Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2010, n°C-273/09

Par un arrêt du 16 décembre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions essentielles sur les limites du pouvoir de rectification des actes de l’Union et sur les critères de classement tarifaire d’un produit destiné à compenser une infirmité. En l’espèce, une société avait sollicité auprès des autorités douanières nationales un renseignement tarifaire contraignant pour des déambulateurs à roulettes. L’entreprise estimait que ces produits relevaient de la position 9021 de la nomenclature combinée, en tant qu’articles et appareils d’orthopédie. Les autorités douanières ont cependant classé la marchandise dans la sous-position 8716 80 00, correspondant aux autres véhicules non automobiles. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur la validité d’un règlement de la Commission, modifié par un rectificatif, qui fondait ce classement. La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si un rectificatif pouvait légalement aboutir à une modification de la substance d’un règlement, en altérant notamment son champ d’application. D’autre part, la Cour devait examiner si la Commission, en classant le déambulateur parmi les véhicules, n’avait pas excédé son large pouvoir d’appréciation en matière de classement tarifaire. En réponse, la Cour a déclaré le règlement invalide. Elle a jugé que le rectificatif publié avait modifié le contenu de l’acte initial, ce qui excède la simple correction d’une erreur matérielle. Elle a en outre estimé que le classement tarifaire opéré était erroné, la fonction principale du produit le rattachant objectivement à la catégorie des appareils orthopédiques. Le raisonnement de la Cour sanctionne ainsi une irrégularité formelle (I) avant de corriger une erreur d’appréciation matérielle (II).

I. L’invalidation du règlement pour modification substantielle par voie de rectificatif

La Cour de justice fonde sa décision d’invalidité en premier lieu sur une irrégularité de nature formelle. Elle réaffirme sa conception stricte de l’instrument du rectificatif (A) avant de constater que, en l’espèce, celui-ci opérait une modification de fond déguisée (B).

A. La portée strictement limitée de l’instrument du rectificatif

La Cour rappelle avec constance le principe selon lequel un rectificatif ne peut servir qu’à corriger des erreurs d’ordre matériel. Elle énonce ainsi clairement que, « une fois qu’un acte a été formellement adopté, seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales peuvent encore être apportées à son texte ». Cette jurisprudence protège la sécurité juridique et la hiérarchie des normes en empêchant qu’une procédure simplifiée ne soit utilisée pour contourner les exigences formelles liées à la modification d’un acte de l’Union. Le choix d’une procédure de modification implique en effet le respect d’étapes et de consultations garantissant l’équilibre institutionnel, ce que la simple rectification ignore.

En conséquence, toute altération qui affecte le contenu ou la portée d’une disposition excède le cadre de la rectification et doit faire l’objet d’un nouvel acte législatif adopté selon les formes requises. La Cour se livre à une analyse minutieuse pour vérifier si les changements apportés relèvent ou non de cette seule catégorie d’erreurs matérielles.

B. La caractérisation d’une altération du champ d’application du règlement

En l’espèce, la Cour constate que les changements introduits allaient bien au-delà de simples corrections. Le rectificatif avait non seulement remplacé intégralement l’annexe du règlement initial, changeant ainsi la liste des marchandises concernées, mais il avait aussi modifié les considérants de l’acte. Le règlement initial indiquait que les mesures prévues étaient conformes à l’avis du comité du code des douanes. Or, le texte rectifié précisait au contraire qu’en ce qui concerne le déambulateur, « le comité du code des douanes n’a pas émis d’avis dans le délai imparti par son président ».

Cet élément démontre, pour la Cour, une incohérence fondamentale qui révèle la nature substantielle du changement. La Commission ne pouvait avoir eu l’intention de classer des déambulateurs dans son règlement initial si, à la date de son adoption, l’avis du comité compétent sur ce produit n’avait pas été rendu. Il s’agissait donc d’un élargissement du champ d’application de l’acte. La Cour en déduit logiquement que « le rectificatif publié le 7 mai 2004 va au-delà d’une simple rectification d’une erreur matérielle et a en réalité modifié le contenu du règlement nº 729/2004 ».

II. La primauté du critère fonctionnel dans le classement tarifaire

Après avoir invalidé l’acte sur la forme, la Cour examine le fond du classement pour guider la juridiction de renvoi. Elle rejette la qualification de véhicule en se fondant sur la fonction principale du produit (A) et confirme son appartenance à la catégorie des appareils orthopédiques par une analogie fonctionnelle (B).

A. L’exclusion de la qualification de véhicule en l’absence de fonction de transport

La Cour rappelle d’abord sa jurisprudence constante selon laquelle le critère décisif pour la classification tarifaire réside dans les caractéristiques et propriétés objectives des marchandises. La destination du produit n’est pertinente que si elle est inhérente à celui-ci. La position 8716 de la nomenclature vise les véhicules non automobiles destinés au transport de personnes ou de marchandises. Or, la Cour constate que le déambulateur à roulettes ne répond pas à cette définition.

Sa conception spécifique le destine à une autre fin. En effet, « le chariot roulant ne répond pas à ces caractéristiques, celui-ci étant spécialement conçu pour permettre aux personnes qui éprouvent des difficultés à marcher en leur permettant de se déplacer en avant en poussant le chariot roulant qui leur apporte un soutien ». Le fait que l’appareil puisse être équipé d’un siège ou d’un panier est jugé accessoire et ne saurait remettre en cause sa fonction principale. La Cour applique ainsi le principe selon lequel un produit à fonctions multiples doit être classé selon la fonction qui lui confère son caractère essentiel.

B. L’assimilation à un appareil orthopédique par analogie avec les béquilles

Examinant ensuite la position 9021, la Cour relève qu’elle inclut notamment les « articles et appareils d’orthopédie, y compris les béquilles ». Elle établit une comparaison directe entre la fonction des béquilles et celle du déambulateur. Les béquilles compensent une déficience des membres inférieurs pour permettre la marche. Le déambulateur, bien que sollicitant les deux jambes, remplit une fonction similaire en compensant une déficience de l’équilibre, indispensable à la marche. La Cour conclut qu’« un tel chariot roulant remplit une fonction analogue à celle des béquilles ».

Cet appareil permet à une personne de se déplacer seule en sécurité, une performance qu’elle ne pourrait accomplir sans ce soutien. En outre, la Cour écarte une interprétation restrictive des notes explicatives qui semblaient exclure les appareils ne servant qu’à atténuer les effets d’une infirmité. Elle considère qu’un déambulateur compense bien une fonction défaillante du corps. Dès lors, en classant ce produit dans la position 8716, la Commission a restreint abusivement la portée de la position 9021 et a donc excédé son pouvoir d’appréciation.

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Hassan KOHEN
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