Un État membre avait mis en place, par un arrêté royal de 1982, un régime fiscal dérogatoire au droit commun en faveur des centres de coordination. Ce régime subordonnait son bénéfice à un agrément individuel, valable pour une durée de dix ans et renouvelable. Après avoir initialement considéré, par des décisions de 1984 et 1987, que ce régime ne constituait pas une aide d’État, la Commission a réexaminé la mesure à la lumière des travaux du Conseil sur la concurrence fiscale dommageable. Par une décision du 17 février 2003, elle a finalement qualifié le régime d’aide d’État incompatible avec le marché commun. La décision imposait à l’État membre de supprimer le régime, tout en prévoyant une période transitoire pour les centres bénéficiant d’un agrément en cours, leur permettant de jouir des avantages jusqu’à l’expiration de leur agrément et au plus tard le 31 décembre 2010. Cependant, la décision interdisait tout renouvellement d’agrément à compter de sa notification. L’État membre concerné ainsi qu’une association représentant les intérêts desdits centres ont alors formé un recours en annulation devant la Cour de justice des Communautés européennes. Ils soutenaient principalement que la décision violait les principes de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, en ce qu’elle ne prévoyait pas de mesures transitoires pour les centres dont l’agrément arrivait à échéance à une date proche de celle de la notification de la décision. Il revenait donc à la Cour de déterminer si la Commission, en revenant sur son appréciation antérieure, pouvait mettre fin au régime d’aide sans prévoir de mesures transitoires adéquates pour l’ensemble des opérateurs concernés. Dans son arrêt du 22 juin 2006, la Cour de justice annule partiellement la décision de la Commission. Tout en validant la qualification d’aide d’État incompatible, elle juge que l’absence de mesures transitoires pour certains opérateurs constitue une violation des principes de protection de la confiance légitime et d’égalité.
La solution retenue par la Cour de justice réaffirme la plénitude des pouvoirs de la Commission en matière de contrôle des aides d’État, y compris face à ses propres décisions antérieures (I), mais encadre l’exercice de ces pouvoirs par le respect des principes fondamentaux du droit communautaire, qui imposent la mise en place de mesures transitoires adéquates (II).
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I. La réaffirmation de la compétence de la Commission pour requalifier un régime d’aide existant
La Cour de justice confirme la légalité de la démarche de la Commission en validant tant son analyse substantielle du régime fiscal en tant qu’aide d’État (A) que sa compétence procédurale pour réexaminer une mesure précédemment approuvée (B).
A. La confirmation de la qualification d’aide d’État
La Cour valide point par point l’analyse de la Commission selon laquelle le régime fiscal des centres de coordination remplit toutes les conditions de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. Premièrement, elle constate l’existence d’un avantage économique pour les entreprises bénéficiaires. Cet avantage résulte de plusieurs éléments, notamment d’un mode de calcul forfaitaire du revenu imposable qui exclut des charges déterminantes comme les frais de personnel et les charges financières, ainsi que d’exonérations spécifiques telles que celles du précompte immobilier, du droit d’apport et du précompte mobilier. La Cour rappelle qu’une mesure « place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables » et constitue donc un avantage.
Deuxièmement, la Cour établit le caractère sélectif du régime. Celui-ci ne bénéficie qu’à une catégorie spécifique d’entreprises, les centres de coordination de groupes multinationaux remplissant des conditions de taille et de capital élevées. Cette sélectivité n’est pas justifiée par la nature ou l’économie générale du système fiscal national. Troisièmement, les avantages sont accordés au moyen de ressources d’État, le manque à gagner fiscal pour l’État membre constituant une perte de ressources. Enfin, la Cour confirme que le régime est de nature à fausser la concurrence et à affecter les échanges entre États membres. Comme elle le rappelle, « la concurrence est faussée dès qu’une mesure allège les charges de l’entreprise bénéficiaire et renforce ainsi sa position par rapport à d’autres entreprises concurrentes ». En favorisant les centres de coordination établis sur le territoire de l’État membre concerné, le régime renforçait leur position par rapport à d’autres prestataires de services au sein du marché commun.
B. La légitimation du réexamen d’un régime d’aide existant
Au-delà de la qualification matérielle, la Cour se prononce sur la légalité de la procédure suivie par la Commission, qui avait opéré un revirement par rapport à ses décisions de 1984 et 1987. Elle écarte l’argument fondé sur la violation du principe de sécurité juridique. La Cour affirme que la Commission tire directement de l’article 88, paragraphe 1, du traité CE la mission de procéder à « l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États ». Cette compétence primordiale, issue du droit primaire, ne saurait être limitée par une appréciation antérieure erronée ou dépassée par l’évolution du marché commun.
La Cour considère que le principe de légalité doit être combiné avec celui de sécurité juridique. Par conséquent, une décision antérieure ne peut cristalliser une situation et empêcher la Commission de corriger une appréciation qui ne serait plus conforme aux règles du traité. En l’espèce, le réexamen s’inscrivait dans un contexte plus large de lutte contre la concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union, rendant l’action de la Commission prévisible pour un « opérateur économique prudent et avisé ». La Cour conclut ainsi que la décision attaquée, fondée sur les articles 87 et 88 du traité CE, reposait sur une base légale solide, et que la Commission était en droit de réévaluer le régime fiscal en question.
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II. La sanction de l’exercice des compétences de la Commission au nom des principes fondamentaux
Si la Cour valide la compétence de la Commission pour requalifier le régime, elle en censure les modalités d’application. Elle juge que l’absence de mesures transitoires adéquates pour tous les opérateurs méconnaît tant le principe de confiance légitime (A) que le principe d’égalité (B).
A. La consécration d’une confiance légitime née des décisions antérieures
La Cour reconnaît que les décisions de 1984 et 1987, par lesquelles la Commission avait initialement validé le régime, ont « fait naître des espérances fondées » dans le chef des bénéficiaires. Si cette confiance ne pouvait garantir la pérennité éternelle du régime, elle fondait une attente légitime quant à l’octroi d’un délai raisonnable pour s’adapter à un changement d’appréciation de la part de l’institution. La Cour précise que « en l’absence d’intérêt public péremptoire, la Commission, en n’ayant pas assorti la suppression d’une réglementation de mesures transitoires protégeant la confiance que l’opérateur pouvait légitimement avoir dans la réglementation communautaire, a violé une règle supérieure de droit ».
En l’espèce, la Commission avait bien prévu une période transitoire pour les entreprises dont l’agrément était en cours, mais elle l’a refusée à celles dont l’agrément arrivait à échéance concomitamment ou à brève échéance après la notification de sa décision. La Cour estime que cette rupture brutale était contraire à la confiance légitime que ces dernières pouvaient placer dans l’obtention d’un délai suffisant pour réorganiser leurs activités, d’autant plus que le renouvellement de l’agrément, bien que non automatique, était une quasi-formalité si les conditions objectives étaient remplies. La Commission n’a par ailleurs démontré aucun « intérêt public péremptoire » justifiant de s’opposer à une telle mesure transitoire pour l’ensemble des opérateurs.
B. La violation consécutive du principe d’égalité de traitement
Le manquement au principe de confiance légitime entraîne mécaniquement une violation du principe d’égalité. Ce principe exige que « des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente […] à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée ». Or, la Cour estime que tous les centres de coordination bénéficiant du régime se trouvaient dans une situation comparable, car ils pouvaient tous légitimement s’attendre à bénéficier d’une période transitoire pour s’adapter à la suppression du régime.
En créant une distinction fondée sur la date d’échéance de leur agrément par rapport à la date de sa décision, la Commission a traité différemment des opérateurs qui se trouvaient dans une situation objectivement similaire. Certains ont pu continuer à bénéficier du régime pendant plusieurs années, jusqu’en 2010, tandis que d’autres en ont été privés du jour au lendemain, sans justification objective. Cette différence de traitement, qui apparaît arbitraire, est donc jugée contraire au principe d’égalité. Pour ces motifs, la Cour annule la décision de la Commission en ce qu’elle n’a pas prévu de mesures transitoires pour les centres de coordination dont l’agrément expirait à une date proche de celle de la notification, consacrant ainsi la primauté des principes de confiance légitime et d’égalité comme limites à l’exercice des pouvoirs de la Commission.