Par un arrêt du 22 décembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des libertés fondamentales en matière de fiscalité directe. En l’espèce, une société établie au Luxembourg détenait une participation de 48 % dans le capital d’une société belge, à laquelle elle avait également consenti un prêt. Les autorités fiscales belges ont notifié à la société débitrice une imposition au titre du précompte mobilier sur les intérêts dus au titre de ce prêt. La société belge a contesté cette imposition, arguant d’une discrimination. En effet, la législation nationale prévoyait une exonération de ce précompte pour les intérêts versés à une société résidente, alors qu’il était appliqué aux intérêts versés à une société non-résidente.
Saisi du litige, le Tribunal de première instance d’Arlon a annulé l’imposition, la jugeant contraire à la libre circulation des capitaux. L’État belge a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Liège. Par une décision du 6 juin 2007, cette dernière juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire, et notamment les dispositions relatives à la libre circulation des capitaux, s’opposait à une réglementation nationale réservant le bénéfice d’une exonération de retenue à la source sur les revenus d’intérêts aux seules sociétés bénéficiaires résidentes. La Cour a jugé que cette différence de traitement n’était pas constitutive d’une restriction interdite. Son raisonnement, fondé sur l’absence de comparabilité objective entre les contribuables (I), conduit à préserver une part significative de l’autonomie fiscale des États membres dans l’exercice de leur pouvoir d’imposition (II).
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I. La justification de la différence de traitement fiscal par l’absence de situation comparable
La Cour de justice a d’abord rattaché la situation à la liberté d’établissement, compte tenu de l’influence exercée par la société créancière sur sa débitrice (A). Elle a ensuite conclu que la différence de traitement fiscal entre sociétés résidentes et non-résidentes ne constituait pas une discrimination, car ces deux catégories d’entreprises ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable au regard de la mesure en cause (B).
A. La qualification de la situation au regard de la liberté d’établissement
Avant d’analyser la compatibilité de la mesure fiscale avec le droit communautaire, la Cour a déterminé quelle liberté fondamentale était principalement concernée. Bien que le litige portât sur des paiements d’intérêts, relevant a priori de la libre circulation des capitaux, la Cour a choisi d’examiner la situation sous l’angle de la liberté d’établissement. Elle a rappelé que les dispositions nationales s’appliquant à la détention par un ressortissant d’une participation lui permettant « d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités » relèvent de la liberté d’établissement. En l’espèce, la société luxembourgeoise détenait 48 % du capital de la société belge. La Cour a estimé qu’un tel niveau de participation était « de nature à conférer à [la société mère] une influence certaine sur les décisions et les activités de [la filiale] ». Par conséquent, l’analyse devait être menée principalement au regard des articles 52 et 58 du traité CE.
B. Le constat de l’absence de comparabilité objective des situations
La Cour a ensuite examiné si la différence de traitement fiscal constituait une restriction à la liberté d’établissement. La législation belge appliquait une retenue à la source sur les intérêts versés à une société non-résidente, tandis que les intérêts versés à une société résidente étaient soumis ultérieurement à l’impôt des sociétés, sans retenue préalable. Pour la Cour, une telle distinction ne constitue une discrimination que si elle s’applique à des situations objectivement comparables. Or, en matière de fiscalité directe, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont généralement pas comparables. La Cour a estimé que ce principe s’appliquait en l’espèce. Elle a jugé que la différence de traitement « concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ». Cette conclusion repose sur plusieurs facteurs. D’une part, l’État belge n’agit pas dans la même qualité : il est État de résidence dans le cas d’une transaction purement interne, et État de la source des revenus dans le cas d’une transaction transfrontalière. D’autre part, les modalités d’imposition reflètent des bases juridiques distinctes, l’imposition des non-résidents étant ici encadrée par une convention fiscale bilatérale.
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II. La préservation de l’autonomie fiscale des États membres
En jugeant les situations non comparables, la Cour valide la coexistence de techniques d’imposition différentes pour les résidents et les non-résidents (A). Cette solution, qui s’attache à une analyse formelle des mécanismes fiscaux, minore cependant l’appréciation de l’impact économique réel de la mesure sur les flux de capitaux (B).
A. La validation de techniques de perception de l’impôt distinctes
Le raisonnement de la Cour légitime le recours par un État membre à des modalités de recouvrement de l’impôt différenciées selon le lieu de résidence du contribuable. La retenue à la source pour les non-résidents et l’imposition par voie de rôle pour les résidents sont présentées comme « le corollaire du fait que les sociétés bénéficiaires résidentes et non-résidentes sont soumises à des impositions différentes ». Cette approche pragmatique reconnaît les difficultés pratiques liées au recouvrement de l’impôt auprès de contribuables établis à l’étranger, qui ne sont pas soumis au même contrôle direct de l’administration fiscale. La retenue à la source apparaît ainsi comme une technique légitime permettant à l’État de la source d’assurer efficacement l’exercice de sa compétence fiscale, telle qu’elle est répartie par les conventions préventives de la double imposition. L’arrêt confirme que la liberté d’établissement n’impose pas aux États de calquer le mode de perception de l’impôt des non-résidents sur celui des résidents.
B. Une analyse limitée de la charge fiscale effective
L’appréciation de la Cour quant à l’existence d’une restriction se fonde sur une approche principalement juridique, sans examiner en profondeur l’éventuel désavantage économique pour la société non-résidente. La Cour se contente de noter que la différence de traitement « ne procure pas nécessairement un avantage aux sociétés bénéficiaires résidentes ». Elle relève à cet égard que le taux du précompte mobilier est inférieur à celui de l’impôt des sociétés et que les sociétés résidentes sont tenues à des versements anticipés. Cette argumentation minimise l’impact potentiellement dissuasif d’une retenue à la source, qui engendre un désavantage de trésorerie pour le créancier non-résident en le privant de la disponibilité immédiate d’une partie de ses revenus. En s’abstenant de comparer la charge fiscale globale et le moment de son exigibilité, l’arrêt adopte une position mesurée. Il réaffirme la compétence des États membres pour définir leurs systèmes d’imposition, dès lors que la différence de traitement découle d’une absence de comparabilité objective entre contribuables résidents et non-résidents.