Par un arrêt du 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, est venue préciser l’articulation entre la protection des citoyens de l’Union contre l’extradition et les engagements internationaux des États membres. En l’espèce, un citoyen de l’Union, possédant la nationalité croate, résidait en Allemagne lorsqu’un État tiers, la Bosnie-Herzégovine, a demandé son extradition afin qu’il y exécute une peine d’emprisonnement. La législation allemande interdisant l’extradition de ses propres ressortissants vers des États tiers, mais ne prévoyant pas une telle protection pour les citoyens d’autres États membres, une différence de traitement en résultait. Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal régional supérieur de Munich, la juridiction allemande était confrontée à une difficulté majeure : elle semblait tenue par une convention internationale d’extrader l’intéressé, alors que les principes du droit de l’Union paraissaient s’y opposer. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposent à ce qu’un État membre extrade un citoyen de l’Union vers un État tiers dans de telles circonstances. La Cour de justice a répondu en établissant une obligation pour l’État membre requis de tenter activement d’obtenir le consentement de l’État tiers pour que la peine soit exécutée sur son territoire. Ce n’est qu’en cas d’échec de cette démarche que l’extradition peut être envisagée, sous réserve du respect des droits fondamentaux.
La solution de la Cour établit un mécanisme de conciliation pragmatique entre les obligations issues du droit de l’Union et les engagements internationaux des États membres (I). En cas d’échec de ce mécanisme, elle consacre toutefois la prévalence de la lutte contre l’impunité, autorisant l’extradition à titre subsidiaire (II).
I. La conciliation des engagements internationaux et du droit de l’Union par une obligation procédurale
La Cour de justice réaffirme d’abord que la différence de traitement en matière d’extradition constitue une entrave à la liberté de circulation (A), avant de lui adjoindre une obligation nouvelle et active pour l’État membre requis (B).
A. La confirmation du traitement national comme référence de protection du citoyen de l’Union
L’arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante qui vise à étendre au citoyen de l’Union la protection contre l’extradition dont bénéficient les nationaux de l’État membre de séjour. La Cour rappelle que le statut de citoyen de l’Union confère à tout ressortissant d’un État membre séjournant légalement sur le territoire d’un autre État membre le droit de se prévaloir de l’article 18 du traité, qui interdit toute discrimination en raison de la nationalité. En l’espèce, le fait qu’un citoyen croate résidant en Allemagne puisse être extradé vers un État tiers alors qu’un citoyen allemand ne le peut pas, crée une différence de traitement qui restreint la liberté de circulation garantie par l’article 21 du traité. En effet, comme la Cour le souligne, de telles règles « sont susceptibles d’affecter la liberté des premiers de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres ». Cette restriction n’est admissible que si elle poursuit un objectif légitime et si elle est proportionnée. Ainsi, la Cour ancre sa décision dans le principe fondamental d’égalité de traitement, qui impose que le citoyen mobile bénéficie d’un niveau de protection équivalent à celui des nationaux.
B. L’instauration d’une obligation de rechercher une alternative à l’extradition
La nouveauté de l’arrêt réside dans le caractère concret de l’obligation imposée à l’État membre requis. Contrairement aux affaires antérieures où l’existence d’une alternative à l’extradition suffisait, la Cour impose ici une démarche proactive. Face à une obligation conventionnelle d’extrader, l’État membre ne peut rester passif. Il doit s’efforcer de trouver une solution moins attentatoire à la libre circulation, qui consiste en l’espèce en l’exécution de la peine sur son propre territoire. La Cour précise que l’État membre doit « rechercher activement ce consentement de l’État tiers auteur de la demande d’extradition en utilisant tous les mécanismes de coopération et d’assistance en matière pénale dont il dispose dans le cadre de ses relations avec cet État tiers ». Cette obligation de moyens transforme la nature de l’intervention de l’État membre : il devient l’acteur d’un dialogue avec l’État tiers visant à concilier ses divers engagements. Cette solution pragmatique cherche à rendre compatibles le respect de la citoyenneté européenne et les obligations découlant du droit international conventionnel, sans imposer a priori la violation de l’un au profit de l’autre.
L’issue de cette démarche active conditionne la suite de la procédure. Si la tentative de conciliation échoue, la Cour admet que l’objectif de lutte contre l’impunité puisse justifier une restriction à la liberté de circulation.
II. La primauté subsidiaire de la lutte contre l’impunité sur la liberté de circulation
En cas de refus de l’État tiers, la Cour fait prévaloir la nécessité d’éviter l’impunité, considérant l’extradition comme une mesure justifiée (A). Cette solution demeure cependant strictement encadrée par le respect des droits fondamentaux (B).
A. L’extradition comme ultima ratio justifiée par la prévention de l’impunité
La Cour reconnaît que la prévention de l’impunité constitue un objectif légitime pouvant justifier une restriction à la liberté de circulation. Dans l’hypothèse où l’État tiers refuse que la peine soit exécutée dans l’État membre de résidence du citoyen de l’Union, l’alternative à l’extradition disparaît concrètement. Dans ce contexte, l’extradition devient la seule mesure apte à garantir l’exécution de la condamnation pénale. La Cour estime alors que « le refus d’une telle extradition ne permettrait pas, dans ce cas, d’éviter le risque d’impunité de cette personne ». La restriction à la liberté de circulation que constitue l’extradition devient alors proportionnée, car la mesure moins restrictive a été explorée sans succès. La Cour opère ainsi une mise en balance des intérêts en présence : une fois que l’État membre a rempli son obligation de rechercher une alternative, l’impératif de répression des infractions l’emporte sur la protection attachée à la citoyenneté de l’Union, qui n’est donc pas absolue.
B. Une dérogation conditionnée au respect des droits fondamentaux
Toutefois, cette autorisation d’extrader n’est pas un blanc-seing. La Cour rappelle avec force que toute mesure d’extradition doit impérativement respecter les garanties offertes par le droit de l’Union. L’arrêt se clôt sur une condition essentielle : l’État membre ne peut procéder à l’extradition que « pour autant que cette extradition ne porte pas atteinte aux droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Cette réserve renvoie notamment à l’article 19 de la Charte, qui interdit les éloignements, expulsions et extraditions vers un État où existe un risque sérieux de peine de mort, de torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, même si les articles 18 et 21 du traité ne font plus obstacle à l’extradition, les autorités de l’État membre requis conservent l’obligation de vérifier la situation des droits de l’homme dans l’État tiers et les conditions de détention qui y attendent la personne concernée. La portée de la solution est donc soigneusement circonscrite, l’extradition n’étant possible que si elle constitue une mesure nécessaire, proportionnée et respectueuse des droits fondamentaux.