Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’obligation de consultation imposée aux employeurs par la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 relative aux licenciements collectifs. En l’espèce, plusieurs salariées d’un établissement hospitalier ont contesté la modification unilatérale de leurs conditions de rémunération. Confronté à des difficultés économiques, leur employeur avait décidé de modifier les modalités de calcul d’une prime d’ancienneté, en excluant les périodes de travail accomplies au service d’autres employeurs. Une telle modification, qualifiée de congé-modification en droit national, entraînait la résiliation du contrat de travail en cas de refus des salariées. L’employeur a procédé à cette modification sans engager la procédure de consultation des organisations syndicales prévue par la législation nationale transposant la directive. Saisi du litige, le tribunal d’arrondissement de Wrocław-centre, en Pologne, a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une telle démarche obligeait l’employeur à respecter les procédures prévues par la directive, notamment son article 2 relatif à la consultation. La question posée à la Cour était donc de déterminer si un employeur, qui envisage de procéder à une modification unilatérale des conditions de rémunération au détriment des travailleurs, laquelle entraîne la cessation de la relation de travail en cas de refus, est tenu de procéder aux consultations prévues par la directive sur les licenciements collectifs. La Cour répond par l’affirmative, considérant qu’une telle situation relève bien du champ d’application de la directive. Elle estime que, si la proposition de modification ne constitue pas en elle-même un licenciement, la décision stratégique qui la motive, dont la conséquence prévisible est la cessation de certains contrats de travail, déclenche l’obligation de consultation.
Cette solution conduit la Cour à opérer une distinction subtile entre la nature de l’acte juridique de l’employeur et le moment où naît l’obligation de consultation (I), consacrant ainsi une interprétation extensive de la protection accordée aux travailleurs (II).
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I. La qualification de la modification unilatérale du contrat de travail au regard de la procédure de licenciement collectif
La Cour de justice, pour répondre à la question préjudicielle, analyse d’abord la notion de licenciement au sens de la directive, ce qui la conduit à écarter la qualification de licenciement pour la modification contractuelle elle-même (A). Cependant, elle ancre l’obligation de consultation non pas dans la résiliation effective du contrat, mais bien en amont, au moment de la décision stratégique de l’employeur qui rend les licenciements probables (B).
A. L’exclusion de la modification non substantielle de la notion de licenciement
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de « licenciement » au sens de la directive doit être interprétée de manière autonome en droit de l’Union. Se fondant sur son arrêt du 11 novembre 2015, *Pujante Rivera*, elle réaffirme qu’une modification unilatérale des éléments du contrat de travail ne relève de cette notion que si elle est « substantielle » et porte sur des « éléments essentiels » du contrat. En l’espèce, la modification ne portait que sur les modalités de calcul d’une prime d’ancienneté, plus précisément sur le moment de son acquisition. La Cour en déduit que cette modification ne saurait être considérée comme substantielle, sans même avoir à se prononcer sur le caractère essentiel ou non de la prime dans le contrat de travail. Elle juge ainsi que « le congé-modification en cause au principal ne saurait être considéré comme entraînant une modification substantielle de ce contrat et que ce congé ne relève pas de la notion de “licenciement” ». En conséquence, l’acte de modification unilatérale, pris isolément, ne suffit pas à déclencher les obligations de la directive 98/59.
Cette analyse rigoureuse des conditions de la qualification de licenciement ne clôt cependant pas le raisonnement de la Cour. Elle déplace son examen de la nature de l’acte à ses conséquences prévisibles, et plus précisément au moment où l’employeur doit anticiper ces dernières.
B. L’anticipation de l’obligation de consultation à la décision stratégique de l’employeur
La Cour opère un basculement décisif en affirmant que, si la modification n’est pas un licenciement, la résiliation du contrat consécutive au refus du travailleur est bien une « cessation du contrat de travail intervenue à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs », qui doit être comptabilisée dans le calcul du nombre de licenciements. La question centrale devient alors de savoir à quel moment l’obligation de consultation naît. Citant ses arrêts *Junk* et *Akavan Erityisalojen Keskusliitto aek e.a.*, la Cour rappelle que cette obligation naît « antérieurement à une décision de l’employeur de résilier les contrats de travail ». Elle applique ce principe au cas d’espèce, où la décision de l’employeur n’était pas de licencier directement, mais de modifier les contrats pour des raisons économiques. La Cour estime que l’employeur « devait raisonnablement s’attendre à ce qu’un certain nombre de travailleurs n’acceptent pas la modification de leurs conditions de travail et que, par voie de conséquence, leur contrat de travail soit résilié ». C’est donc au moment de cette décision stratégique, qui rend les licenciements non plus certains mais prévisibles, que la procédure de consultation doit être déclenchée.
En faisant remonter l’obligation de consultation à la source de la décision économique de l’employeur, la Cour donne toute sa portée à l’objectif de la directive et renforce considérablement la protection des travailleurs.
II. La portée extensive de l’obligation d’information et de consultation en matière de licenciements collectifs
La décision de la Cour ne se limite pas à une analyse technique, elle consacre une approche finaliste de la directive 98/59, visant à garantir son effet utile (A). Ce faisant, elle adresse un message clair aux employeurs quant à leurs obligations lorsqu’ils font face à des difficultés économiques, prévenant ainsi les contournements potentiels de la loi (B).
A. Le renforcement de l’effet utile de la directive par une interprétation téléologique
La Cour justifie sa solution en se référant explicitement à la finalité de l’article 2 de la directive : « éviter des résiliations de contrats de travail ou en réduire le nombre ainsi qu’en atténuer les conséquences ». Elle observe une convergence entre cet objectif et celui poursuivi par l’employeur, qui visait à travers ces modifications à éviter la liquidation de l’hôpital. Pour la Cour, c’est précisément parce que la consultation peut permettre d’explorer des alternatives aux licenciements qu’elle doit intervenir au stade où des options sont encore possibles. Attendre que les refus des salariés soient formalisés et que les licenciements deviennent inéluctables priverait la procédure de consultation de son effet utile. La Cour affirme ainsi que « dès lors qu’une décision entraînant une modification des conditions de travail est susceptible de permettre que soient évités des licenciements collectifs, la procédure de consultation prévue à l’article 2 de la même directive doit débuter au moment où l’employeur envisage de procéder à de telles modifications ». Cette interprétation téléologique assure que la consultation ne soit pas une simple formalité précédant des licenciements déjà décidés, mais un véritable outil de dialogue social préventif.
Cette clarification a des conséquences pratiques importantes, en définissant une ligne de conduite pour les employeurs qui envisagent des mesures de restructuration.
B. Une clarification préventive des obligations de l’employeur face aux difficultés économiques
En soumettant l’employeur à l’obligation de consultation dès le projet de modification unilatérale des contrats, la Cour neutralise une stratégie potentielle de contournement de la directive. Un employeur pourrait en effet être tenté de procéder par des modifications individuelles, même massives, en espérant que le nombre de refus n’atteigne pas le seuil du licenciement collectif, ou en faisant valoir qu’il ne s’agit pas formellement de licenciements. La décision commentée ferme cette porte en se concentrant sur le caractère prévisible des cessations de contrat. Elle impose à l’employeur une obligation de prévoyance et de transparence. Dès lors qu’il prend une décision stratégique susceptible d’entraîner des ruptures de contrat pour des motifs économiques, il doit anticiper le risque d’atteindre les seuils de licenciement collectif et, le cas échéant, engager le dialogue avec les représentants des travailleurs. La solution est donc porteuse d’une grande sécurité juridique : elle incite les employeurs à intégrer la consultation comme un élément à part entière de leur stratégie de gestion des difficultés économiques, plutôt que comme une contrainte subie à la fin du processus.