Cour de justice de l’Union européenne, le 22 février 2022, n°C-562/21

Par un arrêt du 22 février 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé les conditions dans lesquelles une autorité judiciaire d’exécution peut refuser de remettre une personne visée par un mandat d’arrêt européen en raison de défaillances systémiques affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’État membre d’émission. En l’espèce, une juridiction néerlandaise était saisie de deux mandats d’arrêt européens émis par des juridictions polonaises, l’un aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’autre aux fins de l’exercice de poursuites pénales. L’autorité d’exécution néerlandaise a exprimé des doutes quant à l’indépendance du système judiciaire de l’État d’émission, citant des réformes législatives controversées relatives à la nomination des juges. Craignant que la remise des personnes concernées ne les expose à une violation de leur droit à un procès équitable, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et plus spécifiquement de leur droit à un tribunal établi préalablement par la loi, la juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour de déterminer si la seule existence de défaillances systémiques ou généralisées dans l’État d’émission justifiait un refus de remise, ou si un examen plus approfondi était nécessaire. La question se posait notamment de savoir comment évaluer le risque encouru par une personne lorsque la composition de la juridiction de jugement n’est pas encore connue, ou lorsque les voies de recours pour contester la nomination des juges dans l’État d’émission sont jugées ineffectives. La Cour de justice a répondu qu’un refus de remise ne pouvait intervenir qu’au terme d’un examen en deux étapes. L’autorité judiciaire d’exécution doit d’abord constater objectivement l’existence de défaillances systémiques ou généralisées, puis vérifier de manière concrète et précise s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée court, en raison de sa situation particulière, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable.

La solution de la Cour réaffirme une méthode d’analyse rigoureuse qui cherche à concilier le principe de confiance mutuelle avec la protection des droits fondamentaux. Il convient ainsi d’examiner la confirmation d’un contrôle à double détente comme méthode d’appréciation du risque (I), avant d’analyser les modalités concrètes et exigeantes de sa mise en œuvre (II).

***

I. La confirmation d’un contrôle à double détente pour l’appréciation du risque

La Cour de justice maintient une approche prudente, refusant de faire des défaillances systémiques une cause automatique de refus de remise. Elle confirme que l’existence de telles défaillances n’est qu’une condition préalable (A), qui doit impérativement être complétée par une évaluation individualisée du risque pour la personne concernée (B).

A. Le caractère non suffisant des défaillances systémiques

La Cour rappelle avec force que le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur « un degré de confiance élevé entre les États membres ». Par conséquent, la simple constatation de défaillances, même « systémiques ou généralisées », concernant l’indépendance de la justice dans l’État d’émission ne saurait suffire à justifier un refus d’exécution. Une telle approche reviendrait à paralyser le système de coopération judiciaire et à créer un « risque élevé d’impunité », ce que la décision-cadre a précisément pour but d’éviter. Admettre le contraire reviendrait en pratique à permettre à une autorité judiciaire de suspendre l’application de la décision-cadre à l’égard d’un État membre, une prérogative qui n’appartient qu’au Conseil en vertu de la procédure de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne.

L’autorité d’exécution doit donc, dans un premier temps, fonder son analyse sur des « éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés » pour établir l’existence d’un risque réel de violation du droit à un procès équitable. L’arrêt cite à ce titre les propositions motivées de la Commission européenne, la jurisprudence de la Cour elle-même et celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette première étape établit un contexte général de risque, mais elle ne dispense nullement l’autorité judiciaire d’exécution d’une analyse plus approfondie et spécifique.

B. L’exigence d’une vérification concrète et précise du risque individuel

Une fois le risque systémique établi, la seconde étape du raisonnement impose à l’autorité judiciaire d’exécution de « vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances constatées […] sont susceptibles d’avoir une incidence au niveau des juridictions dudit État membre compétentes pour connaître des procédures » concernant la personne recherchée. L’analyse ne peut demeurer abstraite ; elle doit se focaliser sur la situation personnelle de l’intéressé. Il ne s’agit plus d’évaluer le système judiciaire dans son ensemble, mais de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la personne concernée court personnellement un risque réel de violation de ses droits fondamentaux.

Pour ce faire, l’autorité doit prendre en compte des éléments tels que « la situation personnelle de cette personne, la nature de l’infraction pour laquelle cette dernière est poursuivie et le contexte factuel dans lequel l’émission de ce mandat d’arrêt s’inscrit ». La Cour souligne ainsi que la charge de l’argumentation est partagée : il appartient à la personne concernée d’apporter des éléments suggérant un tel risque, et à l’autorité d’exécution de solliciter des informations complémentaires auprès de l’autorité d’émission si nécessaire. Cette seconde étape transforme un contrôle général en un examen quasi-juridictionnel au cas par cas, dont les modalités pratiques révèlent la complexité de l’exercice.

***

II. Les modalités pratiques et exigeantes de la mise en œuvre du contrôle

L’application de ce test en deux étapes conduit à des exigences probatoires considérables pour la personne recherchée. La Cour distingue logiquement entre le cas d’un mandat d’arrêt émis pour l’exécution d’une peine (A) et celui émis pour l’exercice de poursuites (B), adaptant les critères d’appréciation à chaque situation.

A. L’appréciation rétrospective du risque dans le cadre de l’exécution d’une peine

Lorsqu’une personne a déjà été jugée et que sa remise est demandée pour l’exécution de sa condamnation, l’appréciation du risque est rétrospective. Il incombe à la personne concernée de démontrer que les défaillances systémiques ont eu « une incidence concrète sur le traitement de son affaire pénale ». La simple affirmation qu’un juge de la formation de jugement a été nommé selon une procédure contestée n’est pas suffisante. La Cour exige des éléments plus tangibles, par exemple des informations sur « la procédure de nomination du juge ou des juges concernés » ou sur une éventuelle délégation de ces derniers par le pouvoir exécutif.

L’arrêt souligne également l’importance des voies de recours internes : la personne a-t-elle tenté de récuser les juges dans l’État d’émission ? Si oui, quelle suite a été donnée à sa demande ? L’absence de telles démarches pourrait être interprétée comme un défaut d’éléments concrets démontrant un risque réel. Cette approche place la barre très haut pour la personne déjà condamnée, qui doit fournir une preuve quasi-diabolique de l’impact direct des défaillances structurelles sur l’issue de son propre procès.

B. L’appréciation prospective du risque dans le cadre de poursuites pénales

Dans l’hypothèse d’un mandat d’arrêt émis aux fins de poursuites, l’évaluation est prospective et par nature plus incertaine, puisque la composition de la future juridiction de jugement est souvent inconnue. La Cour écarte l’idée que cette incertitude puisse à elle seule justifier un refus de remise. Une telle solution paralyserait l’ensemble du mécanisme pour ce type de mandat. L’autorité d’exécution doit néanmoins procéder à une « appréciation globale » en se fondant sur d’autres indices.

Ces indices peuvent inclure « des déclarations effectuées par des autorités publiques qui pourraient avoir une incidence dans le cas concret », la situation personnelle de l’individu, ou encore « la nature de l’infraction ». Par exemple, si la personne est un opposant politique notoire ou si l’infraction est sensible politiquement, le risque d’une atteinte à l’impartialité du tribunal pourrait être jugé plus concret. Même dans ce cadre prospectif, l’autorité judiciaire d’exécution est tenue de mener une analyse individualisée et ne peut se contenter de présomptions générales, maintenant ainsi un équilibre strict entre l’efficacité de la coopération pénale et la sauvegarde des droits fondamentaux.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture