Par un arrêt en date du 22 avril 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités de détermination de la valeur en douane de marchandises importées lorsque les frais de transport, bien qu’inclus dans le prix, excèdent ce dernier.
En l’espèce, une société importatrice établie en Lituanie a acheté de l’acide sulfurique auprès d’un intermédiaire, la marchandise étant produite par une société établie en Biélorussie. Les contrats de vente stipulaient un prix de livraison dit « Rendu frontière » (DAF), signifiant que le producteur prenait en charge l’intégralité des frais de transport jusqu’à la frontière lituanienne. Lors d’un contrôle, les autorités douanières nationales ont constaté que les frais de transport ferroviaire réellement supportés par le producteur étaient supérieurs au prix de vente facturé à l’importateur. Estimant que la valeur transactionnelle déclarée ne reflétait pas la valeur économique réelle des marchandises, ces autorités ont procédé à un redressement, ajoutant au prix payé la différence correspondant aux frais de transport non couverts. L’importateur a contesté cette décision, arguant que le prix de vente, bien que faible, était économiquement justifié pour le producteur, lequel évitait ainsi des coûts de recyclage encore plus élevés dans son pays d’origine.
La contestation a été portée devant les juridictions administratives lituaniennes. Le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie) a rejeté le recours de l’importateur. Saisie en appel, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
Il était demandé à la Cour si l’article 29, paragraphe 1, et l’article 32, paragraphe 1, sous e), i), du code des douanes communautaire, ainsi que les dispositions correspondantes du code des douanes de l’Union, devaient être interprétés en ce sens que la valeur transactionnelle doit être ajustée en y incluant la totalité des frais de transport supportés par le producteur, lorsque ces frais, bien qu’inclus dans le prix de vente convenu, dépassent ce prix, mais que ce dernier correspond à la valeur réelle des marchandises.
La Cour a répondu par la négative, jugeant qu’il n’y a pas lieu d’ajouter à la valeur transactionnelle les frais de transport lorsque l’obligation de les couvrir incombe au producteur selon les conditions de livraison convenues. Cette solution prévaut même si lesdits frais excèdent le prix payé, à la condition essentielle que ce prix corresponde à la valeur réelle des marchandises, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. Cette solution réaffirme la primauté de la valeur transactionnelle contractuellement définie (I), tout en encadrant ce principe par l’exigence d’une vérification de la valeur économique réelle des biens (II).
I. LA PRIMAUTÉ CONFIRMÉE DE LA VALEUR TRANSACTIONNELLE CONTRACTUELLE
La décision de la Cour renforce l’un des piliers du droit douanier de l’Union, à savoir la détermination de la valeur en douane sur la base du prix convenu entre les parties. Ce faisant, elle refuse d’opérer un double comptage des frais logistiques (A) et réaffirme la prééminence des conditions contractuelles librement négociées (B).
A. Le refus d’un double comptage des frais de transport
La Cour rappelle que la valeur en douane est, en principe, la valeur transactionnelle, c’est-à-dire « le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises ». Les dispositions pertinentes du code des douanes communautaire et du code des douanes de l’Union prévoient que des éléments, tels que les frais de transport, peuvent être ajoutés à ce prix. Toutefois, cet ajout n’est possible que si ces frais ne sont pas déjà inclus dans le prix payé. En l’espèce, les conditions de vente « Rendu frontière » (DAF) impliquaient par définition que le prix convenu comprenait les frais de transport jusqu’au lieu de livraison.
Dès lors, exiger l’ajout des frais de transport une seconde fois au motif qu’ils dépassent le prix de vente reviendrait à faire supporter à l’importateur une double charge. La Cour souligne que l’ajustement n’est envisagé par la réglementation que dans des cas spécifiques, notamment « lorsque le transport est assuré gratuitement ou par les moyens de l’acheteur ». Aucune de ces hypothèses ne correspondant à la situation litigieuse, la logique d’un ajustement est écartée. La Cour évite ainsi une interprétation qui créerait une valeur en douane partiellement fictive, déconnectée du flux financier réel de la transaction.
B. La prééminence des conditions contractuelles de la vente
En s’attachant aux conditions de livraison convenues, la Cour réitère un principe fondamental selon lequel la détermination de la valeur en douane ne peut se faire de manière abstraite. Elle doit se fonder sur les termes de la transaction commerciale telle qu’elle a été conclue par les opérateurs. La circonstance qu’un accord puisse paraître « inhabituel pour le type de contrat concerné » ne suffit pas à l’écarter. L’autonomie contractuelle des parties est donc respectée, tant que la transaction n’est pas entachée de fraude ou d’abus.
Dans ses conclusions, la Cour précise qu’afin d’apprécier si la valeur en douane reflète la valeur économique réelle, « il convient de prendre en compte la situation juridique concrète des parties au contrat de vente ». En l’occurrence, le prix de vente, bien que ne couvrant pas la totalité des frais logistiques du producteur, était justifié par une rationalité économique propre à ce dernier, à savoir l’évitement de coûts de recyclage prohibitifs. Ne pas tenir compte de cette réalité contractuelle et économique aurait conduit à déterminer une valeur en douane artificielle, contraire aux objectifs du droit de l’Union.
II. LA VALEUR RÉELLE COMME LIMITE AU PRINCIPE TRANSACTIONNEL
Si la Cour consacre la force de l’accord des parties, elle y apporte une nuance de taille en subordonnant sa solution à une condition essentielle. Cette décision renforce ainsi la sécurité juridique des importateurs (A), mais délègue au juge national la tâche cruciale de vérifier la réalité économique du prix déclaré (B).
A. Le renforcement de la prévisibilité pour les opérateurs économiques
La solution retenue offre une prévisibilité bienvenue pour les opérateurs économiques. En confirmant que les conditions de vente, notamment les Incoterms reconnus internationalement, constituent la base de la détermination de la valeur en douane, la Cour sécurise les transactions commerciales. Un importateur qui négocie un prix incluant le transport peut légitimement s’attendre à ce que la valeur en douane soit basée sur ce prix, sans avoir à subir un redressement fondé sur les coûts internes de son fournisseur.
Cette approche empêche les autorités douanières de s’immiscer dans la structure de coûts des vendeurs étrangers pour recalculer la valeur en douane, une pratique qui créerait une forte insécurité juridique. En se refusant à une telle ingérence, la Cour protège l’autonomie contractuelle et garantit que les obligations douanières demeurent calculables et prévisibles, pourvu que la transaction soit authentique. Le risque d’abus, soulevé par la Commission européenne, est écarté au motif que la prise en compte des conditions de vente est une exigence même de la réglementation douanière.
B. La vérification de la valeur réelle : une charge pour le juge national
La portée de cette décision est toutefois conditionnée par une réserve majeure, énoncée clairement dans le dispositif : la solution ne s’applique que « dès lors que ce prix correspond à la valeur réelle desdites marchandises, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Cette condition agit comme une soupape de sécurité contre les montages artificiels visant à sous-évaluer les marchandises pour éluder les droits de douane. La Cour renvoie ainsi la balle à la juridiction nationale, lui confiant la responsabilité d’examiner les faits pour s’assurer que le prix n’est pas fictif.
Cette vérification implique d’analyser le contexte économique global de l’opération. En l’espèce, la juridiction de renvoi devra confirmer que la motivation du producteur, liée aux coûts de recyclage, est réelle et justifie économiquement un prix de vente inférieur aux frais de transport. Le fardeau de la preuve pèsera alors sur l’importateur, qui devra démontrer la substance économique de la transaction. La décision de la Cour, tout en étant protectrice de l’autonomie contractuelle, rappelle donc que cette liberté trouve sa limite dans l’exigence de sincérité et de réalité économique.