Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2008, n°C-276/05

Par la décision soumise à l’analyse, la Cour de justice des Communautés européennes précise les conditions de reconditionnement des produits pharmaceutiques par les importateurs parallèles. La question porte sur l’articulation entre la protection du droit des marques et les exigences de la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur. En l’espèce, un opérateur économique importait des produits pharmaceutiques depuis un État membre pour les commercialiser dans un autre, ce qui nécessitait la création d’un nouvel emballage. Le titulaire de la marque s’est opposé à cette pratique, considérant qu’elle portait atteinte à ses droits.

Saisie du litige, la juridiction nationale a posé une question préjudicielle à la Cour de justice afin d’obtenir une interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104/CEE. Cette disposition consacre le principe de l’épuisement des droits conférés par la marque, tout en permettant au titulaire de s’opposer à la commercialisation ultérieure de ses produits pour des motifs légitimes, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer, d’une part, les critères d’appréciation d’un nouvel emballage et, d’autre part, la charge de la preuve relative à la nécessité d’un tel reconditionnement.

La Cour de justice y répond en affirmant que l’appréciation du nouvel emballage se limite au risque d’atteinte à la réputation de la marque si le reconditionnement est nécessaire. Elle ajoute qu’il incombe à l’importateur de fournir au titulaire les éléments justifiant cette nécessité. La solution clarifie ainsi les conditions de fond du reconditionnement (I), tout en établissant le cadre procédural qui en régit la mise en œuvre (II).

I. La clarification des conditions de fond du reconditionnement

La Cour encadre l’opposition du titulaire de la marque en la soumettant à des conditions strictes. Elle réaffirme d’abord la nécessité du reconditionnement comme condition première (A), avant de limiter l’appréciation du nouvel emballage à la seule protection de la réputation de la marque (B).

A. La nécessité du reconditionnement comme condition préalable

La Cour de justice rappelle que le droit du titulaire de s’opposer à un reconditionnement n’est pas absolu. Le reconditionnement doit être objectivement justifié par les conditions de commercialisation dans l’État membre d’importation. La Cour énonce clairement que son analyse ne s’applique que « lorsqu’il est établi que le reconditionnement du produit pharmaceutique, par un nouvel emballage de celui-ci, est nécessaire à sa commercialisation ultérieure dans l’État membre d’importation ».

Ce critère de nécessité constitue la clef de voûte du raisonnement. Il vise à empêcher que le droit des marques ne soit utilisé pour cloisonner artificiellement les marchés nationaux. Le reconditionnement peut être nécessaire, par exemple, pour se conformer à des règles de santé publique, à des tailles de conditionnement standard ou à des exigences linguistiques propres à l’État d’importation. En subordonnant l’intervention du juge à cette condition, la Cour circonscrit l’exception à l’épuisement du droit à des situations où le parallèle-importateur n’a pas d’autre choix pour accéder au marché.

B. La protection de la réputation de la marque comme seule limite

Une fois la nécessité du reconditionnement établie, la Cour précise la seconde condition à laquelle la présentation du produit doit satisfaire. Le contrôle ne doit pas porter sur des considérations esthétiques ou sur les préférences subjectives du titulaire. La Cour juge en effet que « le mode de présentation de cet emballage ne doit être apprécié qu’au regard de la condition selon laquelle il ne doit pas être tel qu’il puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire ».

Cette approche limite considérablement les motifs légitimes d’opposition du titulaire. L’atteinte à la réputation suppose un préjudice objectif, par exemple si le nouvel emballage est défectueux, de mauvaise qualité ou de nature à dévaloriser l’image de la marque. La Cour écarte ainsi les arguments fondés sur la simple différence de présentation entre l’emballage d’origine et le nouvel emballage. La solution renforce la sécurité juridique pour les importateurs parallèles, dont le travail de reconditionnement ne peut être contesté que s’il affecte négativement et concrètement la renommée attachée aux produits.

Au-delà de ces éléments de fond, la décision organise les rapports entre les parties en définissant les obligations procédurales de l’importateur.

II. L’établissement du cadre procédural du reconditionnement

La Cour de justice ne se contente pas de fixer les règles matérielles ; elle se prononce également sur la charge de la preuve. Elle met ainsi à la charge de l’importateur une obligation d’information (A), dont la finalité est de permettre au titulaire de la marque d’exercer un contrôle (B).

A. L’obligation d’information pesant sur l’importateur

La seconde partie du dispositif de l’arrêt établit une règle probatoire claire. La Cour estime qu’« il appartient à l’importateur parallèle de fournir au titulaire de la marque les informations nécessaires et suffisantes ». Cette solution se justifie par la position des acteurs économiques. L’importateur est le seul à connaître les raisons précises qui le contraignent à modifier l’emballage pour pénétrer un marché national spécifique.

Faire peser la charge de la preuve sur lui est donc à la fois logique et équitable. Le titulaire de la marque, souvent une entreprise multinationale, ne peut connaître en détail les contraintes réglementaires ou commerciales de chaque État membre. En obligeant l’importateur à motiver sa démarche, la Cour prévient les litiges et incite à la transparence. L’importateur ne peut se contenter d’affirmer la nécessité du reconditionnement ; il doit la démontrer de manière circonstanciée.

B. La finalité de l’information : le contrôle par le titulaire

La Cour précise ensuite l’objectif de cette obligation de communication. L’information doit être fournie « en vue de permettre à ce dernier de vérifier que le reconditionnement du produit sous cette marque est nécessaire afin de le commercialiser dans l’État membre d’importation ». Le droit d’information de l’titulaire n’est donc pas discrétionnaire, mais fonctionnel : il est l’instrument de son droit de regard sur l’usage de sa marque.

Cette approche permet de concilier les intérêts en présence. D’un côté, l’importateur peut accéder au marché en procédant aux adaptations nécessaires. De l’autre, le titulaire conserve la capacité de protéger l’intégrité et la réputation de sa marque en vérifiant le bien-fondé des modifications apportées. La solution favorise un dialogue préalable entre les parties, qui peut permettre d’éviter une procédure judiciaire. Elle garantit que le titulaire est en mesure de former un jugement éclairé sur la légitimité du reconditionnement avant de décider, le cas échéant, d’agir en contrefaçon.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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