Cour de justice de l’Union européenne, le 22 avril 2021, n°C-703/19

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la distinction entre une « livraison de biens » et une « prestation de services » en matière de taxe sur la valeur ajoutée. La question portait spécifiquement sur la qualification des activités d’un établissement de restauration rapide, qui propose à la fois la consommation sur place et la vente à emporter, et sur le taux de TVA applicable à ces opérations.

En l’espèce, un franchisé d’une chaîne de restauration rapide s’est vu notifier un redressement fiscal par l’autorité compétente de l’État membre concerné. L’administration fiscale avait requalifié l’ensemble de son activité, initialement déclarée comme des « livraisons de plats préparés » soumises à un taux de TVA de 5 %, en « services de restauration » relevant d’un taux de 8 %. Cette décision se fondait sur l’idée que la mise à disposition d’une infrastructure permettant la consommation sur place excédait la simple fourniture d’un bien. Le contribuable a contesté cette analyse, soutenant que la nature de son activité était principalement la vente de denrées alimentaires. Après l’épuisement des recours internes, qui ont confirmé la position de l’administration fiscale en se fondant notamment sur la classification nationale des activités, la Cour suprême administrative a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.

La juridiction de renvoi demandait en substance si la notion de « service de restaurant », au sens de la directive TVA et de son règlement d’exécution, englobait l’activité d’un établissement de restauration rapide où les services à la clientèle sont réduits au minimum. Elle s’interrogeait sur la pertinence de l’infrastructure mise à disposition des clients, même si ces derniers ne l’utilisent pas systématiquement, et sur le rôle du mode de préparation des aliments pour opérer la qualification. Le problème de droit consistait donc à déterminer les critères décisifs permettant de distinguer une livraison de denrées alimentaires d’une prestation de services de restauration dans un contexte où les éléments de service, bien que présents, sont standardisés et où le choix du mode de consommation appartient au client.

La Cour de justice répond que la qualification de « services de restaurant et de restauration » dépend de la présence de services connexes suffisants destinés à permettre la consommation immédiate des aliments. De manière déterminante, elle précise que « lorsque le client final choisit de ne pas bénéficier des moyens matériels et humains mis à sa disposition par l’assujetti pour accompagner la consommation des aliments fournis, il y a lieu de considérer qu’aucun service connexe n’accompagne la fourniture de ces aliments ». L’opération doit alors être qualifiée de livraison de biens.

Cette solution conduit à réaffirmer une approche fonctionnelle de la qualification, tout en y intégrant de manière décisive le comportement du consommateur. Il convient donc d’analyser la consolidation des critères de qualification de la prestation de restauration (I), avant d’examiner la portée de la solution, qui consacre le rôle central du choix du consommateur (II).

I. La clarification des critères de qualification d’une prestation de restauration

La Cour de justice profite de cette affaire pour rappeler les principes gouvernant la distinction entre livraison de biens et prestation de services, en insistant sur la prédominance des services connexes (A) et en relativisant l’importance des classifications nationales, sous réserve du principe de neutralité fiscale (B).

A. La prédominance des services connexes sur la simple fourniture d’aliments

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une opération de restauration se caractérise par un ensemble d’éléments où les services sont largement prédominants par rapport à la simple fourniture de nourriture. Elle cite à ce titre l’article 6 du règlement d’exécution n° 282/2011, qui dispose que « la fourniture d’aliments ou de boissons ou des deux n’est qu’une composante d’un ensemble dans lequel les services prédominent ». La simple préparation, même à chaud, d’un produit alimentaire ne suffit pas à elle seule à transformer une livraison de bien en prestation de services, surtout si cette préparation est « sommaire et standardisée » et effectuée de manière régulière plutôt que sur commande spécifique.

Ce qui est déterminant, ce sont les « services connexes suffisants permettant la consommation immédiate ». Ces services incluent non seulement la mise à disposition de locaux chauffés, de mobilier et de sanitaires, mais aussi la présence de personnel pour conseiller, servir à table et débarrasser. En revanche, des « installations rudimentaires », comme de simples comptoirs sans places assises, ne constituent que des « prestations accessoires minimes » incapables de modifier la nature de l’opération principale. La Cour maintient donc une approche qualitative, où l’environnement de la consommation prime sur l’acte de vente lui-même. L’existence d’une infrastructure et d’un service dédiés à rendre la consommation sur place plus agréable est l’élément caractéristique de la prestation de services.

B. L’indifférence du système de classification national sous réserve du respect de la neutralité fiscale

La juridiction de renvoi exprimait des doutes quant à la conformité du droit national, qui utilisait sa propre classification statistique (PKWiU) pour déterminer le taux de TVA applicable. Cette classification semblait créer une catégorie de « services de restauration » plus large que celle du droit de l’Union, mélangeant des livraisons de biens et des prestations de services. La Cour écarte cette préoccupation en rappelant la marge de manœuvre des États membres. Ceux-ci sont libres d’appliquer des taux réduits aux catégories de biens et services listées à l’annexe III de la directive TVA et peuvent, pour ce faire, utiliser la méthode de délimitation qu’ils jugent la plus appropriée.

Un État membre peut donc regrouper dans une même catégorie nationale des opérations relevant de catégories distinctes de l’annexe III et leur appliquer un même taux réduit. Il peut même soumettre une même catégorie de l’annexe à deux taux réduits différents. Cependant, cette liberté est encadrée par une double condition. D’une part, les opérations taxées à taux réduit doivent effectivement relever de l’une des catégories de l’annexe III. D’autre part, le principe de neutralité fiscale doit être respecté. Ce principe « s’oppose à ce que, du point de vue de la TVA, des livraisons de biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente ». Il incombe donc au juge national de s’assurer que le système national, quelle que soit sa structure, ne crée pas de distorsion de concurrence entre des produits ou services similaires.

II. La portée de la solution : le rôle central du choix du consommateur

Au-delà du rappel des principes, l’arrêt apporte une précision fondamentale sur le rôle du choix du consommateur. Cette clarification transforme l’appréciation, qui passe d’une analyse des moyens disponibles à une évaluation de leur utilisation effective par le client (A), ce qui engendre des conséquences pratiques importantes pour les opérateurs économiques concernés (B).

A. Le passage d’une appréciation fondée sur les moyens disponibles à une évaluation basée sur leur utilisation effective

L’apport majeur de la décision réside dans l’importance accordée au comportement final du consommateur. La Cour affirme que l’élément prédominant d’une opération doit être déterminé en se fondant sur « le point de vue du consommateur moyen ». Or, si ce dernier choisit de ne pas utiliser les services qui lui sont proposés pour consommer sur place, ces services ne sont pas déterminants pour lui. La simple possibilité de consommer sur place, matérialisée par l’existence d’une infrastructure, ne suffit plus à qualifier l’ensemble de l’opération de prestation de services. L’intention du client, manifestée par son choix de consommer à l’extérieur, devient le critère décisif.

La Cour formalise cette idée dans une formule de principe : « Lorsque le client final choisit de ne pas bénéficier des moyens matériels et humains mis à sa disposition par l’assujetti […], il y a lieu de considérer qu’aucun service connexe n’accompagne la fourniture de ces aliments ». Dans ce cas, l’opération est une livraison de biens. Cette solution logique affine considérablement l’analyse. Elle impose de distinguer la vente à emporter de la consommation sur place, même lorsque les produits vendus sont identiques et préparés de la même manière. La qualification fiscale de l’opération dépend désormais d’un fait postérieur à la vente elle-même : le lieu de consommation choisi par le client.

B. Les implications pratiques pour les opérateurs économiques

Cette solution, bien que juridiquement cohérente, soulève d’importantes difficultés pratiques pour les entreprises du secteur. Si la qualification de l’opération dépend du choix du client, l’assujetti doit être en mesure de ventiler ses ventes pour appliquer le taux de TVA correct à chaque transaction. Pour un restaurant traditionnel où le service à table est la norme, la question se pose peu. Mais pour un établissement de restauration rapide, où une part substantielle de l’activité est la vente à emporter, cette distinction est cruciale et complexe à mettre en œuvre. Il n’est pas toujours possible de savoir, au moment de l’encaissement, si le client va s’installer ou partir.

La Cour anticipe cette difficulté en rappelant qu’il appartient à l’assujetti de s’organiser en conséquence. Elle souligne qu’il lui incombe de « tenir une comptabilité adéquate » et de conserver les justificatifs permettant de prouver l’application des différents taux. Cette remarque suggère que les systèmes de caisse doivent être configurés pour distinguer les ventes « sur place » et « à emporter », une pratique déjà courante dans de nombreux États membres mais qui devient, par cet arrêt, une exigence découlant directement du droit de l’Union. La charge de la preuve de la ventilation correcte des recettes repose ainsi entièrement sur le contribuable, sous le contrôle de l’administration fiscale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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