La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 22 décembre 2022 une décision majeure concernant le droit des marques. Cet arrêt précise les conditions dans lesquelles l’exploitant d’une place de marché en ligne peut être considéré comme faisant un usage illicite d’un signe protégé.
Un créateur renommé de chaussures de luxe a constaté la présence de produits contrefaisants sur une plateforme de vente en ligne intégrant une place de marché. Ces produits arboraient une semelle rouge caractéristique, enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, sans le consentement préalable du titulaire des droits.
Le titulaire de la marque a alors saisi les juridictions luxembourgeoises et belges afin de faire cesser ces pratiques et d’obtenir réparation pour le préjudice subi. Les tribunaux de renvoi ont interrogé la Cour sur l’imputabilité de l’usage du signe à l’exploitant de la plateforme, au regard du règlement sur la marque européenne.
La question posée est de savoir si l’exploitant d’un site hybride fait usage d’un signe identique à une marque lorsqu’il présente indistinctement ses propres offres. Il s’agit de déterminer si le mode de fonctionnement de la plateforme crée une confusion sur l’origine commerciale des produits litigieux.
La Cour répond qu’un tel usage est constitué si l’utilisateur établit un lien entre les services de l’exploitant et le signe litigieux. Cette perception repose sur le mode de présentation uniforme des annonces et sur la nature des services logistiques fournis par la plateforme.
I. L’assimilation de l’usage du signe à la communication commerciale de l’exploitant
A. Le critère de la perception de l’utilisateur normalement informé
La Cour rappelle que la notion d’usage implique un comportement actif et une maîtrise de l’acte par le tiers agissant dans la vie des affaires. Pour être imputable, l’usage doit s’inscrire dans la propre communication commerciale de l’entreprise, laquelle vise à promouvoir son activité ou ses biens spécifiques.
Le juge européen précise que l’exploitant fait usage d’un signe lorsqu’il « s’établit un lien entre ledit signe et les services fournis par ledit prestataire ». Cette analyse nécessite de se placer du point de vue d’un « utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif » consultant le site de vente en ligne.
B. L’influence déterminante du mode de présentation uniforme des annonces
L’intégration des annonces dans la communication de l’exploitant dépend étroitement du mode de présentation choisi pour l’ensemble de son site Internet. La Cour souligne que les offres doivent être présentées de façon à permettre de « distinguer aisément les offres émanant, d’une part, de l’exploitant et, d’autre part, de vendeurs tiers ».
Un mode de présentation uniforme, affichant indistinctement le logo de l’exploitant sur toutes les annonces, est susceptible de créer une impression de commercialisation directe. L’absence de distinction claire entre les stocks propres et les produits tiers renforce le risque de confusion sur l’identité réelle de l’offrant initial.
L’analyse de la perception de l’utilisateur doit être complétée par l’examen des services techniques offerts par la plateforme.
II. L’élargissement de la responsabilité de l’intermédiaire par les services complémentaires
A. L’incidence des prestations de stockage et d’expédition sur la qualification d’usage
La responsabilité de l’exploitant se trouve également engagée en raison de la nature et de l’ampleur des services complémentaires proposés aux vendeurs tiers sur la plateforme. Ces prestations logistiques, incluant le stockage et l’expédition, peuvent donner l’apparence d’une maîtrise totale de la chaîne commerciale par l’entité gérant le site web.
Le juge estime que la prise en charge des questions des utilisateurs ou de la gestion des retours contribue à établir le lien litigieux. L’utilisateur peut légitimement croire que l’exploitant « commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus dudit signe ».
B. Une solution renforçant la protection des titulaires de marques
Cette décision marque une évolution notable par rapport à la jurisprudence antérieure qui protégeait plus largement les intermédiaires techniques contre les actions en contrefaçon. En se fondant sur l’impression globale du consommateur, la Cour de justice renforce significativement la protection des titulaires de marques contre les circuits de distribution illicites.
Les exploitants de sites hybrides devront désormais veiller à une séparation stricte de leurs activités de vente directe et de leurs services de place de marché. Cette exigence de transparence garantit la fonction essentielle de la marque qui est d’assurer au consommateur final la provenance exacte du produit.