La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 21 septembre 2023, une décision relative au manquement d’un État membre concernant la protection des habitats naturels. Le litige opposait l’institution requérante à l’État membre défendeur au sujet de la mise en œuvre de la directive du 21 mai 1992.
Dans cette affaire, le requérant reprochait au défendeur de ne pas avoir désigné plusieurs dizaines de sites d’importance communautaire en zones spéciales de conservation. Il contestait également l’absence d’objectifs de conservation détaillés et de mesures concrètes pour une partie importante du réseau Natura 2000 national.
La procédure précontentieuse a débuté en 2012 par des demandes d’informations, suivies d’une mise en demeure en 2015 et d’un avis motivé en 2020. Constatant la persistance des manquements, l’institution requérante a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement au titre de l’article 258 du traité.
Le requérant demandait la reconnaissance d’une violation des articles 4 et 6 de la directive habitats pour des milliers de sites protégés. L’État membre faisait valoir que sa législation assurait une protection adéquate et que les désignations manquantes étaient en cours de finalisation.
La Cour devait déterminer si le retard de désignation et l’absence d’objectifs spécifiques constituaient un manquement caractérisé aux obligations du droit de l’Union. Elle devait aussi préciser le degré de détail et la force juridique exigés pour les objectifs de conservation des sites d’importance communautaire.
La juridiction a accueilli partiellement le recours en constatant les manquements relatifs à la désignation formelle et à l’établissement des mesures nécessaires. Elle a cependant rejeté les prétentions concernant l’obligation de fixer des objectifs systématiquement quantitatifs ou ayant un effet contraignant direct pour les tiers.
L’examen de cette décision porte d’abord sur le manquement aux obligations de désignation et de conservation avant d’analyser les précisions apportées sur les objectifs.
**I. Le constat du manquement aux obligations de désignation et de conservation**
**A. L’impératif de désignation formelle des zones spéciales de conservation**
La Cour rappelle que la procédure de désignation des sites se déroule en quatre étapes distinctes prévues par l’article 4 de la directive. L’État membre doit désigner le site comme zone spéciale de conservation « le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans ».
Le défendeur reconnaissait qu’à l’expiration du délai de l’avis motivé, quatre-vingt-huit sites n’avaient pas encore fait l’objet d’une désignation formelle complète. Il invoquait une protection légale générale pour contester la réalité d’une violation préjudiciable aux objectifs de préservation de la biodiversité.
La juridiction écarte cet argument en soulignant que la désignation formelle « constitue une étape indispensable dans le cadre du régime de la protection des habitats ». Une telle obligation doit être mise en œuvre avec une force contraignante incontestable pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique.
Le manquement est donc constitué dès lors que l’acte réglementaire de désignation fait défaut à l’issue du délai de six ans imparti par le droit. Cette solution réaffirme l’importance de la formalisation juridique pour garantir l’efficacité du réseau écologique européen au sein de chaque territoire national.
**B. L’exigence d’objectifs et de mesures de conservation effectifs**
L’article 6 de la directive impose aux États membres d’établir les mesures de conservation nécessaires répondant aux exigences écologiques des types d’habitats naturels. Ces mesures doivent être fondées sur des objectifs de conservation préalablement définis pour chaque zone protégée par les autorités.
La Cour constate que l’État membre n’avait pas adopté d’objectifs détaillés pour l’ensemble des sites litigieux dans le délai maximal de six ans. Elle relève également l’absence de mesures concrètes pour plus de sept cents sites d’importance communautaire répertoriés dans les régions biogéographiques concernées.
Le juge souligne que « l’établissement des objectifs de conservation ne saurait pas davantage dépasser ce délai » de six ans après l’inscription du site. Cette précision temporelle garantit que la gestion des sites repose sur une base scientifique solide et actualisée pour éviter toute détérioration.
Le manquement est ainsi caractérisé tant sur le plan de la planification que sur celui de l’exécution matérielle des obligations de protection environnementale. La reconnaissance de ces manquements s’accompagne toutefois d’un rejet des exigences jugées excessives du requérant concernant la forme et la portée des objectifs.
**II. La délimitation nuancée des standards de précision des objectifs de conservation**
**A. Le rejet d’une obligation générale de quantification des objectifs**
Le requérant soutenait que les objectifs de conservation devaient impérativement contenir des éléments quantitatifs et mesurables pour être considérés comme suffisamment précis. Il s’appuyait sur la nécessité de mesurer la contribution spécifique de chaque site à l’état de conservation favorable au niveau national.
Le juge européen adopte une position pragmatique en affirmant que « la nécessité de formuler ces objectifs de manière quantitative et mesurable doit être examinée ». Elle ne saurait être reconnue comme une obligation générale s’imposant systématiquement à tous les États membres pour chaque habitat naturel.
La décision précise qu’une approche purement quantitative peut s’avérer mal adaptée à certains habitats complexes ou à des zones de conservation dynamiques. Les facteurs environnementaux externes et les interactions entre sites justifient une certaine souplesse dans la formulation des cibles de préservation écologique.
Il incombe dès lors au requérant de prouver que, dans un cas concret, la quantification est indispensable pour assurer l’état de conservation souhaité. La Cour refuse ainsi de transformer une recommandation méthodologique en une règle de droit rigide au détriment de l’autonomie des autorités.
**B. L’absence d’effet contraignant direct des objectifs envers les tiers**
L’institution requérante critiquait le fait que les objectifs de conservation mentionnés dans les plans de gestion n’étaient pas juridiquement contraignants pour les particuliers. Elle estimait que cette absence de force exécutoire directe compromettait gravement l’efficacité de l’évaluation des incidences des projets futurs.
La juridiction rejette ce grief en expliquant que les objectifs sont, par leur nature même, destinés à être mis en œuvre par des mesures. Elle distingue clairement la finalité écologique de l’objectif de la portée juridique de la mesure de conservation qui en découle.
Le juge énonce que « rien dans la directive habitats ne permet de conclure » que les objectifs doivent être directement contraignants pour les tiers. Ils servent de critères d’appréciation pour les autorités lors de l’examen des projets susceptibles d’affecter l’intégrité écologique du site protégé.
Cette solution préserve la structure de la directive qui sépare la définition des buts à atteindre de la mise en œuvre législative. L’efficacité du droit de l’Union reste garantie par l’interdiction de réaliser des projets portant atteinte aux objectifs de conservation identifiés.