Cour de justice de l’Union européenne, le 22 décembre 2022, n°C-553/21

Par un arrêt rendu en formation de huitième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’articulation entre les délais procéduraux nationaux et l’exercice d’un droit à réduction fiscale découlant d’une directive. En l’espèce, une entreprise du secteur productif avait sollicité le bénéfice d’une exonération partielle de la taxe sur des produits énergétiques utilisés à des fins professionnelles, conformément à la législation allemande transposant la directive 2003/96/CE. Bien que toutes les conditions de fond pour l’obtention de cet avantage fussent remplies pour la période concernée de l’année 2010, la demande de remboursement fut déposée en mai 2012, soit après l’expiration du délai de forclusion fixé par le droit national au 31 décembre 2011.

L’administration fiscale rejeta la demande pour ce motif de tardiveté. Saisi du litige, le tribunal des finances de Hambourg annula cette décision le 1er février 2019, jugeant que le principe de proportionnalité commandait d’accueillir la demande. L’administration forma alors un pourvoi devant la Cour fédérale des finances, laquelle releva une particularité procédurale : si le délai spécifique de demande était échu, le délai général de liquidation de l’impôt, lui, ne l’était pas, ayant été prorogé en raison d’un contrôle fiscal subi par l’entreprise en 2011. Face à l’incertitude quant à l’application des principes du droit de l’Union à une réduction d’impôt facultative, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si les principes d’effectivité et de proportionnalité s’opposent à ce qu’une réglementation nationale prévoie le rejet automatique d’une demande de réduction fiscale pour inobservation d’un délai de dépôt, alors même que cette demande est formée dans le délai de liquidation de l’impôt encore ouvert.

La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle sanction automatique est contraire au droit de l’Union. Elle juge qu’une réglementation nationale ne peut priver un assujetti de son droit à une exonération fiscale au seul motif du non-respect d’un délai procédural, lorsque la créance fiscale n’est pas encore définitivement établie.

Cette solution, qui fait prévaloir la substance d’un droit conféré par l’Union sur le formalisme procédural national, illustre la portée du principe d’effectivité dans l’ordre juridique des États membres (I). En outre, en fondant sa décision sur une analyse de proportionnalité étendue aux avantages fiscaux facultatifs, la Cour en précise la valeur et la portée (II).

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I. La primauté du principe d’effectivité sur le formalisme procédural national

La Cour rappelle d’abord que l’encadrement de l’autonomie procédurale des États membres par le principe d’effectivité s’oppose à des règles qui rendraient l’exercice des droits issus de l’Union excessivement difficile (A). Elle en déduit ensuite que l’existence d’un délai de liquidation de l’impôt non expiré est un élément décisif pour apprécier le caractère raisonnable de la sanction (B).

A. Les limites réaffirmées de l’autonomie procédurale

En l’absence d’harmonisation, il appartient aux États membres de définir les modalités procédurales de mise en œuvre des droits conférés par les directives, notamment en fixant des délais de recours à peine de forclusion. Cette autonomie procédurale est toutefois limitée par les principes d’équivalence et d’effectivité. La Cour se concentre ici sur ce second principe, qui exige que les règles nationales ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits garantis par l’ordre juridique de l’Union. La fixation de délais raisonnables est certes une application légitime du principe de sécurité juridique. Cependant, la sanction attachée à leur non-respect doit être appréciée au regard des circonstances et de la procédure dans son ensemble.

Dans cette affaire, la Cour estime que le caractère automatique du rejet de la demande, sans aucune marge d’appréciation, constitue une entrave excessive. En effet, elle considère qu’une telle réglementation « est susceptible de priver, indépendamment des circonstances de l’affaire en cause, un assujetti de son droit à l’exonération, alors que l’État membre concerné a choisi de garantir ce droit aux opérateurs économiques sur son territoire ». Le mécanisme national, en créant une déchéance irréfragable du droit alors que la situation fiscale de l’assujetti pour la période concernée n’est pas encore consolidée, dépasse ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité juridique et viole le principe d’effectivité.

B. Le rôle décisif du délai de liquidation de l’impôt

Le raisonnement de la Cour s’articule de manière cruciale sur la coexistence de deux délais distincts en droit allemand : un délai spécifique pour le dépôt de la demande d’exonération et un délai général de liquidation de l’impôt. C’est la prorogation de ce second délai, due au contrôle fiscal, qui modifie la configuration du litige. Tant que le délai de liquidation n’est pas expiré, la créance fiscale de l’État n’est pas définitive et la situation de l’assujetti peut encore être modifiée. Il apparaît donc incohérent et contraire à l’effectivité du droit à exonération de considérer ce droit comme éteint de manière irrévocable par l’expiration du premier délai.

La Cour en conclut que le droit à l’avantage fiscal doit pouvoir être exercé tant que l’administration dispose elle-même du pouvoir de réviser la situation fiscale de l’assujetti pour la période en cause. Le refus de l’administration crée une asymétrie injustifiée, où elle conserverait sa capacité d’action tandis que l’assujetti serait privé de la sienne. Ainsi, le principe d’effectivité s’oppose à ce que l’expiration d’un délai de forme emporte des conséquences plus rigoureuses que celles attachées à la prescription de l’action de l’administration fiscale elle-même.

La Cour ne se contente pas de cette analyse fondée sur l’effectivité ; elle la corrobore par une appréciation de la proportionnalité de la mesure, étendant par là même le champ de ce contrôle.

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II. La consécration d’une approche proportionnée des avantages fiscaux facultatifs

La décision est également remarquable en ce qu’elle étend sans ambiguïté son contrôle de proportionnalité aux avantages fiscaux que les États membres sont libres d’instituer (A), pour finalement sanctionner une mesure nationale jugée excessive au regard des objectifs poursuivis (B).

A. L’extension du contrôle de proportionnalité aux régimes optionnels

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la pertinence de la jurisprudence antérieure, établie dans le cadre d’exonérations obligatoires, à une affaire concernant une réduction d’impôt facultative. La Cour écarte cette distinction avec fermeté. Elle affirme que dès lors qu’un État membre décide de faire usage d’une faculté ouverte par une directive, la mesure nationale de transposition s’intègre pleinement dans le système harmonisé et doit, à ce titre, respecter l’ensemble des principes généraux du droit de l’Union, dont le principe de proportionnalité.

La Cour souligne que les opérateurs économiques bénéficiant d’une réduction facultative « ne doivent pas, conformément au principe d’égalité de traitement, être traités de manière différente de ces derniers [ceux bénéficiant d’une disposition obligatoire], à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ». Par cette affirmation, elle confirme que l’origine facultative d’un avantage fiscal ne saurait justifier une moindre protection procédurale pour le justiciable. Le choix de l’État membre de mettre en œuvre l’option emporte l’obligation de le faire d’une manière qui respecte les garanties fondamentales du droit de l’Union.

B. La sanction d’une mesure nationale disproportionnée

Appliquant le test de proportionnalité, la Cour évalue si la mesure nationale est apte à atteindre son objectif, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. L’objectif de la règle de forclusion est de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de l’impôt. Or, un refus automatique et sans exception apparaît disproportionné lorsque les conditions de fond de l’exonération sont remplies, que l’utilisation réelle du produit ne fait aucun doute et qu’aucune fraude n’est suspectée. L’intérêt de l’État membre à faire respecter un délai de forme ne saurait l’emporter sur le droit substantiel de l’assujetti dans de telles circonstances.

La Cour renforce son argumentation en se référant à la finalité de la directive elle-même, rappelant que « l’économie générale et de la finalité de la directive 2003/96 qui reposent sur le principe selon lequel les produits énergétiques sont taxés en fonction de leur utilisation réelle ». Sanctionner une simple omission formelle par la perte totale d’un droit qui vise précisément à traduire cette taxation différenciée serait contraire à l’esprit de la directive. En conséquence, la rigidité de la réglementation nationale est jugée excessive et incompatible avec le principe de proportionnalité.

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Hassan KOHEN
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