Par un arrêt du 22 décembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant sur renvoi préjudiciel du Landesgericht für Strafsachen Wien, a précisé les contours de la notion de « définitivement jugé » au sens de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen. En l’espèce, un individu était soupçonné d’avoir commis un vol aggravé sur le territoire autrichien. Une procédure pénale fut engagée en Autriche en 2000. Informées de la présence du suspect sur le territoire slovaque, les autorités autrichiennes demandèrent en 2003 à la République slovaque de reprendre les poursuites, conformément à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, et suspendirent leur propre procédure. Les autorités slovaques donnèrent suite à cette demande et une enquête fut ouverte. Cependant, le 14 septembre 2006, une autorité de police slovaque ordonna la suspension des poursuites au motif que les faits n’étaient pas constitutifs d’un délit et qu’il n’y avait pas de raison de poursuivre l’affaire. Cette décision de suspension n’a fait l’objet d’aucune réclamation et est devenue exécutoire. La juridiction autrichienne, saisie à nouveau de l’affaire, s’est alors interrogée sur la possibilité de reprendre les poursuites pénales contre l’intéressé sans méconnaître le principe *ne bis in idem* garanti par l’article 54 de ladite convention. Face à cette incertitude, la juridiction de renvoi a posé à la Cour de justice la question de savoir si une décision de suspension des poursuites, prise par une autorité de police après un examen au fond mais sans sanction, fait obstacle à de nouvelles poursuites pour les mêmes faits dans un autre État contractant. En substance, il s’agissait de déterminer si une décision de classement sans suite émanant d’une autorité de police, qui en droit national n’éteint pas l’action publique, peut être qualifiée de décision par laquelle une personne a été « définitivement jugée » au sens du droit de l’Union. La Cour répond par la négative, estimant que le principe *ne bis in idem* ne s’applique pas lorsqu’une décision de suspension des poursuites, selon le droit national de l’État qui l’a prononcée, n’éteint pas définitivement l’action publique et ne constitue donc pas un obstacle à de nouvelles poursuites pour les mêmes faits dans ce même État.
Cette solution conduit à s’interroger sur la portée de la protection accordée par le principe *ne bis in idem* dans l’espace Schengen. Il convient d’analyser l’interprétation restrictive de la notion de « définitivement jugé » retenue par la Cour (I), avant d’en examiner la finalité, orientée vers la préservation d’un équilibre entre la liberté de circulation et les impératifs de la répression pénale (II).
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I. L’interprétation restrictive de la notion de « définitivement jugé »
La Cour de justice adopte une lecture stricte de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, en subordonnant sa mise en œuvre à l’effet de la décision au regard du droit national (A), ce qui a pour conséquence d’exclure du champ de la protection les décisions de police n’éteignant pas l’action publique (B).
A. La primauté du droit national dans l’appréciation du caractère définitif d’une décision
La Cour de justice établit une méthode claire pour déterminer si une personne a été « définitivement jugée ». Elle considère qu’il convient de vérifier si, dans l’ordre juridique de l’État où elle a été rendue, la décision met fin aux poursuites et éteint l’action publique de manière définitive. Ce faisant, la Cour pose comme préalable l’analyse du droit interne de l’État d’origine de la décision. Elle affirme ainsi qu’« une décision qui, selon le droit du premier État contractant ayant engagé des poursuites pénales à l’encontre d’une personne, n’éteint pas définitivement l’action publique au niveau national ne saurait avoir, en principe, pour effet de constituer un obstacle procédural à ce que des poursuites pénales soient éventuellement entamées ou poursuivies, pour les mêmes faits, à l’encontre de cette personne dans un autre État contractant ». L’application du principe *ne bis in idem* au niveau de l’Union est donc directement conditionnée par la portée que le droit national confère à la décision de clôture. Cette approche pragmatique assure une cohérence entre les ordres juridiques, en évitant qu’une décision précaire au niveau national n’acquière une autorité de chose jugée absolue dans un autre État membre. En l’espèce, le gouvernement slovaque a confirmé qu’une suspension de poursuites en vertu de l’article 215, paragraphe 1, sous b), du code de procédure pénale slovaque ne constitue pas un obstacle à de nouvelles poursuites pour les mêmes faits en Slovaquie. Par conséquent, cette décision ne pouvait être considérée comme définitive au sens de l’article 54.
B. L’exclusion des décisions de police non extinctives de l’action publique
En s’appuyant sur cette méthode, la Cour distingue la situation d’espèce de sa jurisprudence antérieure, notamment les arrêts *Gözütok et Brügge* ou *Van Straaten*. Dans ces affaires, les décisions en cause, qu’il s’agisse de transactions proposées par le ministère public ou d’acquittements judiciaires, avaient pour effet d’éteindre définitivement l’action publique. Or, la décision de l’autorité de police slovaque n’était qu’une suspension de la procédure, prise à un stade antérieur à l’incrimination formelle d’une personne. La Cour souligne qu’une telle décision « qui, tout en suspendant les poursuites pénales, ne met pas définitivement fin à l’action publique selon l’ordre juridique national concerné, ne saurait constituer une décision permettant de considérer que cette personne a été ‘définitivement jugée’ au sens de l’article 54 de la [Convention] ». Cette interprétation conduit à exclure du champ de protection de l’article 54 toutes les mesures procédurales qui, bien que mettant un terme provisoire à une enquête, n’interdisent pas sa réouverture ultérieure, par exemple en cas d’apparition de nouvelles preuves. La qualification de l’autorité émettrice, une autorité de police et non une autorité judiciaire, bien que non déterminante en soi, renforce l’idée qu’il ne s’agit pas d’un jugement au fond doté de l’autorité de la chose jugée.
En définissant de manière si stricte les conditions d’application du principe, la Cour poursuit un objectif clair visant à préserver l’efficacité de la répression pénale au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
II. Une interprétation téléologique au service de la lutte contre l’impunité
La solution retenue par la Cour de justice reflète une interprétation finaliste de l’article 54, cherchant à garantir l’efficacité de la lutte contre la criminalité (A) et clarifiant par là même la portée limitée de la protection accordée à l’individu (B).
A. La sauvegarde de l’objectif de lutte contre la criminalité
La Cour justifie sa position restrictive en invoquant la finalité des dispositions du traité sur l’Union européenne relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Appliquer le principe *ne bis in idem* à une décision de suspension non définitive « aurait pour effet de faire obstacle, dans un autre État contractant, où davantage de preuves pourraient peut-être être disponibles, à toutes possibilités concrètes de poursuivre et éventuellement de sanctionner une personne en raison de son comportement illicite ». Une telle issue irait à l’encontre de l’objectif de l’Union de « prendre des mesures appropriées en matière […] de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ». La Cour opère ainsi un arbitrage entre la garantie de la libre circulation des personnes et la nécessité de ne pas créer des espaces d’impunité. Si une personne pouvait échapper à toute poursuite dans l’ensemble de l’espace Schengen sur la base d’une simple décision de classement non définitive prise dans un État, cela compromettrait gravement l’efficacité de la coopération judiciaire pénale. L’arrêt garantit donc que la fin des poursuites dans un État membre, pour des raisons d’opportunité ou en raison d’un manque de preuves à un instant T, ne puisse paralyser l’action de la justice dans un autre État membre qui disposerait, lui, des éléments suffisants pour mener une procédure à son terme.
B. La portée circonscrite de la protection individuelle conférée par l’article 54
En conséquence, la Cour précise la nature de la protection que l’article 54 entend conférer. Son but est de garantir qu’une personne « définitivement acquittée dans un État contractant » ou qui a été « condamnée et a purgé sa peine » puisse se déplacer librement sans craindre de nouvelles poursuites pour les mêmes faits. L’arrêt établit cependant que cette disposition « n’a pas pour but de protéger un suspect contre l’éventualité de devoir se prêter à des recherches successives, pour les mêmes faits, dans plusieurs États contractants ». La garantie *ne bis in idem* protège donc contre une double sanction ou un double jugement au fond, mais non contre la succession d’enquêtes ou de procédures d’instruction qui n’ont pas abouti à une décision finale et extinctive de l’action publique. Cette distinction est fondamentale : le principe ne constitue pas un droit à ne pas être inquiété plus d’une fois, mais un droit à ne pas être jugé plus d’une fois de manière définitive. Ainsi, un individu qui a seulement fait l’objet d’une enquête classée sans suite dans un État membre reste exposé à des poursuites dans un autre, ce qui, tout en étant procéduralement inconfortable, apparaît comme une conséquence nécessaire de l’objectif de lutte contre l’impunité au sein de l’Union.