Un fonctionnaire d’une institution européenne a fait l’objet d’un rapport d’évolution de carrière pour la période allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002. S’estimant lésé par le contenu de ce rapport, il a introduit une réclamation auprès de l’autorité administrative compétente. Cette réclamation a été explicitement rejetée par une décision du 11 décembre 2003. L’agent a alors saisi le Tribunal de première instance des Communautés européennes d’un recours visant, d’une part, à l’annulation de la décision de rejet de sa réclamation et, d’autre part, à l’octroi d’une indemnité en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi. Par un arrêt du 7 février 2007, la juridiction de première instance a considéré qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande d’annulation, tout en rejetant le recours en indemnité. Le fonctionnaire a formé un pourvoi devant la Cour de justice des Communautés européennes contre cet arrêt. Se posait alors la question de savoir si un agent public conserve un intérêt à agir pour obtenir l’annulation d’une évaluation professionnelle défavorable même lorsque les effets directs de celle-ci semblent épuisés. La Cour de justice répond par l’affirmative, en considérant que l’intérêt moral à voir retirer de son dossier une appréciation illégale suffit à justifier la poursuite de l’instance. En conséquence, elle annule l’arrêt du Tribunal sur ce point et, statuant elle-même sur le fond, annule la décision administrative contestée.
L’appréciation de l’intérêt à agir d’un requérant constitue une condition essentielle de la recevabilité de son recours, dont la Cour de justice assure une interprétation extensive, en particulier dans le contentieux de la fonction publique (I). Cette approche permet à la Cour, après avoir annulé la décision des premiers juges pour erreur de droit, de régler elle-même l’affaire au fond, consacrant ainsi le droit du fonctionnaire à obtenir la censure d’une évaluation illégale (II).
I. La censure d’une conception restrictive de l’intérêt à agir
La Cour de justice rejette l’analyse du Tribunal de première instance qui avait conclu à un non-lieu à statuer, rappelant ainsi que l’intérêt à l’annulation d’un acte ne peut être nié à la légère (A). Elle consacre par là même l’existence d’un intérêt moral autonome, suffisant pour fonder une action en justice (B).
A. L’erreur de droit du Tribunal de première instance
En déclarant « n’y avoir pas lieu de statuer sur le recours en annulation », le Tribunal avait estimé que le requérant avait perdu son intérêt à obtenir la disparition rétroactive du rapport d’évolution de carrière litigieux. Une telle position suppose que l’acte contesté a épuisé tous ses effets, rendant sans objet sa censure par le juge. Cette approche pragmatique ignore cependant que certains actes administratifs, notamment en matière d’évaluation professionnelle, produisent des effets qui dépassent leur simple application matérielle et temporelle. Le Tribunal a ainsi commis une erreur de droit en n’examinant pas si l’agent conservait un intérêt, ne serait-ce que moral, à la suppression de l’appréciation négative portée sur sa manière de servir.
B. La consécration de l’intérêt moral à agir
En annulant l’arrêt sur ce point, la Cour de justice réaffirme avec force qu’un fonctionnaire conserve un intérêt légitime à demander l’annulation d’une évaluation qu’il juge illégale. Cet intérêt ne se limite pas aux conséquences directes et immédiates du rapport, comme une absence de promotion, mais s’étend à la protection de sa réputation et de son honneur professionnel. La présence d’une appréciation défavorable dans le dossier personnel d’un agent est de nature à lui porter préjudice durablement. La Cour admet donc que la simple volonté de voir disparaître une évaluation jugée infamante ou inexacte constitue un intérêt à agir suffisant, justifiant la poursuite de l’examen de la légalité de l’acte.
La reconnaissance de cet intérêt à agir a permis à la Cour de justice de trancher elle-même le litige. Elle exerce ainsi pleinement son office de juge de cassation, ce qui la conduit à la fois à annuler la décision administrative initiale et à statuer sur le second volet du pourvoi de l’agent (II).
II. Les conséquences de la cassation sur le fond du litige
Faisant application de sa jurisprudence sur l’évocation, la Cour statue directement sur la demande d’annulation du requérant, ce qui la conduit à censurer la décision de l’institution (A). Elle se prononce également sur le pourvoi en tant qu’il visait la demande indemnitaire, mais pour en constater l’irrecevabilité (B).
A. L’annulation de la décision administrative par la Cour
Dès lors que l’état du litige le permet, la Cour de justice, après cassation, a la faculté de ne pas renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de statuer définitivement sur le fond. C’est la voie qu’elle choisit en l’espèce, dans un souci de bonne administration de la justice. Procédant à l’examen de la légalité du rapport d’évolution de carrière, elle en constate les vices et prononce l’annulation de « la décision de la Commission des Communautés européennes du 11 décembre 2003 ». Par cette annulation, la Cour donne pleine satisfaction à l’intérêt moral qu’elle a précédemment reconnu au requérant. La disparition rétroactive de l’acte garantit que l’évaluation illégale est réputée n’avoir jamais existé, purgeant ainsi le dossier personnel du fonctionnaire de toute mention préjudiciable.
B. Le rejet pour irrecevabilité du pourvoi indemnitaire
La solution est différente pour la partie du pourvoi qui contestait le rejet du recours en indemnité. La Cour le déclare irrecevable, signifiant qu’elle ne procède même pas à l’examen de son bien-fondé. Une telle décision, fréquente en matière de pourvoi, sanctionne le non-respect des exigences de forme ou d’argumentation requises à ce stade de la procédure. Le requérant n’a vraisemblablement pas réussi à démontrer en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit en rejetant sa demande de dommages et intérêts. Ce faisant, « le pourvoi est rejeté comme irrecevable en ce qu’il conteste le rejet du recours en indemnité ». Cette issue distincte illustre la rigueur procédurale de la Cour et le fait qu’une victoire sur le terrain de la légalité n’emporte pas automatiquement un succès sur le plan indemnitaire.