Par un arrêt du 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa cinquième chambre, est venue préciser l’étendue de l’interdiction de soumettre à une imposition indirecte les opérations de rassemblement de capitaux. En l’espèce, une société de gestion de fonds communs de placement recourait aux services d’établissements financiers pour la commercialisation des parts desdits fonds. Ces établissements percevaient à ce titre des commissions de commercialisation, sur lesquelles l’administration fiscale d’un État membre prélevait un droit de timbre. La société de gestion répercutait ensuite le coût de ces commissions, incluant le droit de timbre, sur les fonds qu’elle gérait, cette refacturation étant elle-même assujettie au même droit de timbre. S’estimant victime d’une double imposition contraire au droit de l’Union, la société de gestion a contesté ces taxations devant les juridictions nationales. Le tribunal arbitral saisi de l’affaire a alors décidé d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle législation fiscale avec les dispositions de la directive 2008/7/CE. Il s’agissait de déterminer si l’interdiction de taxer la création, l’émission ou la mise en circulation de parts de sociétés de capitaux, prévue par la directive, s’étendait à la taxation des commissions rémunérant les services de commercialisation de ces mêmes parts. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, considérant qu’une telle imposition est contraire à la directive. Elle a jugé que les services de commercialisation, en ce qu’ils visent à la souscription des parts, constituent une opération accessoire indissociable de leur émission et de leur mise en circulation. Dès lors, taxer la rémunération de ces services revient à taxer l’opération de rassemblement de capitaux elle-même. La solution de la Cour repose sur une interprétation extensive de l’interdiction posée par le droit de l’Union (I), laquelle a pour conséquence de neutraliser toute forme de fiscalité indirecte sur la chaîne de commercialisation des parts (II).
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I. L’interprétation extensive de l’interdiction de taxation des rassemblements de capitaux
Pour parvenir à sa solution, la Cour de justice a d’abord confirmé qu’un fonds commun de placement, bien que dépourvu de personnalité juridique, devait être assimilé à une société de capitaux (A), avant de considérer que les services liés à sa commercialisation faisaient partie intégrante de l’opération de rassemblement de capitaux elle-même (B).
A. L’assimilation du fonds commun de placement à une société de capitaux
La Cour rappelle à titre liminaire que le champ d’application de la directive 2008/7/CE couvre non seulement les sociétés de capitaux formellement constituées, mais également, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, « toute autre société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs ». Cette disposition permet d’inclure des entités qui, sans répondre aux critères stricts de la société de capitaux, en partagent la finalité économique. La Cour s’appuie sur une jurisprudence établie pour juger qu’un groupement de personnes, même sans personnalité juridique, qui rassemble des capitaux au sein d’un patrimoine distinct en vue de réaliser un profit, doit être considéré comme une « association poursuivant des buts lucratifs ». C’est précisément le cas des fonds communs de placement, qui constituent une « masse de patrimoine, sans personnalité juridique, appartenant aux participants selon le régime général de communauté » et dont l’objectif est bien de générer un bénéfice pour ces derniers. En qualifiant ainsi les fonds en cause de sociétés de capitaux par assimilation, la Cour confirme que les opérations qui leur sont liées, et notamment l’émission de leurs parts, entrent pleinement dans le périmètre de la directive et des interdictions qu’elle édicte. Cette étape était un préalable nécessaire pour soumettre la taxe litigieuse au contrôle de sa compatibilité avec le droit de l’Union.
B. L’intégration des services de commercialisation dans l’opération d’émission des parts
Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la portée qu’elle attribue aux opérations exonérées par l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive, à savoir « la création, l’émission, l’admission en Bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions, de parts ou autres titres de même nature ». La Cour opte pour une interprétation large et téléologique de cette disposition, guidée par la nécessité de préserver son effet utile. Elle juge ainsi que l’interdiction de taxation doit s’appliquer non seulement aux opérations formellement visées, mais aussi à celles « faisant partie intégrante d’une opération globale au regard du rassemblement de capitaux ». Or, les services de commercialisation fournis par les banques, qui visent à promouvoir la souscription des parts des fonds, présentent un lien direct et nécessaire avec l’émission et la mise en circulation de ces dernières. La Cour affirme en effet que de tels services « constituent une démarche commerciale nécessaire et qui, à ce titre, doit être regardée comme étant une opération accessoire, intégrée à l’opération d’émission et de mise en circulation desdits fonds ». En d’autres termes, l’émission de parts n’a de sens que si celles-ci trouvent des souscripteurs, et la commercialisation est le moyen d’y parvenir. Taxer la rémunération de cette démarche revient donc indirectement à taxer l’opération d’émission elle-même, ce que la directive prohibe.
L’analyse extensive de la Cour, qui inclut les prestations accessoires dans le champ de l’exonération, aboutit à la consolidation de l’objectif de la directive, qui est de supprimer les entraves fiscales à la libre circulation des capitaux.
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II. La consolidation de l’effet utile de la directive par la neutralisation de la fiscalité indirecte
La décision de la Cour se distingue par sa rigueur, en censurant une imposition qui frappait une prestation de service indispensable à l’opération de capitalisation (A). Cette solution voit sa portée étendue à l’ensemble de la chaîne de commercialisation, empêchant ainsi tout contournement de l’interdiction (B).
A. La censure d’une imposition indirecte sur une prestation de service nécessaire
En invalidant le droit de timbre litigieux, la Cour réaffirme que les interdictions prévues par la directive 2008/7/CE ne sauraient être contournées par l’imposition de formalités ou de services étroitement liés aux opérations de rassemblement de capitaux. Le raisonnement de la Cour met en lumière le caractère indispensable des services de commercialisation. Le versement des apports par les souscripteurs, qui est l’objectif même de la commercialisation, est une condition de l’émission des parts. Par conséquent, toute entrave fiscale à ce service de commercialisation est une entrave à l’opération de capitalisation dans son ensemble. La Cour souligne d’ailleurs qu’il est indifférent que la société de gestion ait recours à des entités tierces pour cette commercialisation, l’interdiction de taxer ne dépendant pas « de la qualité de l’entité chargée de réaliser ces opérations ». Cette précision est essentielle car elle consacre une approche matérielle et économique au détriment d’une vision purement formelle. L’interdiction s’applique à l’opération de rassemblement de capitaux dans sa substance, peu important la manière dont elle est structurée sur le plan contractuel. La censure de l’imposition protège ainsi l’intégrité du marché des capitaux contre des taxes indirectes qui, sous couvert de viser une prestation de service, frappent en réalité la levée de capitaux elle-même.
B. La portée de la solution à l’ensemble de la chaîne de commercialisation
La force de l’arrêt réside également dans le fait que la Cour étend son raisonnement à la seconde taxation, celle qui frappe la refacturation des commissions par la société de gestion aux fonds. La juridiction de renvoi s’interrogeait en effet sur la légalité de l’imposition à ce second stade. La réponse de la Cour est sans équivoque et relève d’une logique implacable. Elle juge que l’effet utile de la directive « serait compromis si, alors qu’elle fait obstacle à l’imposition d’un droit de timbre aux rémunérations perçues par les banques […], il était permis que ce droit de timbre frappe les mêmes rémunérations lorsque celles-ci sont refacturées ». Admettre une telle taxation au stade de la refacturation reviendrait à permettre à l’État membre d’atteindre le même résultat prohibé, mais par une voie détournée. En appliquant l’interdiction aux deux maillons de la chaîne, la Cour garantit une application cohérente et effective de la directive. La solution assure une véritable neutralité fiscale de l’ensemble du processus de commercialisation, de la prestation initiale par l’établissement financier jusqu’à son imputation finale au patrimoine du fonds. Cette vision globale est déterminante pour la sécurité juridique des opérations financières et pour l’achèvement du marché unique des capitaux.