Par un arrêt rendu en chambre, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles les autorités douanières nationales sont tenues de saisir la Commission européenne en cas de doute sur un recouvrement a posteriori de droits de douane. En l’espèce, une administration douanière nationale avait engagé une procédure de recouvrement d’une dette douanière née de l’omission par un importateur de déclarer certaines redevances pour des marchandises importées. Au cours de la procédure, cette administration avait manifesté des doutes quant à la possibilité de ne pas procéder au recouvrement et avait initialement envisagé de saisir la Commission, avant de poursuivre finalement le recouvrement. Saisie du litige, la juridiction nationale a alors posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de savoir si l’article 871 du règlement d’application du code des douanes communautaire impose aux autorités douanières de transmettre un dossier à la Commission dès lors qu’elles ont, à un moment quelconque, éprouvé des doutes sur l’opportunité d’un recouvrement a posteriori, notamment au regard de la bonne foi de l’opérateur. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que cette obligation de transmission n’existe que si les doutes persistent au moment de la décision et qu’ils portent spécifiquement sur l’interprétation des critères cumulatifs permettant une dispense de recouvrement, et non sur un élément isolé tel que la bonne foi de l’importateur. La solution retenue par la Cour, en ce qu’elle précise les contours de l’obligation de saisine de la Commission (I), mérite d’être analysée au regard de sa finalité, qui est de garantir une application uniforme du droit douanier tout en préservant l’autonomie des autorités nationales (II).
I. La délimitation stricte de l’obligation de saisine de la Commission
La Cour de justice interprète l’article 871 du règlement d’application de manière restrictive, en subordonnant l’obligation de saisine de la Commission à des conditions précises. Elle exige d’une part que le doute des autorités nationales soit persistant (A) et d’autre part qu’il porte sur un objet déterminé (B).
A. Une obligation conditionnée par la persistance du doute
La Cour énonce clairement que la simple manifestation d’un doute par une autorité douanière nationale à un stade de la procédure n’entraîne pas une obligation irréversible de saisir la Commission. Selon l’arrêt, les autorités douanières « ne sont pas tenues de transmettre le cas à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière lorsque les doutes qu’elles avaient éprouvés […] se sont dissipés, même après que lesdites autorités ont manifesté leur intention de saisir la Commission ». Cette solution confère une certaine flexibilité aux administrations nationales, qui conservent la faculté de finaliser leur analyse et de faire évoluer leur position. L’obligation de saisine n’est donc pas déclenchée par une simple hésitation ou par une intention préliminaire, mais par l’état d’incertitude dans lequel se trouve l’autorité au moment où elle doit prendre une décision sur le fond. En considérant que la dissipation du doute met fin à l’obligation de transmission, la Cour adopte une approche pragmatique qui évite une systématisation des procédures de consultation de la Commission pour des incertitudes qui se révéleraient passagères. Le raisonnement implique que le moment déterminant pour apprécier l’existence d’un doute contraignant est celui où l’autorité nationale s’apprête à statuer sur le recouvrement, et non celui où le doute a initialement émergé.
B. Une obligation circonscrite à la nature du doute
Au-delà du caractère persistant du doute, la Cour précise également son objet. L’obligation de saisine n’est pas activée par n’importe quelle incertitude, mais uniquement par celle qui concerne « la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire au regard du cas concerné ». Ce texte subordonne la non-perception a posteriori des droits à trois conditions cumulatives : une erreur des autorités douanières, la bonne foi du redevable et le respect par ce dernier de toutes les dispositions réglementaires. La Cour juge que le doute doit porter sur l’application de cet ensemble de critères à une situation factuelle précise. Elle exclut ainsi expressément du champ de l’obligation de saisine les doutes portant sur un seul de ces critères pris isolément, comme « l’omission par l’importateur de bonne foi de déclarer des redevances ». En effet, la Cour rappelle que « la bonne foi du redevable n’étant que l’une des conditions qui doivent nécessairement être réunies […], elle n’est pas susceptible, à elle seule, d’obliger les autorités douanières nationales à saisir la Commission ». Cette interprétation réaffirme le caractère cumulatif des conditions de non-recouvrement et empêche qu’un doute sur la seule bonne foi de l’opérateur, aussi légitime soit-il, ne suffise à déclencher le mécanisme de consultation communautaire.
II. La portée de la solution au regard de l’uniformité du droit douanier
En définissant strictement les conditions de saisine de la Commission, la Cour de justice ne se contente pas de régler une question technique de procédure. Elle arbitre en réalité entre la nécessaire préservation des compétences des autorités nationales (A) et l’objectif d’application uniforme du droit communautaire, dont la garantie repose en définitive sur le contentieux (B).
A. La préservation de la compétence des autorités nationales
La décision commentée confirme que le recouvrement des droits de douane relève, par principe, de la compétence des États membres. La procédure centralisée devant la Commission, qui peut décider de la remise d’une dette douanière, constitue une exception dont le champ d’application doit être interprété de manière rigoureuse. La Cour rappelle elle-même la logique qui sous-tend ce mécanisme, citant sa jurisprudence antérieure. La saisine de la Commission vise à « garantir l’application uniforme du droit communautaire » lorsque les autorités nationales envisagent de prendre une décision favorable au redevable, car une telle décision « risque, dans les faits, en raison de l’absence probable de tout recours contentieux, d’échapper à un contrôle ». En revanche, lorsque les autorités nationales procèdent au recouvrement, la situation est différente. L’intéressé peut alors contester cette décision devant les juridictions nationales, lesquelles ont la faculté de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel. En limitant l’obligation de saisine aux seuls cas de doutes persistants sur l’ensemble des critères de non-recouvrement, la Cour préserve l’autonomie des administrations nationales. Elle leur permet de régler elles-mêmes la majorité des cas et d’assumer leur rôle premier dans l’application du droit douanier, sans être contraintes par une interprétation trop large de leurs obligations procédurales.
B. Une garantie de l’application uniforme du droit subordonnée au contentieux
La portée de cet arrêt réside dans la clarification du rôle respectif de la Commission et des juridictions nationales pour assurer l’uniformité du droit douanier. L’arrêt confirme que cette uniformité est assurée par deux voies complémentaires. D’une part, un contrôle a priori par la Commission dans les cas exceptionnels où les autorités nationales envisagent une remise de dette ou éprouvent des doutes sérieux et spécifiques. D’autre part, et de manière plus générale, un contrôle a posteriori par les juridictions nationales, dont l’efficacité est garantie par le mécanisme de la question préjudicielle. En refusant d’étendre l’obligation de saisine de la Commission, la Cour renforce implicitement le rôle du juge national comme garant de l’application correcte du droit communautaire. La solution implique que si une autorité nationale dissipe ses doutes et décide de recouvrer la dette, c’est au redevable qu’il incombe, s’il conteste cette décision, d’initier un contentieux qui pourra, le cas échéant, mener à une clarification de la part de la Cour de justice. Ainsi, la portée de la décision est de considérer que la procédure de l’article 871 du règlement d’application est un instrument spécifique et non un mécanisme de surveillance généralisée. Elle constitue une décision d’espèce qui s’inscrit dans le courant jurisprudentiel visant à articuler les compétences communautaires et nationales de manière équilibrée.