limitée à l’accès à la profession (A), ce qui conduit logiquement au rejet de toute importation des conditions d’exercice de l’État membre d’origine (B).

A. L’application limitée de la directive sur la reconnaissance des qualifications

La directive 2005/36/CE a pour finalité d’établir les règles de reconnaissance des qualifications professionnelles pour l’accès à une profession réglementée dans un autre État membre. Son article 4, paragraphe 1, précise que cette reconnaissance « permet aux bénéficiaires d’accéder dans cet État membre à la même profession que celle pour laquelle ils sont qualifiés dans l’État membre d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux ». La Cour en déduit que le texte a pour objet de garantir l’accès à une profession, mais ne prétend pas harmoniser les conditions dans lesquelles cette profession doit être exercée. Dans le cas d’espèce, les autorités maltaises ne refusaient pas l’accès à la profession de prothésiste dentaire, mais soumettaient son exercice à une condition spécifique, à savoir l’intermédiaire d’un dentiste. La Cour souligne que « les conditions d’exercice de la profession de prothésiste dentaire ou de celle de [prothésiste dentaire clinique] ne sont pas, en tant que telles, harmonisées par la directive 2005/36 ». L’application de la directive se borne donc à ouvrir l’accès au marché du travail de l’État d’accueil, dans le respect des règles qui y sont en vigueur.

B. Le rejet de l’importation des conditions d’exercice de l’État d’origine

Le raisonnement de la Cour confirme que le bénéfice de la reconnaissance des qualifications ne saurait conférer à un professionnel le droit d’exercer selon les modalités prévues par la législation de son État membre d’origine. Une telle approche reviendrait à permettre au professionnel migrant de choisir les règles les plus favorables, créant une distorsion de concurrence et portant atteinte à la compétence de l’État membre d’accueil pour organiser les professions sur son territoire. La Cour écarte cette possibilité en affirmant qu’une solution contraire « reviendrait à forcer un État membre à calquer les conditions d’exercice d’une profession sur celles qui prévalent dans d’autres États membres ». Ce faisant, elle préserve la cohérence des réglementations nationales en l’absence d’harmonisation. La directive facilite la mobilité en garantissant l’égalité de traitement avec les nationaux pour l’accès à la profession, mais n’autorise pas le contournement des règles d’exercice que l’État d’accueil a jugées nécessaires pour régir une activité professionnelle donnée.

II. La justification de la restriction à la liberté d’établissement par la protection de la santé publique

Après avoir écarté l’application de la directive 2005/36/CE aux modalités d’exercice, la Cour examine la compatibilité de la législation maltaise avec l’article 49 du traité. Elle reconnaît l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement, mais la considère justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (A), dont elle contrôle la proportionnalité en reconnaissant une large marge d’appréciation aux États membres (B).

A. L’existence d’une restriction justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général

L’obligation pour les prothésistes dentaires cliniques de passer par l’intermédiaire d’un praticien de l’art dentaire, alors qu’ils sont habilités à un contact direct avec les patients dans leur État d’origine, constitue une mesure rendant moins attractif l’exercice de leur activité à Malte. La Cour admet que cette exigence « est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de leur liberté d’établissement, garantie à l’article 49 TFUE ». Elle qualifie donc la mesure de restriction à la liberté d’établissement. Cependant, une telle restriction peut être admise si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. La Cour relève que la réglementation maltaise vise à « assurer la protection de la santé publique, qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général, susceptible de justifier une restriction à la liberté d’établissement ». L’objectif est de s’assurer que tout acte impliquant un diagnostic ou un traitement direct sur le patient soit réalisé ou supervisé par un professionnel disposant de la formation la plus complète, en l’occurrence un praticien de l’art dentaire.

B. L’appréciation de la proportionnalité de la mesure au regard de la marge d’appréciation des États membres

Pour être conforme au droit de l’Union, la restriction doit non seulement poursuivre un objectif légitime mais aussi être proportionnée. La Cour rappelle que « la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité FUE ». De ce fait, elle reconnaît qu’il « appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint ». Cette reconnaissance d’une marge d’appréciation conduit la Cour à valider la mesure maltaise. Même si le risque pour le patient n’est pas jugé irréversible par les requérants, l’intervention d’un praticien de l’art dentaire est considérée comme une garantie appropriée et non excessive. La Cour estime donc que l’exigence d’intermédiation est apte à garantir la protection de la santé publique et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, validant ainsi le choix réglementaire de l’État membre d’accueil.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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