Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2008, n°C-333/07

Par un arrêt du 22 décembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en grande chambre, s’est prononcée sur la validité d’une décision de la Commission européenne en matière d’aides d’État. La question préjudicielle, posée par la cour administrative d’appel de Lyon, portait sur une décision du 10 novembre 1997 par laquelle la Commission n’avait pas soulevé d’objections à l’encontre d’un régime français d’aides destiné à soutenir des stations de radio locales. Ce régime était financé par une taxe parafiscale prélevée sur les sommes versées aux régies publicitaires pour la diffusion de messages publicitaires.

En l’espèce, une société de régie publicitaire avait acquitté cette taxe pour l’année 2001, puis en avait demandé le remboursement auprès des autorités fiscales. Face à un rejet implicite, elle a saisi les juridictions administratives françaises en soutenant que la taxe était illégale. L’illégalité de la taxe découlerait de l’invalidité de la décision de la Commission qui avait autorisé le régime d’aides. La société requérante avançait plusieurs moyens pour contester la validité de la décision de la Commission, notamment une motivation insuffisante, une erreur d’appréciation des faits et, surtout, une erreur de droit concernant la compatibilité du mode de financement de l’aide avec le droit communautaire. Saisie du litige en appel, la cour administrative d’appel de Lyon a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice sur la validité de ladite décision.

Le problème de droit soulevé par cette affaire consistait à déterminer si une décision de la Commission, autorisant un régime d’aides au stade de l’examen préliminaire, pouvait être considérée comme valide alors même que la Commission n’avait pas examiné la compatibilité avec le traité du mécanisme de financement de cette aide, en l’occurrence une taxe parafiscale. La question était de savoir si l’analyse du mode de financement constituait une condition nécessaire à l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché commun, dès lors que ce financement en formait une partie intégrante.

La Cour de justice a déclaré la décision de la Commission invalide. Elle a jugé que lorsque le mode de financement d’une aide, tel qu’une taxe, fait partie intégrante de la mesure d’aide en raison d’un lien d’affectation contraignant, la Commission est tenue d’examiner sa compatibilité avec le traité. L’absence d’un tel examen constitue une erreur de droit qui vicie la décision d’autorisation. La Cour a cependant décidé de moduler les effets de cette déclaration d’invalidité dans le temps afin de préserver la sécurité juridique, tout en protégeant les droits des justiciables ayant déjà introduit un recours.

I. L’indissociabilité réaffirmée du régime d’aide et de son mode de financement

La Cour de justice fonde sa solution sur une analyse rigoureuse du lien unissant l’aide à sa source de financement. Elle établit que ce lien, lorsqu’il est contraignant, impose une approche globale de la mesure (A), ce qui s’oppose à une vision purement budgétaire et distincte de l’aide (B).

A. L’identification d’un financement comme partie intégrante de l’aide

Pour déterminer si le financement fait corps avec l’aide, la Cour applique un critère jurisprudentiel constant. Elle rappelle que « pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide concernées en vertu de la réglementation nationale pertinente ». Ce lien est caractérisé lorsque « le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celle-ci ».

En l’espèce, la Cour examine précisément le décret français de 1997. Elle constate que le produit de la taxe parafiscale est spécifiquement et exclusivement versé à un fonds de soutien, lequel est lui-même dédié au financement des aides pour les radios locales. Cette affectation exclusive et obligatoire suffit à établir le lien contraignant exigé par la jurisprudence. L’analyse ne se limite pas à la seule existence d’un fléchage budgétaire ; elle s’attache à la nature juridique de ce fléchage, qui rend la taxe indissociable de l’aide qu’elle finance. Cette démarche concrète démontre que la qualification de « partie intégrante » ne dépend pas d’une appréciation discrétionnaire mais d’une analyse objective du droit national instituant le régime.

B. Le rejet d’une appréciation dissociée de la taxe et de l’aide

La Commission soutenait que la taxe n’était pas une partie intégrante du régime d’aide, arguant que le montant des subventions était déconnecté du produit de la taxe. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur le fonctionnement effectif du dispositif. Elle observe que si certaines aides sont plafonnées, leur attribution et leur montant final restent conditionnés par les fonds disponibles, lesquels proviennent quasi exclusivement de la taxe.

La démonstration est particulièrement nette pour la subvention annuelle de fonctionnement, principale aide du dispositif. Son montant est fixé par un barème établi par une commission ad hoc. Or, comme le relève l’arrêt, ce barème est lui-même déterminé en fonction des recettes passées et prévisionnelles de la taxe. Par conséquent, la Cour conclut que « l’octroi de ces aides ainsi que, dans une très large mesure, leur étendue, dépendent du produit de ladite taxe ». En refusant de dissocier les deux éléments, la Cour privilégie une approche économique et juridique réaliste plutôt qu’une lecture formaliste qui isolerait artificiellement l’aide de ses modalités de financement.

II. La sanction d’un contrôle incomplet exercé par la Commission

La qualification de la taxe comme partie intégrante de l’aide emporte des conséquences juridiques précises quant aux obligations de la Commission. Son manquement à ces obligations conduit logiquement à l’invalidation de sa décision (A), dont les effets sont toutefois aménagés par la Cour (B).

A. L’obligation de contrôle de la compatibilité du mode de financement

Dès lors que le mode de financement fait partie intégrante du régime d’aides, son examen devient une étape obligatoire du contrôle de la Commission. La Cour réaffirme avec force que « l’examen d’une mesure d’aide par la Commission doit nécessairement aussi prendre en considération le mode de financement de l’aide dans le cas où ce dernier fait partie intégrante de la mesure ». Omettre cet examen constitue une erreur de droit. En effet, un mode de financement contraire au droit de l’Union, par exemple en étant discriminatoire, peut rendre l’ensemble du régime d’aides incompatible avec le marché commun, même si l’aide elle-même aurait pu être autorisée.

Dans cette affaire, la Commission a admis ne pas avoir procédé à cet examen, estimant à tort qu’il n’était pas requis. Or, la taxe en cause soulevait des questions sérieuses de compatibilité, notamment parce qu’elle pouvait frapper des services de diffusion publicitaire fournis depuis d’autres États membres à destination du territoire français, alors que l’aide ne bénéficiait qu’à des opérateurs nationaux. Ce faisant, la Cour souligne que le contrôle des aides d’État ne saurait être parcellaire et que l’effectivité des règles du traité impose à la Commission une vigilance complète sur toutes les composantes d’une mesure notifiée.

B. L’invalidation de la décision et la modulation de ses effets

L’erreur de droit commise par la Commission en s’abstenant d’examiner le mode de financement vicie nécessairement son appréciation de la compatibilité du régime. La conséquence directe est l’invalidité de la décision litigieuse. Cette censure réaffirme la portée du contrôle juridictionnel exercé par la Cour sur les décisions de la Commission en matière d’aides d’État, même celles prises au stade de l’examen préliminaire.

Toutefois, la Cour se montre consciente des conséquences qu’une annulation pure et simple pourrait entraîner. Déclarer la décision invalide avec effet rétroactif aurait rendu illégal l’ensemble du régime d’aides appliqué pendant cinq ans, avec un risque de devoir récupérer les aides auprès de nombreuses petites stations de radio. Pour parer à cette insécurité juridique, la Cour use de son pouvoir de modulation des effets de ses arrêts. Elle décide de « tenir en suspens les effets du constat d’invalidité » pour permettre à la Commission de remédier à l’illégalité constatée en adoptant une nouvelle décision. Sont cependant « exceptées de cette limitation dans le temps des effets du présent arrêt les seules entreprises qui ont introduit avant la date du prononcé de cet arrêt un recours en justice ou une réclamation équivalente ». Cette solution équilibrée concilie les exigences de la légalité, la sécurité juridique et le droit à une protection juridictionnelle effective pour les justiciables les plus diligents.

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