Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2010, n°C-497/10

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères de détermination de la compétence juridictionnelle en matière de responsabilité parentale. En l’espèce, une ressortissante française et un ressortissant britannique, non mariés, ont eu une enfant en Angleterre. Quelques semaines après la naissance, la mère, qui était alors la seule titulaire du droit de garde selon le droit anglais, a quitté l’Angleterre avec le nourrisson pour s’installer en France, sur l’île de la Réunion. Le père, découvrant leur départ, a saisi la High Court of Justice (England & Wales) afin d’obtenir notamment l’attribution de la responsabilité parentale et le retour de l’enfant. Quelques jours plus tard, la mère a engagé une procédure similaire en France auprès du tribunal de grande instance de Saint-Denis pour se voir confier l’exercice exclusif de l’autorité parentale. Parallèlement, le père a initié une action en France sur le fondement de la Convention de la Haye de 1980, qui fut rejetée au motif qu’il n’était pas titulaire d’un droit de garde au moment du déplacement. La High Court of Justice s’étant déclarée compétente, la mère a interjeté appel de cette décision devant la Court of Appeal (England & Wales), laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Il était demandé à la Cour de définir la notion de « résidence habituelle » d’un nourrisson aux fins de l’application du règlement (CE) n° 2201/2003, notamment après un déplacement récent, et de clarifier les règles de gestion des instances parallèles introduites dans deux États membres. La Cour de justice répond que la résidence habituelle correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial, laquelle doit s’apprécier au regard d’un faisceau d’indices, et que pour un nourrisson, ces indices sont principalement liés à la situation du parent qui en a la garde. Elle rappelle en outre que les règles de litispendance du règlement imposent à la seconde juridiction saisie de surseoir à statuer.

La solution apportée par la Cour de justice repose sur une définition concrète de la notion de résidence habituelle, adaptée à la situation particulière des très jeunes enfants (I), ce qui a pour corollaire une application stricte des mécanismes de coordination des compétences juridictionnelles au sein de l’Union (II).

***

I. La consécration d’une approche factuelle de la résidence habituelle du nourrisson

La Cour de justice précise le concept de résidence habituelle en rappelant d’abord son autonomie par rapport aux droits nationaux (A), pour ensuite l’adapter aux circonstances spécifiques d’un enfant en bas âge (B).

A. La réaffirmation d’une notion autonome de résidence habituelle

La Cour rappelle que la notion de « résidence habituelle » doit recevoir une interprétation autonome et uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne. Cette exigence découle de la nécessité d’une application homogène du droit de l’Union et du principe d’égalité. La détermination du sens et de la portée de ce concept ne saurait donc dépendre des définitions variables prévues par les législations nationales des États membres. L’interprétation doit plutôt être recherchée à la lumière du contexte du règlement n° 2201/2003 et de ses objectifs, notamment celui de l’intérêt supérieur de l’enfant et du critère de proximité.

En se fondant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour énonce que la résidence habituelle « correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial ». L’établissement de ce lieu n’est pas subordonné à des conditions de durée minimales, mais à une analyse globale des faits propres à chaque espèce. La stabilité de la résidence est un facteur clé, mais la durée du séjour ne constitue qu’un indice parmi d’autres pour l’évaluer. Cette approche pragmatique vise à identifier le véritable centre de vie de l’enfant au moment de la saisine de la juridiction, afin de garantir que le juge le plus proche de sa réalité quotidienne soit compétent.

B. L’adaptation des critères d’appréciation à la situation du nourrisson

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’adaptation de ces critères à la situation d’un nourrisson. La Cour reconnaît que l’environnement social et familial pertinent varie en fonction de l’âge de l’enfant. Pour un enfant en bas âge, et a fortiori un nourrisson, cet environnement est par nature essentiellement familial. Il est déterminé par la ou les personnes de référence qui en prennent soin. La Cour affirme ainsi que « l’environnement d’un enfant en bas âge est essentiellement un environnement familial, déterminé par la personne ou les personnes de référence avec lesquelles l’enfant vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui ».

Par conséquent, lorsque le nourrisson est gardé par sa mère, c’est l’intégration de celle-ci dans son environnement qui devient le facteur déterminant. Plusieurs éléments doivent être pris en considération par le juge national, tels que les origines géographiques et familiales de la mère, ses connaissances linguistiques, ainsi que les raisons de son déménagement. Le simple fait que le séjour soit récent ne suffit pas à exclure la constitution d’une nouvelle résidence habituelle, si la volonté de la mère de s’établir de manière stable est matérialisée par des faits concrets. En cas d’impossibilité d’établir la résidence habituelle sur ces bases, la Cour précise que la compétence subsidiaire fondée sur la simple « présence de l’enfant » prévue à l’article 13 du règlement doit s’appliquer.

II. La régulation stricte des conflits de juridictions

La détermination de la juridiction compétente s’accompagne d’une gestion rigoureuse des procédures parallèles. La Cour de justice réaffirme la primauté de la règle de la litispendance au sein de l’Union (A) et clarifie l’articulation entre le règlement et les conventions internationales (B).

A. L’application rigoureuse de la règle de la litispendance

La Cour procède à une application mécanique de l’article 19, paragraphe 2, du règlement. Cette disposition prévoit que lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale ayant le même objet et la même cause sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la première soit établie. En l’espèce, la High Court of Justice (England & Wales) a été saisie le 12 octobre 2009, tandis que le tribunal de grande instance de Saint-Denis l’a été le 28 octobre 2009.

La juridiction française était donc tenue d’attendre que la juridiction anglaise se prononce sur sa propre compétence avant de statuer. Cette règle vise à prévenir les décisions contradictoires et à assurer une bonne administration de la justice au sein de l’espace judiciaire européen. En confirmant que le tribunal français n’aurait pas dû statuer, la Cour renforce la sécurité juridique et la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États membres. La décision sur la compétence, fondée sur la résidence habituelle de l’enfant, conditionne ainsi la poursuite de l’une ou l’autre des procédures.

B. L’articulation entre le règlement et la Convention de La Haye

La Cour se prononce également sur l’interaction entre le règlement n° 2201/2003 et la Convention de la Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Le père avait engagé une action en retour sur le fondement de cette convention, qui fut rejetée par le juge français au motif qu’il n’était pas titulaire d’un droit de garde. La Cour de justice souligne que, conformément à l’article 19 de ladite convention, une décision de non-retour « n’affecte pas le fond du droit de garde ».

Autrement dit, la procédure de retour est une procédure d’urgence qui ne tranche pas la question de savoir qui doit exercer la responsabilité parentale. Le rejet de la demande de retour ne préjuge en rien de la décision qui sera rendue au fond par la juridiction compétente en vertu du règlement. Cette clarification est essentielle car elle maintient une distinction nette entre le mécanisme de retour immédiat en cas de déplacement illicite et l’examen au fond des questions de responsabilité parentale. La décision rendue en application de la Convention de la Haye ne lie donc pas la juridiction compétente pour statuer sur le fond du droit.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture