Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2010, n°C-77/09

Par un arrêt du 22 décembre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Tribunale amministrativo regionale del Lazio, s’est prononcée sur la validité de la directive 2006/134/CE. Cette directive avait drastiquement limité les conditions d’utilisation d’une substance active phytopharmaceutique, le fénarimol, en vue de son inscription à l’annexe I de la directive 91/414/CEE. Une société, détentrice des droits sur cette substance, avait initié la procédure d’inscription, laquelle implique une évaluation scientifique des risques menée par un État membre rapporteur. Au terme de cette évaluation, les conclusions scientifiques s’étaient révélées globalement positives, estimant que les risques liés aux usages proposés de la substance étaient acceptables. Toutefois, au cours de la phase de gestion des risques, des préoccupations relatives aux effets potentiels de perturbation endocrinienne de la substance ont été soulevées par plusieurs États membres. Face à ces inquiétudes et en l’absence de consensus, la Commission européenne a adopté la directive litigieuse, imposant des restrictions significatives quant aux cultures autorisées et à la durée d’inscription, fixée à dix-huit mois seulement. La société requérante, s’estimant lésée par la transposition en droit interne de ces mesures, a contesté la validité de la directive devant la juridiction nationale, arguant d’une incohérence entre les conclusions scientifiques favorables et la sévérité des restrictions adoptées. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur la validité de la directive au regard de cette apparente contradiction. La question posée à la Cour était de savoir si la Commission pouvait légalement imposer des mesures de gestion des risques aussi restrictives en présence d’une évaluation scientifique ne concluant pas à un risque inacceptable. La Cour de justice a jugé que l’examen de la question n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive, validant ainsi l’approche de la Commission.

La solution retenue par la Cour de justice conforte le large pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission dans le cadre de la gestion des risques sanitaires et environnementaux (I), tout en précisant les conditions de mise en œuvre des principes de précaution et de proportionnalité pour justifier l’adoption de mesures restrictives (II).

I. La consolidation du large pouvoir d’appréciation de la Commission dans la gestion des risques

La Cour rappelle la distinction fondamentale entre l’évaluation scientifique des risques et la décision politique de leur gestion (A), sur laquelle s’exerce un contrôle juridictionnel nécessairement restreint (B).

A. La dissociation de l’évaluation scientifique et de la décision de gestion

La Cour de justice souligne que la procédure d’autorisation des substances phytopharmaceutiques se déroule en deux temps distincts. Le premier temps, l’évaluation des risques, repose sur une analyse purement scientifique menée par un État membre rapporteur et examinée par les experts. Le second, la gestion des risques, relève de la compétence de la Commission et, le cas échéant, du Conseil, et constitue une décision de nature politique qui intègre d’autres considérations. Dans le cas d’espèce, bien que l’évaluation scientifique ait conclu à l’absence de risque inacceptable, cette conclusion ne liait pas la Commission. La Cour énonce clairement que, « si la Commission est tenue de prendre en considération l’évaluation scientifique préparée par l’État membre rapporteur, cette évaluation ne lie pas pour autant la Commission, ni, le cas échéant, le Conseil, lesquels, dans la procédure prévue à l’article 19 de cette directive, demeurent en droit d’adopter des mesures de gestion des risques différentes de celles proposées par l’État membre rapporteur ». Cette affirmation réitère une jurisprudence constante qui préserve la marge de manœuvre des institutions dans des domaines où des choix complexes doivent être opérés, en conciliant les objectifs d’harmonisation du marché, de production agricole et de protection de la santé et de l’environnement.

B. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

Conséquence directe du large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission, le contrôle exercé par le juge de l’Union sur la légalité de ses actes est limité. La Cour rappelle qu’en cette matière, son contrôle se borne à vérifier « le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir ». Le juge ne substitue pas sa propre appréciation des risques à celle de l’institution. Pour conclure à une erreur manifeste d’appréciation, il doit s’assurer que l’institution n’a pas examiné « avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce ». En l’occurrence, la Cour constate que la Commission n’a pas ignoré les conclusions scientifiques, puisqu’elle a bien procédé à l’inscription de la substance, mais a modulé cette inscription en tenant compte d’autres éléments, notamment les préoccupations persistantes sur certains aspects toxicologiques. Dès lors que la décision finale ne contredit pas frontalement les données scientifiques mais les complète par une approche prudentielle, l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas constituée.

Cette approche permet à la Cour d’examiner plus spécifiquement les justifications avancées par la Commission, lesquelles reposent sur une application combinée des principes de précaution et de proportionnalité.

II. La justification des mesures restrictives par une application combinée des principes de précaution et de proportionnalité

La Cour admet que le principe de précaution puisse fonder des mesures restrictives même en l’absence de certitude scientifique sur le risque (A), à condition que ces mesures respectent le principe de proportionnalité (B).

A. La mise en œuvre du principe de précaution face aux incertitudes scientifiques résiduelles

La requérante soutenait que le principe de précaution ne pouvait être invoqué, l’évaluation scientifique ayant été globalement positive. La Cour rejette cette argumentation en rappelant la portée de ce principe. Il trouve à s’appliquer « lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait ». En l’espèce, la Cour relève que, malgré les études menées, « demeuraient certaines préoccupations au sujet des effets toxiques intrinsèques du fénarimol, et notamment de ses propriétés potentielles de perturbation endocrinienne », et que ces préoccupations ne reposaient pas sur des « considérations de nature purement hypothétique ». L’existence de travaux en cours au sein de l’OCDE pour affiner les tests sur ces propriétés suffisait à matérialiser une incertitude scientifique justifiant que la Commission adopte une approche prudente. La Cour valide ainsi une conception du principe de précaution qui ne se limite pas à l’hypothèse d’une absence de données, mais s’étend à des situations où les données existantes, bien que rassurantes sur certains aspects, laissent subsister un doute sérieux sur d’autres.

B. L’appréciation de la proportionnalité des restrictions imposées

Ayant admis le recours au principe de précaution, la Cour vérifie si les mesures adoptées n’allaient pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs de protection. La Cour reconnaît que les restrictions étaient sévères mais refuse de les considérer comme disproportionnées. Elle observe d’abord que la Commission a cherché un « équilibre entre les objectifs de la directive 91/414 relatifs à l’amélioration de la production végétale et de protection de la santé humaine et animale ». Surtout, elle analyse le caractère temporaire et révisable des mesures. D’une part, la durée d’inscription limitée à dix-huit mois « ne s’oppose pas à un éventuel renouvellement ». D’autre part, la limitation des usages autorisés « ne s’oppose pas à ce que d’autres utilisations puissent être inscrites », sous réserve d’une évaluation complète. Ces possibilités d’évolution future démontrent que la décision de la Commission n’équivalait pas à une interdiction déguisée, mais constituait une mesure d’attente et de gestion provisoire du risque. Dans ces conditions, et eu égard au large pouvoir d’appréciation de l’institution, les restrictions ne pouvaient être qualifiées de manifestement inappropriées ou excessives.

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Hassan KOHEN
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